voici quelques citations :
Aristocrate et prolétariat :
Le mode de vie de l’aristocratie dans les siècles précédents n’était pas généralisable à l’ensemble du pays puisque la nation ne disposait pas de moyens suffisants pour cela. De même notre mode de vie occidental ne serait pas généralisable à l’ensemble de la planète parce qu’elle ne dispose pas des ressources nécessaires pour le soutenir. En vérité, notre mode de vie n’est qu’une aristocratie de plus, un privilège comme l’Histoire en a déjà produit.
Biodiversité et timbre-poste :
Un jour, il ne restera qu’un petit millier d’espèces, de la girafe de zoo au papillon de serre. Les zones naturelles se compteront sur les doigts d’une main. Ce jour où tout sera notifié, la moindre disparition apparaîtra comme une perte. La nature sera alors défendue par l’homme non parce qu’il aura découvert la beauté, mais parce qu’elle aura la taille de son cahier comptable.
Civilisation et chaos :
Dans les visions mythiques, une civilisation se considère comme une structure entourée de chaos ; elle définit un territoire qu’elle humanise. En détruisant l’ordre naturel, nous fabriquons dans la nature le chaos qui entourait les civilisations traditionnelles de manière mythique. La civilisation occidentale se veut autonome, elle veut vivre au-dessus des moyens qui lui donne le soleil. Mais notre activité en constante augmentation fabrique du désordre (de l’entropie) d’une manière toujours plus importante. Autrefois les hommes croyaient au dieu soleil et craignaient le chaos. Aujourd’hui, nous ne croyons plus au dieu soleil et fabriquons le chaos. Nous devons faire décroître nos activités jusqu’à la soumission au dieu soleil pour éviter le chaos.
Concurrence et multinationales
L’expression « concurrence libre et non faussé » prônée par le traité européen laisse une impression d’exigence morale. La liberté est la référence. La concurrence, c’est le droit de se battre à égalité sans que le combat ne soit faussé par les privilèges de certains concurrents. Par contre l’héritage n’est pas perçu comme un privilège. Le fils à papa avec quelques millions d’euros d’avance sur son voisin ne semble pas fausser la concurrence. Les alliances de groupes financiers fabriquent de nouveaux empires. Ces multinationales se reconnaissent par des marques qui correspondent aux blasons des aristocrates et emploient des serfs. Ceux qui craignent le retour au passé de la décroissance feraient bien de considérer que nous sommes revenus à la féodalité et au droit du sang.
Crise et simplicité
L’agriculture biologique, la simplicité volontaire, la relocalisation de l’économie, le protectionnisme relatif ? Tout cela ne consiste-t-il pas à seulement ralentir un suicide irrémédiable ? Les solutions pour éviter la crise environnementale et sociale coïncident avec les solutions pour survivre à cette même crise. Quand nous serons appauvris, nous n’aurons plus la possibilité d’importer des fruits d’Australie et de nous déplacer en véhicules individuels. Ainsi le travail de lutte contre la crise environnementale permettra de nous adapter plus facilement lorsque nous subirons les conséquences de la crise. Par exemple, le jour où le gaz, raréfié, sera rationné, les maisons bien isolées se défendront mieux que les autres. Il n’y a donc pas lieu de se demander si défendre les solutions de décroissance est un acte d’espoir ou désespéré puisqu’il demeure le même quel que soit le degré d’optimisme du scénario.
Internet et les médias :
La pensée se fonde sur un déroulement temporel. Une phrase se développe dans le temps, fondement de la causalité. Les hyper textes sont des objets extra-temporels qui peuvent exprimer en même temps une chose et son contraire. En brisant la temporalité, même un site Internet, construit comme un espace à multiples dimensions, détruit la pensée. Un envahissement du même ordre se retrouve dans l’abondance de livres inutiles publiés chaque année, dans le harcèlement publicitaire, dans le traitement quotidien de faits divers qui remplacent la véritable information.
Libéralisme et libre expression
Comparons la diffusion de la pensée, imprimée en ouvrages à tirages confidentiels, mal distribués dans un réseau précaire de petites libraires, boudés par les médias, avec la diffusion du mensonge publicitaire, en panneaux de luxe sur les bords des routes, en spots onéreux sur les télévisions ou en tirages massifs sur papier glacé dans toutes les boîtes aux lettres, et nous aurons une idée de la libre expression chère au libéralisme.
Libéralisme et solvabilité
Quand sa politique ne donne pas de bons résultats, le libéral estime que c’est parce qu’elle n’a pas été poussée assez loin. Avec ce raisonnement, les réussites et les échecs renforcent pareillement les idées libérales, les exemptant de l’exigence de résultat. Nous avons que le libéralisme est fondé sur le principe de l’offre et de la demande qui règle les prix à leur juste valeur. Cette théorie force l’admiration par sa simplicité. Mais la régulation des prix s’opère que la tranche de population la plus riche dont les moyens pécuniaires font grimper de montant des produits. Les autres, étant minoritaires en masse monétaire, n’auront que peu d’influence. Ainsi le marché, favorisant les plus nantis, finit par imposer des prix inaccessibles aux plus pauvres.
Libre-échange et immunité :
Développer une indépendance énergétique et fabriquer plus de choses chez soi en Europe, ce n’est pas se couper du reste du monde. C’est, au contraire, authentifier nos relations avec l’extérieur en les libérant des contraintes et des dépendances. Un système immunitaire défend un territoire pour permettre la relation avec l’extérieur, ce n’est pas un repli identitaire.
