calmann-lévy, 332 pages (18,50 euros)
La politique, son rôle de conseiller auprès des chefs d’Etat, ses mésaventures lors des primaires écologistes… ne forment pas le cœur du dernier livre de Nicolas Hulot. Il y a tout le déroulé de sa vie depuis son enfance, et surtout son amour passionné pour la nature et les animaux, sans oublier son tempérament casse-cou et ses émissions télé. Voici quelques extraits de son livre :
1/3) un tempérament d’écologiste venu de la télé
Quand j’avais 16 ans, l’âge de l’inconscience, j’aimais passionnément la moto, la vitesse et la compétition. Pour moi, les pilotes d’hélicoptères étaient des demi-dieux. Pour France Inter, je cours le Bol d’Argent à moto sur le circuit du Castellet, micro coincé dans le casque. Maintenant j’estime qu’il faut réduire notre addiction à la vitesse, entrer en cellule de dégrisement et se fixer des limites. Les lignes de TGV n’ont pas de raison d’être. Ce sont des mœurs d’une autre époque de construire des corridors pour gagner dix minutes. L’urgence est de réhabiliter les lignes de TER et de RER. Nous arrivons en effet aux limites d’un système, pourtant les élus et les technocrates continuent d’appliquer des recettes d’un autre âge.
J’appartiens à une génération qui s’est éveillée aux premiers reportages animaliers grâce à Frédéric Rossif et son émission La vie des animaux. Je n’imaginai pas qu’un jour, je serais enlacé par une femelle gorille un peu trop excitée ou embrassé sur la bouche par une baleine ! TF1 m’a proposé en 1987 d’animer un « magazine d’aventure ». J’ai voulu être le narrateur de situations dont les téléspectateurs pouvaient rêver. Nous sommes allés très loin et parfois nos rêves étaient supérieurs à nos facultés : les situations qui auraient pu tourner au drame se comptent par dizaines. J’ai aussi voulu avec Ushuaïa montrer la beauté du monde pour recréer un lien émotionnel entre l’homme et la nature. Le postulat : l’émerveillement comme premier pas vers le respect. Si personne ne montrait ce qu’il y avait de merveilleux sur cette terre, comment créer de l’adhésion à quelque chose qu’on ne visualisait plus ? Quand nous sommes bouleversés par un paysage, la vie est belle. Montrer le rapport désastreux entre l’homme et la nature, les journaux d’information le font très bien et beaucoup mieux que moi.
En terme d’audience, Opération Okavango fut une réussite : la « nature et les hommes » en prime time. Le coût prohibitif en a précipité la fin. Ma proposition de faire évoluer l’émission vers un magazine où les civilisations seraient le cœur des reportages n’a pas fait bondir de joie la direction. Patrick Le Lay n’apprécie pas qu’au lieu de faire le zèbre en poussant des cris d’indien, j’écoute des scientifiques m’expliquer posément l’objet de leurs études : « Cela n’intéresse pas les gens ! » claironnait-il. Idem quand je dirige nos caméras vers des tribus reculées d’Amazonie ou d’Afrique. A TF1, on avait la prétention de savoir précisément ce que les téléspectateurs aiment ou pas. En 2007, lors de la signature du Pacte écologique, Patrick Le Lay devient hystérique : il voit l’impact sur les politiques, et là, il ne supporte plus : « Pour qui tu te prends ? » Y a-t-il eu des pressions sur lui pour me barrer la route ?
En 1998, Usuhaïa nature reprend le flambeau d’Okavangao. L’hélicoptère qui avait été un outil de travail pendant des années s’est fait plus rare. Trop polluant. On compensait le bilan carbone de chaque émission dans des projets de reforestation. Nous poursuivons l’exploration de peuples à la civilisation en sursis. Je pense aux Papous, aux Pygmées, aux Aborigènes, tous ces peuples premiers, ces « oubliés du temps » avec qui j’ai partagé des repas et des rites. Pour avoir côtoyé tant de diversité culturelle, j’ai appris que les autres sont tout aussi universels que nous. Nos intervenants sont anthropologues, naturalistes, spécialistes de la biodiversité, botanistes, paléontologues… Scientifiques de terrain, pour la plupart. Au départ leurs réserves étaient grandes vis-à-vis du bateleur qui les sollicitait : travailler avec la télévision privée semblait une forme de compromission. Mais ils ont dépassé leurs préjugés et admis qu’on pouvait rendre leur travail accessible à tous de manière intelligente. Les grands voyages des naturalistes comme Darwin ou Buffon, nous les avons faits avec les moyens de notre époque. Mon regard sur la nature a changé définitivement. Je n’imaginais pas que les arbres, les plantes, pouvaient communiquer en s’envoyant des signaux chimiques. J’ai l’impression que les animaux essaient de me dire quelque chose et que je n’ai pas l’intelligence de comprendre leur langage. J’ai compris que ceux qu’on qualifie de « mauvaise herbes » ou de prédateurs ont un rôle à jouer. Couper un arbre ou tuer une araignée ne sont pas des actes insignifiants. L’homme n’est pas distinct dans ses origines et dans sa communauté de destin : tout est lié.
