Après plusieurs ouvrages publiés sur l’extrême droite, Erwan Lecoeur s’attache à l’autre parti émergent : l’écologie apparaît comme la vision du monde la plus susceptible de concurrencer celle que développent les thuriféraires du repli sur soi. L’extrême droite invente des coupables désignés, boucs émissaires censés expurger leurs fautes et nous délivrer du mal par leur sacrifice. De l’autre l’écologie politique voudrait s’attaquer aux causes structurelles qui forment cette crise systémique que nous traversons en interrogeant le mode de production lui-même. Complexité contre idées simples, prise en compte de la nature contre naturalisation du social… L’écologie et le néo-populisme sont les deux candidats pour remplacer le système politique issu de XIXe siècle.
Mais au sein de l’écologie politique, le clivage subsiste entre les centralisateurs favorables à un parti et les régionalistes fédératifs qui prônent la forme confédérale. Lors de la création des Verts en 1984, il avait été urgent de ne pas choisir en conservant les deux dénominations opposées pour se nommer : « Les Verts, Confédération écologiste – parti écologiste. » Le samedi 13 novembre 2010 se crée le nouveau parti de l’écologie politique, EELV (Europe Ecologie Les Verts) : même difficulté de choisir. L’enjeu est dorénavant de construire un parti réseau, un parti social multiforme. Coopérative, ou mouvement, réseaux ou cercles, l’important est moins dans l’appellation que dans la capacité à créer une forme d’appartenance commune à ce qu’on pourrait appeler un « peuple écolo » : une identité sociale qui serait devenue légitime et revendiquée.
Mais l’arrivée au pays des écolos se fait en l’absence de structure d’accueil dédiée aux arrivants, en l’absence de toute structure de formation des adhérents aux fondamentaux de l’écologie politique : sur l’histoire du mouvement, sur les raisons des désaccords avec les partenaires, sur les enjeux des débats internes, rien, ou presque. Comme si cette question était subalterne ! Voici quelques pistes pour s’y retrouver :
1/6) De l’écologie scientifique à l’écologie politique
L’écologie naît en tant que discipline scientifique, devient un engagement naturaliste, critique ensuite la société productiviste pour tenter ensuite l’aventure politique et électorale. Le terme écologie apparaît en 1866 avec Ernst Haeckel, mais on ne le trouve dans le petit Larousse qu’en 1956. L’origine scientifique permet l’explication globale du monde et donne des gages de sérieux. Que l’on pense à la couche d’ozone, aux mesures de niveaux d’émission de gaz à effet de serre, aux études sur le cancer, l’écologie politique avance main dans la main avec nombre de professeurs, biologistes, chimistes, médecins, laboratoires de recherche... C’est aussi la dégradation de nombreux sites qui attire l’attention des amateurs des beaux endroits, un marais, un littoral ou une forêt qui disparaît ou s’amoindrit. La préservation de l’environnement est d’abord un loisir de nantis ou d’esprits tournés vers la contemplation. L’UICN ou Union internationale de conservation de la nature voit le jour fin 1948. Cette écologie conservationniste est souvent conservatrice.
A partir du milieu du XXe siècle, l’émergence de la finitude de la planète apparaît comme un enjeu majeur. Mai 68 apporte aux idées écologistes l’élément qui manquait, une jeunesse en quête d’une vision radicalement nouvelle de la société. De la section française des Amis de la Terre en 1971 à divers comités de défense de l’environnement, les concepts écologistes passent dans des brochures, des magazines et des livres. C’est surtout au travers de la mobilisation anti-nucléaire que le mouvement écologiste va connaître ses premiers combats retentissants et mobilisateurs. Avec la campagne de René Dumont pour les présidentielles 1974, l’action écologique de terrain passe dans le jeu institutionnel. Pourtant le terme écologiste ne figure dans le petit Larousse qu’en 1976, alors que de nombreux activistes l’utilisent depuis longtemps.
La sociologie des militants écologistes paraît surdéterminé par une propension d’éducateurs alternatifs. Dans tous les domaines, les écologistes se donnent comme mission de « révéler » les problèmes, d’informer la population (et les décideurs), de proposer des solutions alternatives. Bref l’écologie activiste se décline en deux piliers : scientifique pour expertiser, sociétale pour populariser les problèmes. C’est une démarche idéalo-scientifique.