Malthusianisme et partage :
Notre système de fonctionnement, qui augmente le taux de consommation par habitant sans partager équitablement l’accès à ces ressources, fabrique de la surpopulation aussi certainement que les naissances trop nombreuses. Notre dette écologique, en amenuisant les possibilités des ressources futures, va augmenter la surpopulation dans l’avenir, même si le nombre d’être humains n’augmente plus. C’est pourquoi la lutte contre la surpopulation passe autant par le partage que par une incitation à limiter librement les naissances.
Le marchand et l’enfant :
Une croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible. Ce qu’un enfant de cinq ans peut comprendre, une société surdimensionnée comme la nôtre le dénie. Le refus de certaines idées simples témoigne de l’incapacité de notre civilisation à penser globalement. L’intrusion marchande pervertit notre rapport subjectif au monde.
Marchandisation et pissotières :
La marchandisation consiste à transformer en marchandises les échanges non marchands comme la culture ou l’éducation, étendant le rapport monétaire à l’ensemble des relations humaines. Que reste-t-il de gratuit dans notre monde ? L’amour maternel ? Mais la mère travaille et confie son enfant à une gardienne rémunérée. Les produits de la nature ? Ils sont trafiqués génétiquement et brevetés pour n’être accessibles que par contrat. Uriner ? Impossible sans une pièce d’un euro. La contemplation de la nature ? Il faut débourser des litres d’essence. Naître ? Oui, c’est gratuit. On ne va pas entraver l’entrée dans un monde payant.
Nature et beauté :
Je m’identifie à la nature qu’on agresse. Chaque fois qu’elle est détruite, j’ai le sentiment d’un dommage personnel. C’est parce que sa beauté, en respectant mon être intime, m’est solidaire. Sans la beauté, le moi ne peut s’identifier au monde, dépasser son individualité pour se vouer à plus vaste que lui. Lorsque la beauté est gangrenée, le moi se resserre sur lui-même. Rétréci, il ne peut se renforcer que par la puissance ou la possession, c’est-à-dire par la technique et l’argent. L’homme réécrit alors le réel sous une forme simplifiée et arrogante. Inclus dans le réel, je me sens moi-même réécrit.
Nature et société
Pour se défendre contre la nature, l’homme s’est uni en sociétés. Et puis, à force d’inventer des techniques et d’éliminer les fauves, il a rendu la nature inoffensive. A ce point de sécurité, l’homme a détruit les sociétés en prônant la liberté individuelle, la loi du plus fort, la domination du commerçant. La jungle ayant disparu, on pouvait revenir à une loi de la jungle.
Le progrès et les jouets :
L’ère des grandes inventions est terminée. Internet change moins la vie que l’électricité, le téléphone portable moins que le téléphone tout court, le four à micro-ondes moins que la machine à laver, le magnétoscope moins que la télévision, l’appareil photo numérique moins que l’appareil photo argentique. Les innovations évoluent vers le gadget, l’ère du progrès est derrière nous. Les nouvelles machines, caméscopes, lecteurs DVD, lecteurs de musique portatifs, guidage par satellite de l’automobile, ordinateur familial, sont des jouets. Pour ne pas plonger dans la barbarie, nous ne recherchons pas la philosophie ou l’intelligence, mais le rasoir électrique.
Publicité et intrusion :
Un monde sans publicité ne serait pas seulement une nature sans affiches, mais aussi une société sans agriculture intensive, sans vulgarité télévisuelle, sans importation de produits basés sur l’exploitation des travailleurs du tiers-monde, sans vacarme automobile, sans autoroute, sans choix technologique inconsidéré, sans OGM. La publicité et la manipulation génétique ont en commun l’objectif commercial, mais également, comme caractère principal, l’intrusion. Par ces deux techniques, les financiers pénètrent les esprits et les corps, les transformant en esclaves du monde marchand.
Rivalités et limites :
Tant que le gâteau semblait illimité, il pouvait ne pas y avoir de concurrence entre les consommateurs. Mais constatant que le gâteau n’est plus extensible, les gourmands sont devenus rivaux. L’aggravation des inégalités est donc un signe que nous avons atteint les limites de notre planète. Tout progrès est devenu une victoire sur autrui (ou contre les générations futures).
Télévision et fragmentation :
Lorsque la télévision est apparue, elle ne possédait qu’une chaîne. Cette source unique avait fonction de rassemblement. Avec la multiplication des chaînes, les téléspectateurs se sont divisés, le sentiment de conscience collective s’est fragmenté. Le téléspectateur aujourd’hui ne regarde que lui-même puisque l’ampleur du choix le dirige vers ce qu’il connaît déjà. Il se cherche lui-même, égaré dans la surabondance des matériaux visuels. Ainsi, la télévision ne diffuse-t-elle plus rien.
Travail et gratuité :
Là où la rivière coulait toute seule, où le pré fleurissait sans engrais, l’humanité maintenant travaille. Un pont, il faut le construire et l’entretenir, le réparer pour les siècles des siècles. On a beau seconder ce travail par des machines, l’énergie dépensée ne change pas. Un pont n’est pas un outil, comme un marteau, qui diffuse longtemps son bénéfice. Il est une bouche de plus à nourrir.
(éditions Sulliver)