Beaucoup de gens résument l’environnement à quelque chose d’extérieur au sort de l’homme. Peu ont conscience que c’est un sujet majeur qui conditionne l’avenir de l’humanité. C’est cette conviction profonde basée sur une réalité scientifique qui fait tout mon engagement. On sait maintenant que nos ressources sont en récession et que la planète nous impose des limites. Les lois humaines ne peuvent pas s’affranchir de la loi de la nature. J’ai vécu avec mes reportages une complicité fusionnelle avec la nature et les animaux. Ils ne me sont pas étrangers, j’appartiens à cette communauté tout entière et mes liens avec eux sont aussi forts qu’avec les hommes. Cette sensation de faire partie d’un tout ne se tarit pas, elle se développe et maintient mes sens en éveil. Le plaidoyer de Jean Dorst, Avant que nature meure, fut mon livre de chevet. J’ai pensé écrire une suite qui, hélas, se serait appelée Pendant que nature meurt.
2/3) Un engagement au plus haut niveau en écologie politique
Hormis François Mitterrand qui m’a complètement snobé, j’ai échangé avec tous les responsables politiques. La Charte écologique a été votée sous mon impulsion et j’ai travaillé avec Jacques Chirac la rédaction de son discours au Sommet de la Terre en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » A l’époque, je pensais vraiment que nous allions éteindre l’incendie. Jamais je n’aurais imaginé que rien ne bougerait vraiment.
Dans la presse, je suis « l’homme de Chirac » un jour, ou « l’homme de Sarko », demain celui de Hollande. Les esprits chagrins ne comprennent pas que j’incarne ainsi ma transversalité, parce que l’écologie est transversale et ne peut pas s’accommoder des divisions politiques. Un jour j’ai demandé à Sarkozy : « Est-ce que tu sais comment s’appelle la cause principale de tous les désordres environnementaux ? » Silence. « C’est le libéralisme », lui dis-je. Il tique, bien sûr. On me reproche aussi de créer des rencontres avec les acteurs économiques. Mais pour revoir le modèle capitaliste, il faut bien parler aux grands patrons. Pour les « coups de force », on n’a pas besoin de moi, Greenpeace fait ça très bien.
Mon engagement, je l’ai poussé à son paroxysme. Quoi de plus incongru en effet que de se jeter dans la course à la magistrature suprême en 2012 quand on mène une vie de vagabond ? C’est l’urgence de la situation et mon inquiétude qui m’ont poussé à m’engager dans la primaire écologiste. Il fallait que je m’attende à une campagne dure, je pouvais sortir de cette aventure électorale en charpie. Nonce Paolini, le P-DG de TF1 m’écrivait avec humour : « Demain les piqûres et les morsures des animaux politiques et des hyènes médiatiques. Tu vas trouver les forêts colombiennes bien paisibles à côté du marigot parisien ! »
J’avais lancé le Pacte écologique pour la présidentielle 2007. Je demandais aux politiques de ne plus s’affronter systématiquement mais de valider les idées pertinentes d’où qu’elles viennent. S’il n’existe pas un esprit de concorde entre la droite et la gauche, nous assisterons impuissants à l’effondrement de notre planète. Si les politiques signent le Pacte, je me retire de la course à la présidence. Après son paraphe, Sarkozy me renvoie dans les gencives : « Cet exercice ridicule auquel tu m’as obligé à me prêter devant tes écologistes barbus… »
Une candidature en solitaire aux présidentielles 2012 aurait été une déclaration de guerre à EELV. C’est un regret que j’ai encore aujourd’hui, j’aurai dû me présenter seul, sans parti. Je voulais créer un nouvel imaginaire collectif. Construire un monde. Ne plus le regarder se défaire devant nos ordinateurs… En me présentant sous une étiquette, je me suis réduit à une formation politique. Lors des primaires, Stéphane Lhomme va trouver là une occasion de pouvoir proclamer au monde toute la haine qu’il me voue. Une haine sans limites dont la violence me stupéfie. Etre contre n’a jamais produit un projet. L’équipe d’Eva Joly commence à distiller dans la presse un certain nombre de suspicions à mon égard, contrairement au code de bonne conduite qu’elle et moi avions promis de ne pas transgresser. Eva Joly en arrive à lâcher publiquement : « La notoriété ne fait pas la compétence… » Pour certains, je suis même un arriviste inféodé au pouvoir, l’homme des multinationales. Le début de primaire est désastreux et donne de l’écologie une image épouvantable. Je suis effondré. Durant cette primaire, jamais nous ne parlerons du fond ni ne partagerons ensemble une vision de l’écologie. Il n’y aura que des stratégies minables. Le corps électoral se réduit aux plus motivés, les anti-Hulot ! Pendant ce temps, EELV a négocié un accord avec le parti socialiste sur un certain nombre de députés sans demander mon avis ni celui d’Eva Joly. Conditionner l’engagement écologique à un ancrage politique est un problème majeur. Il aurait fallu que je proclame ma symbiose absolue avec la gauche alors que, sur les sujets écologiques, elle n’est pas plus éveillée ou instruite que ne l’est la droite. Si leurs priorités diffèrent, leurs modalités sont identiques.