2/6) Ni droite ni gauche, le positionnement sur l’échiquier politique
Les figures imaginaires mobilisées s’inscrivent toujours dans un récit structuré et cohérent, qui fait suite aux grandes idéologies de l’ère industrielle. L’écologie politique comporte la même temporalité ternaire du mythe, passé harmonieux du climax, présent catastrophique et projet de sauvetage de la planète ; toutefois le héros central du récit n’est plus le prolétariat comme dans la philosophie de l’histoire du XIXe, mais la nature. Après le libéralisme et le socialisme du XXe siècle, l’écologie est la grande idée du XXIe siècle, qui répond à la principale question du temps : la question naturelle. C’est au-delà du clivage droite-gauche que se situe l’écologie. Corinne Lepage, Dany, Cécile ou José, tous expriment un refus de se laisser enfermer dans le clivage entre une gauche dont nul ne semble plus distinguer les valeurs et une droite dont on sait trop ce quelle réserve à l’écologie, en dernière analyse.
Corinne Lepage n’a jamais eu d’autres engagements politiques que l’écologie, n’a jamais été dans d’autres partis politiques qui ne soient écologistes. L’écologie doit affirmer son autonomie. Elle était dès la première réunion de Génération Ecologie en 1990, elle a créé Cap 21 en 1996, devenu parti politique en 2000. Elle a parcouru presque tout l’éventail politique, elle en connaît les dessous : « Les partis traditionnels ont certes un volet écologique dans leur programme politique, cela va de soi. Mais la question est traitée en aval. Lorsqu’ils ont décidé le modèle socio-économique qu’ils veulent mettre en place, alors ils se posent la question de l’impact environnemental que cela va avoir. La particularité de l’écologie politique est dans l’inversion de l’ordre des facteurs : qu’est-ce qui fait système ? Moi, je suis pour faire de l’économie un sous-système de l’écosystème global. L’alternative, c’est de ne plus considérer les capacités physiques de la planète comme étant une variable d’ajustement, mais comme étant le point à partir duquel on construit un projet politique. »
Daniel Cohn-Bendit précise : « Dans le ni droite, ni gauche, il y avait quelque chose de juste. C’est vrai qu’on est critique du productivisme de gauche, et du productivisme de droite, donc on est ni à gauche, ni à droite, on est autre part… C’est vrai aussi qu’à certains moments historiques, il faut créer des majorités, et que dans certaines majorités, tu ne peux pas réaliser ce que tu veux faire. »
Cécile Duflot peut conclure : « C’est vrai que c’est compliqué de faire des alliances avec le Parti socialiste. Oui, on est une troisième voie ; oui, on est capable de passer des accords ; non, ce n’est pas automatique. Nous Europe Ecologie et les Verts, notre position, c’est de revendiquer, à la fois, l’autonomie de notre projet politique différent, et la possibilité de passer des accords. On ne peut légitimer des valeurs politiques qui sont basées sur la compétition, la concurrence, le refus de prendre en compte le long terme… »
En clair, le refus du positionnement procède d’un refus des termes habituels du champ politique pour restituer le radicalisme que les écologistes veulent poser comme une nécessité. Mais comment, sans le soutien du PS, accéder à la qualification aux législatives, scrutin uninominal à deux tours ?
3/6) Avantage et risque de la majorité plurielle
L’échec des Européennes fin 1994 sanctionne la division de l’écologie politique, complètement parcellisée à l’approche de l’élection présidentielle de 1995. Les Verts sont redevenus le principal parti de la mouvance, mais entouré de multiples petits groupes issus de leurs rangs ou de Génération Ecologie. Ils doivent aussi compter avec la concurrence du MEI (mouvement écologiste indépendant) d’Antoine Waechter ou CAP 21 de Corinne Lepage. Jacques Chirac est élu. Mais le 21 avril 1997, il dissout l’Assemblée nationale à la surprise de tous. Pour l’opposition, la campagne des législatives arrive très vite. L’idée d’une alliance rouge-rose-vert est évoquée. Dans l’urgence, elle est conclue en quelques jours. Les Verts dépendent du bon vouloir socialiste, qui leur laisse seulement une dizaine de circonscriptions gagnables. Ils obtiennent 7 élu-es. Le soir même, Lionel Jospin insiste pour que Dominique Voynet rentre au gouvernement. Malgré le refus du parti, signifié par un vote du CNIR à plus de 80 %, elle accepte. Avec la gauche plurielle, la cote de popularité des Verts dans l’opinion progresse, ils deviennent le parti quasi-unique de l’écologie.
