Christian Lévêque est hydrobiologiste de profession, spécialiste des milieux aquatiques continentaux et, entre autres, expert « biodiversité » auprès du Fonds pour l'Environnement Mondial. On attendait donc beaucoup de son livre. Or, ceux qui recherchent des noises aux écologistes seront satisfaits. Par contre ceux qui pensent que l’écologie scientifique peut nous donner des raisons objectives de combattre la détérioration de la biosphère par l’activité humaine seront très déçus.
1/3) la minimisation des données scientifiques
Prenons l’exemple du réchauffement climatique. Christian Lévêque affirme que « le changement climatique vient nous rappeler que les écosystèmes ne sont en aucun cas des ensembles statiques (p. 60) ». En clair, pas besoin de se préoccuper de l’effet de serre d’origine anthropique, l’évolution du climat est quelque chose de normal. Plus loin, il confirme : « Pour des raisons éthiques ou émotionnelles, on peut regretter que l’existence de l’ours blanc soit compromis par la fonte des glaces polaires. Mais sa disparition n’empêcherait pas l’écosystème arctique de fonctionner (p.83)… Est-il judicieux de mener certains types d’opérations en milieu côtier, alors que l’on sait que certaines zones seront probablement submergées d’ici quelques décennies ? » En clair, peu importe la montée des eaux, la disparition de l’ours blanc et le sort des générations futures. En page 95, il ajoute que « l’écologie reste une science de l’observation et il faut se faire à l’idée que nous ne pouvons pas tous modéliser. » Il n’a aucun pensée sur les modèles climatiques fournis par le GIEC (groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), si ce n’est un déni a priori des résultats : « Qui peut dire avec certitude quel sera le climat dans 50 ans ? (p.100) » Le GIEC s’appuie pourtant sur un calcul de probabilité, ce que fait semblant d’oublier Lévêque. Climatosceptique ?
Cette négation feutrée du réchauffement se double d’une minimisation constante de la 6ème extinction des espèces : « Qui peut ignorer que la vulnérabilité des espèces aux impacts anthropiques est très différente pour un micro-organisme et pour un mammifère… Les extinctions d’espèces sont certes regrettables, mais il n’y a aucun élément pour affirmer qu’elles vont aboutir à une catastrophe écologique… Il est difficile de s’attaquer aux idées reçues et aux gourous… L’idée selon laquelle les communautés riches en espèces fonctionnent mieux est ancienne. Mais ces approches sont fortement contestées. » Par contre Christian Lévêque ne voit aucun mal dans les espèces invasives. Etonnant !
2/3) Un livre anti-écolo
Le paradoxe, c’est que l’idéologue Christian Lévêque traite les autres d’idéologues en faisant un saut conceptuel vertigineux : « L’écologie scientifique fait le constat de la dégradation de la planète, thème qui est la raison d’être de l’écologie politique… mais l’analyse scientifique par les écologues ne se transpose pas dans l’ordre de la politique… » Ce qui voudrait dire que la planète se dégrade, mais que personne n’a le droit d’intervenir ! Par contre, si Lévêque est un spécialiste des zones humides, mieux vaudrait les éradiquer : « Dans l’évaluation des zones humides, les ONG environnementalistes refusent de prendre en compte le fait que ce sont également des émetteurs de méthane, un puissant gaz à effet de serre, et que ce sont les principaux réacteurs de maladies parasitaires, notamment en milieu tropical… Pour protéger les oiseaux migrateurs, il faut protéger les zones humides africaines. Mais qu’en est-il de la santé des paysans du Sahel ?... Aux Etats-Unis, la conservation des zones humides est devenue une véritable industrie, avec des banques de compensation… » Incompréhensible !
Bien entendu, comme tout idéologue, Christian Lévêque égratigne de façon injustifiée les malthusiens : « le paradigme de la lutte pour l’existence qui est issu d’une analyse malthusienne de la société capitaliste… » Darwin avait lu Malthus, ce qui ne voulait pas dire que Malthus avait parlé du « struggle for life ». Comme tout anti-écolo qui se respecte, Lévêque pourfend Paul Ehrlich, Michel Tarrier ou le commandant Cousteau qui sont à son avis trop malthusiens. De même il entretient la confusion sur la philosophie du norvégien Arne Naess, l’écologie profonde : « Quand on sait que c’est aux Etats-Unis que l’on rencontre le plus d’adeptes de la deep ecology, on se doit d’être vigilants sur la naturelle du discours produit par les ONG de protection de la nature dont la plupart ont leur siège aux Etats-Unis… L’approche écocentrique a ses extrémistes, la deep ecology pour qui il faut protéger la nature contre tout ce qui pourrai constituer un danger à son égard. » Nous avons là des exemples d’amalgame empreint de mauvaise foi. Il fait même semblant de confondre les écologistes engagés avec les créationnistes. N’importe quoi !
3/3) Conclusion
Il y a de bons passages, par exemple sur la mainmise éhonté des économistes sur la nature. Mais une accalmie dans un livre outrancier ne fait pas un bon livre.
Ce n’est donc pas un livre écrit par le scientifique Christian Lévêque, mais par l’idéologue qui habite cette même personne. Comme il le reconnaît lui-même, « les écologues sont imprégnés, comme les autres citoyens, des idées dominantes de leur temps et de leur culture ». En fait cet ouvrage est dans la lignée de polémistes comme Bruckner (le fanatisme de l’apocalypse) ou Kervasdoué (les prêcheurs de l’apocalypse) qui sont d’ailleurs cités. En clair, la situation n’est pas dramatique, aucune inquiétude à avoir, il faut combattre « la montée en puissance d’un discours dramatisant sur la santé de la Terre ». Car, selon lui, la « dramatisation est un moyen d’attirer l’attention sur une question qui, sans cela, resterait dans la marginalité. » Pour Lévêque, ce n’est pas le profit des entreprises prédatrices qui importe, mais le profit que les environnementalistes tireraient de la situation : « La dramatisation profite, à n’en pas douter, aux associations et ONG de protections de la nature. » Et l’anti-écologisme a ses supporters !
En fin de compte, Lévêque se positionne comme un fataliste : « Il faut se faire une raison, en écologie le futur est incertain et indéterminé… » Pourtant il termine son ouvrage par cet acte de foi : « Rien n’interdit de penser que de nouveaux écosystèmes pourront être créés en utilisant la biologie de synthèse. » A n’y rien comprendre !
(éditions QUAE, 144 pages, 16 euros)