Depuis le micro-organisme jusqu’aux activités humaines les plus élaborées, tout exige une consommation d’énergie. Même en dormant puisque notre corps est une machine régulée à 37°C, qui a en permanence besoin d’énergie pour assurer ses fonctions vitales. Avec les ressources fossiles, la douce torpeur de l’ébriété énergétique nous avait peu à peu envahis. Or le climat est bouleversé, c’est la fin des fossiles faciles et l’atome va à vau-l’eau. Une crise énergétique nous menace, on ne peut à la fois atteindre un état social fondé sur l’équité et un niveau toujours plus élevé de croissance industrielle. Le choix d’un modèle énergétique n’est pas neutre : il est une composante essentielle de la paix et de la solidarité, une pièce centrale dans la relation des êtres humains avec leur Terre d’accueil.
L’association négaWatt a été crée en septembre 2001. Le premier scénario négaWatt fut lancé en 2003 comme un défi adressé au Premier ministre Raffarin qui s’était engagé à diviser par 4, d’ici à 2050, les émissions de gaz à effet de serre de la France. Cet objectif s’était concrétisé par une « Loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique », sans s’en donner réellement les moyens. Pourtant le temps pour espérer nous en sortir sans trop de dégâts ne nous laisse pas le droit à l’erreur.
La démarche négaWatt se décline en trois temps : sobriété, efficacité, renouvelables.
1/5) La sobriété: réfléchir à nos besoins
La notion de sobriété nous invite à nous interroger personnellement sur nos besoins, sur leur importance réelle ou supposée, ainsi que sur les priorités que nous pouvons établir entre eux. Nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux aux essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables. Chacun peut se livrer à l’exercice pour lui-même, en famille ou au travail, de façon à prendre conscience de l’impact de tel ou tel achat ou comportement. Rien ne sera possible sans une adhésion pleine et entière de tous nos concitoyens. Il s’agit de faire jouer à plein ce qui est la contre-partie indissociable de notre liberté : notre responsabilité !
Prenons l’exemple de nos besoins de mobilité individuelle. Le principe de sobriété nous incite à les réduire en essayant de nous rapprocher de notre lieu de travail. Nous pouvons aussi recourir à un mode doux de déplacement, marche, vélo, rollers, trottinette… La sobriété dimensionnelle nous incite à éviter toute surpuissance inutile dans le choix d’un véhicule. La sobriété coopérative repose sur la mise en commun pour réduire les besoins : mutualisation des équipements, autopartage, co-voiturage, auto-stop. La sobriété d’usage consiste à limiter le niveau et la durée d’utilisation d’un appareil, conduite douce par exemple.
La population de la France atteindrait 72,3 millions à l’horizon 2050, mais les besoins en énergie peuvent être amplifiés si certaines tendances se prolongent, comme la décohabitation : les membres d’une même famille habitent de moins ou moins ensemble, les enfants des familles recomposées peuvent avoir une chambre chez chacun de leurs parents, etc. Il est déraisonnable de laisse se prolonger durablement la tendance à la baisse du nombre moyen de personnes par foyer. Après la maîtrise des surfaces, se pose la question du niveau de confort recherché. La température à l’intérieur des logements et des bureaux est fixée depuis 1979 à un maximum de 19°C.
La sobriété ne s’applique pas qu’à nos comportements individuels, elle doit guider nos choix collectifs, notamment l’aménagement de l’espace.
2/5) L’efficacité: optimiser les chaînes énergétiques
L’efficacité consiste à utiliser le moins d’énergie possible pour répondre à un besoin que l’on aura bien entendu réduit préalablement par l’application du principe de sobriété. C’est elle qui nous conduit à bien isoler nos logements, à optimiser les processus de fabrication, à réduire les pertes de distribution. C’est le domaine des ingénieurs et des techniciens.
Notre conduite actuelle est de plus en plus dictée par le court terme, satisfaction immédiate de nos besoins de consommation, obsession de la croissance, exigence d’une rentabilité financière rapide. Or le temps de l’énergie est un temps long : une grande partie des infrastructures que nous construisons aujourd’hui déterminera la production et la consommation d’énergie dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Le rythme de nos actions est d’autant plus crucial que la plupart des risques auxquels nous devons faire face ont un caractère cumulatif : chaque goutte de pétrole consommée nous approche de la pénurie, chaque gramme de dioxyde de carbone dans l’atmosphère contribuera à l’effet de serre.
3/5) Énergie renouvelable, énergie de flux
A l’opposé des combustibles de stock (charbon, gaz, pétrole, uranium), les flux d’énergie sont inépuisables puisqu’ils proviennent plus ou moins directement du Soleil. Les énergies renouvelables sont les seules capables d’assurer l’approvisionnement énergétique à long terme de l’humanité. Il n’est pas besoin d’attendre d’hypothétiques « ruptures technologiques » pour aller de l’avant : on peut faire beaucoup avec ce qui est déjà connu et maîtrisé.
En 1962, la force des cours d’eau fournissait la moitié de la consommation française d’électricité. Une directive européenne de 2001 a fixé l’objectif en principe contraignant pour la France de porter de 14 à 21 % en 2010 la part des renouvelables dans la consommation d’électricité. Avec 15 % en 2010, la France a complètement raté la marche !
4/5) Maîtriser le temps long, faire participer les citoyens
L’horizon choisi de notre manifeste est 2050, date commune des exercices sérieux de prospective, adoptée notamment comme échéance d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre correspondant à un « facteur 2 » mondial.
Une réduction de 10 à 20 % de la consommation annuelle d’énergie d’un ménage moyen peut être obtenue par les seuls changements de comportement des membres de la famille. Le concours « familles à énergie positive » a permis de vérifier que ces chiffres sont parfaitement réalistes. Il existe déjà quelques centaines d’Espaces info-énergie répartis dans toute la France qui fournissent des conseils gratuits. Il est nécessaire de développer une culture de la citoyenneté énergétique qui traverse tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles. Une pédagogie de la transition énergétique devra s’appuyer sur l’Education nationale et tous les organismes en contact avec des jeunes.
A terme, la voiture individuelle à moteur à explosion est exclue des centres-villes, comme le prévoit d’ailleurs explicitement le « livre blanc » de la Commission européenne sur les transports. La vitesse sur route est limitée de 90 à 80 km/h, sur autoroute de 130 à 110. Des incitations réglementaires améliorent le taux de remplissage des véhicules, covoiturage, plans de déplacement des entreprises, promotion de l’auto-stop. Le transport aérien est progressivement réservé à des usages limités pour les trajets de moins de 800 kilomètres.
5/5) Mesures à prendre
- création d’une haute Autorité indépendante de la transition énergétique ;
- pour une gouvernance territoriale de l’énergie ;
- pour un urbanisme ancré dans les territoires ;
- vers des bâtiments énergétique sobres ;
- vers des bâtiments énergétiquement efficaces ;
- vers des bâtiments optimisant les usages de l’électricité ;
- instituer une « redevance à la prestation » sur le transport routier de marchandise:
- pour une fin maîtrisée de la production nucléaire ;
- faciliter l’essor des renouvelables ;
- pour une contribution environnementale sur les énergies primaires ;
(édition Actes Sud, domaine du possible)