Avec les élections européennes et locales, le poids du nombre d’élus se fait progressivement ressentir : on dénombrait en 2008 environ 2000 élus pour quelque 6000 adhérents. Si l’on ajoute les collaborateurs d’élus, la majorité est de fait entre les mains d’une nouvelle « caste ». En devenant un professionnel de la politique, on prend les habitudes de ce milieu, cumul, maintien dans la fonction. Au risque d’une lutte pour les places. En période de reflux électoral, la tentation est forte de négocier des postes contre une alliance de premier tour. Il y a un risque de dépendance à l’égard du grand frère socialiste. Il y a une sorte de péché originel de tout parti qui tient à la structure du pouvoir : toute mystique tend à dégénérer en religion, puis en bureaucratie, puis en simple enjeu de pouvoir. Le risque, pour les écologistes, est peut-être de s’être avancé trop vite et trop loin dans la course aux mandats et la compétition pour les obtenir, sans avoir préalablement constitué de réseaux sociaux solides, centres de formation, médias, lieux emblématiques et grands rassemblements pour constituer et souder le « peuple écolo ».
Corinne Lepage pense que s’arrimer au PS n’est pas une bonne idée : « Il nous faut affirmer une vraie autonomie, une vraie autre voie. Le fait de s’arrimer automatiquement et dès le départ au PS, est très gênant. »
4/6) Un ou une candidat(e) aux présidentielles ?
le vote écologiste aux présidentielles :
1974 |
1981 |
1988 |
1995 |
2002 |
2007 |
2012 |
Giscard |
Mitterrand |
Mitterrand |
Chirac |
Chirac |
Sarkozy |
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Dumont 1,32 % |
Lalonde 3,87 |
Waechter 3,77 |
Voynet 3,31 |
Mamère 5,24 |
Voynet 1,57 |
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Lepage 1,88 |
Bové 1,31 |
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Dans la perspective des présidentielles 2007, Nicolas Hulot accorde une interview au Journal du dimanche le 30 juillet 2006 : « On m’écoute poliment, mais on ne m’entend pas. Si rien ne bouge, tout est possible. Etre candidat à la Présidentielle n’est ni ma vocation, ni mon fantasme. Mais si la seule solution est de franchir la ligne rouge, je ne l’exclus pas. Encore une fois, que les politiques prennent leurs responsabilités, qu’ils osent enfin dire aux Français que nous courons à la catastrophe si rien n’est fait. » Avec le Pacte écologique qu’il présente, tous les candidats deviennent des écologistes déclarés. Les Français semblent considérer que l’écologie, « c’est tellement important que cela devrait concerner tous les partis ». Quelques semaines plus tard, la déconfiture de la candidate Voynet trouve une forme d’explication dans ce brouillage général : quand tout le monde devient écolo, plus besoin d’écologiste patenté et estampillé vert, semble dire les électeurs. Les Verts perdent non seulement leur électorat, mais aussi leur prééminence sur la scène médiatique en tant que porteurs de l’idée de l’urgence écologique. On en revient alors à la question de la posture à tenir dans le champ politique et à celle de l’adaptation des moyens et des fins.
Au début de 2010, Daniel Cohn-Bendit défendait la proposition de ne pas présenter de candidat en échange d’un groupe de députés à l’Assemblée nationale. Quelques mois plus tard, il semble avoir changé d’avis. Sur France Inter, il explique : « J’avais soutenu Ségolène royal. Je me suis trompé, ça peut arriver à tout le monde… Je crois que Dominique Strauss-Kahn est intellectuellement le plus apte à trouver des compromis dans la gauche et avec les possibles partenaires de la gauche pour nous faire avancer. » Et puis il a aussi soutenu Eva Joly dans sa candidature, sans renier l’intérêt que pourrait avoir une candidature Hulot.
José Bové : « Si EELV présente un candidat en 2012 – et moi je crois qu’on doit le faire, sinon on laisse la porte ouverte de la représentation écologique à des gens qui n’auraient pas les meilleures intentions du monde -, il faut que ce soit quelqu’un qui incarne ce qu’est devenue l’écologie aujourd’hui. »
Cécile Duflot : « L’élection présidentielle, en France, est symbolique. L’écologie politique est et s’affirme, elle doit donc avoir un candidat. Comme par ailleurs, c’est une élection à deux tours et que les gens sont capables de comprendre qu’on fasse des accords, je pense qu’il y aura un-e candidat-e. »
Corinne Lepage : « Dans le système français, le moment phare, c’est la présidentielle. L’écologie politique, aujourd’hui, c’est la troisième force politique en France, donc elle doit être présente. Le scénario idéal, c’est un candidat qui fait 15 %. Il faudrait trouver quelqu’un de crédible, un candidat dont les Français pourraient dire – il peut être Président de la République. »
Ne pas présenter de candidat, c’est décevoir électeurs et sympathisants, déçus par des arrangements en coulisses. Des électeurs qui considéreraient que l’écologie politique sert à la fois à canaliser les multiples formes d’impatience face à l’inertie des partis traditionnels et à redessiner le paysage de la gauche et du centre dans la perspective des principales batailles électorales à venir. L’hypothèse d’une candidature écologiste serait ainsi perçue comme une façon de répondre à ce double impératif : imposer l’écologie comme centrale et dessiner le rassemblement large capable de l’emporter. Une candidature écolo semble donc un moindre mal, nécessaire pour faire vivre le projet écologique, mais aussi pour peser dans la négociation avec le partenaire socialiste. Un retour à la « majorité plurielle », nouvelle formule, avec des écologistes plus forts, en quelque sorte.
5/6) Les caractéristiques des écologistes
Des théoriciens de la décroissance aux adeptes d’un capitalisme vert, les visions du monde sont encore aux antipodes. L’écologie est un camaïeu, une mosaïque de pensées aux frontières floues et rétif à tout dogmatisme. Pas de figures tutélaires, d’auteur unique ou de petit livre Vert à brandir. Fluidité idéologique - qui confine au flou, par moments -, capacité à attirer sur des thématiques liées à la sauvegarde de l’environnement, mais aussi des positions sociétales rénovées, l’écologie est plus une éthique qu’une idéologie, une axiologie qu’un dogme.
Pour Cécile Duflot, l’écologie c’est à la fois la subtilité et la complexité qui aboutissent à une forme de pragmatisme, sans recettes miracles. C’est ce qu’Edgar Morin appelle la voie. C’est de marcher sur un chemin, de s’adapter, de réorienter, de corriger, sans un objectif unique et des plans figés. Mais la principale spécificité de l’écologie, c’est d’être radicale. Ecologie sociale et écologie profonde sont deux variantes d’une écologie radicale, c’est-à-dire qui va à la racine, qui critique, derrière les dégradations et les crises environnementales, une mauvaise organisation sociale. Son message est à portée universelle (penser global). Sur les différents sujets de société, il s’avère que les écologistes ont toujours des positions de libéralisme culturel. Il s’agit d’un système de valeurs anti-autoritaires, valorisant l’autonomie et l’épanouissement individuel, reconnaissant à chacun le droit au libre choix de son mode de vie, et fondé sur le principe de l’égale valeur intrinsèque de tout être humain.
L’écologie n’a pas beaucoup vécu, elle n’a pas derrière elle l’histoire de mutuelles, des coopératives ouvrières, des caisses de grève, pas de mouvement d’éducation populaire, ni des colonies de vacances. Mais elle mobilise un large mouvement disponible au sein de la population : des entrepreneurs et des intellectuels, des parents inquiets et des chômeurs en attente, des jeunes enthousiastes et des retraités disponibles. C’est par les parcours de vie bien plus que la catégorie socioprofessionnelle, que se caractérisent les militants du quotidien : le NIMBY urbain, l’ingénieur qui s’intéresse au renouvelable, l’individu qui décide de faire son potager, celui qui cherche à donner du sens à son épargne, le parent inquiet pour l’avenir de ses enfants…
Mais les efforts individuels ne peuvent pallier à un manque cruel d’organisation collective qui permettrait que l’écologie politique ait un avenir, puisse assurer un passage de relais, créer un lieu d’accueil et de formation à l’attention des nouveaux venus. A quand un mouvement d’éducation populaire écologiste ?
6/6) Postface
Premier round pour les candidats à la primaire d'Europe Ecologie-Les Verts lundi 6 juin 2011. Avec plus de 30 000 votants contre seulement 8 000 adhérents il y a deux ans, difficile de savoir qui peut l’emporter. D’autant plus que sur le positionnement politique, ils sont tous d’accord. Pour Henri Stoll, « L'écologie est à gauche », Nicolas Hulot a martelé « qu'il n'y avait pas de compatibilité politique avec la droite », Eva Joly estime que « Ceux qui soutiennent la droite peuvent difficilement avoir leur place à EELV ». Sauf que Nicolas fait entendre sa petite musique : « Est-ce que l'écologie n'amène pas un petit supplément d'âme que simplement être de gauche ? » (lemonde.fr avec AFP et Reuters | 07.06.11 |).
Nous devrions le clamer bien plus fort, l’écologie ou art de bien gérer notre maison commune (la planète) doit rassembler au-delà des sensibilités partisanes. L’écologie politique est une façon de penser le monde radicalement nouvelle qui ne peut s’enfermer dans les catégories habituelles.