Il y a quelque chose de profondément vicié à l’intérieur d’EELV. Dans l’état d’esprit actuel des militants, je sais que l’avenir politique ne passera pas par cette formation. Les fondamentaux écologiques y sont mal représentés. La société française ne se reconnaît pas en elle alors qu’elle aspire naturellement à ces sujets. Avec cette campagne présidentielle calamiteuse, les écologistes ont même créé une irritation dans la société française. Un rejet. Fin juillet 2011 après les primaires, je téléphone à Eva Joly qui essaie de m’expliquer la vie : « Tu sais, Nicolas, dans une campagne politique, on est obligé de dire certains mots. Ce sont des artifices… » J’ai réalisé combien l’incompatibilité avec ceux qui, semblait-il, étaient de ma famille, sera définitive. Demain mon attitude sera dictée par l’intuition de la plus grande utilité.
Le ministère de l’écologie, qui était un ministère régalien et dont le territoire avait été élargi lors du gouvernement Sarkozy, a rétréci comme peau de chagrin, et personne ne s’en est ému. Nicole Briq est « mutée » après quelques jours pour avoir tenté de revenir sur des permis d’exploration obtenus par Shell au large de la Guyane. Sa remplaçante Delphine Batho ne tardera pas à être limogée pour s’être plainte publiquement des coupes budgétaires imposées à son ministère. Cécile Duflot a les clés du Logement, Pascal Canfin celles du développement, ils ont déjà dû avaler leurs premières couleuvres. Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est devenu le superbébé du Premier ministre alors qu’il est symptomatique de la planification des Trente Glorieuses. Les experts disent que pour rentabiliser cet aéroport, il faudrait tabler sur une hausse du trafic aérien de 3 % par an ; ils savent déjà que cela ne se produira pas.
3/3) conclusion
Quand je me suis intéressé à l’écologie, je ne pensais pas que l’humanité était en péril. Pour moi, la planète était grande, inépuisable, et l’homme était insignifiant. Lorsque j’observais certains pans de nature en péril ou des espèces menacées, je n’avais pas conscience de l’échelle et de la rapidité des phénomènes. La vérité s’est imposée peu à peu et, grâce à un métier exceptionnel, j’ai acquis une instruction, une conscience. Mon film, Le syndrome du Titanic, m’a permis de révéler mes angoisses, mes révoltes et mes aspirations.
Dans cette destruction de nos écosystèmes, l’homme est en train de compromettre son propre avenir. Il est capable de prouesses technologiques les plus incroyables et il est victime de sa puissance et de son aveuglement. Au moment où il faudrait anticiper la sortie des énergies fossiles, pour que la transition soit socialement la plus douce possible, nous sommes dans une sorte de frénésie pour aller exploiter toutes les ressources fossiles possibles et imaginables avec les techniques les plus dévastatrices. Il existe des forêts primaires où l’homme n’avait jamais posé le pied, et qui sont aujourd’hui complètement dévastées. En cinquante ans, la biomasse a été divisée par dix. Au lieu d’être raisonnables, c’est la fuite en avant, ce que les sociologues appellent la « tentation de la ruine ». Les héritiers du positivisme considèrent que l’homme aura toujours des solutions ; il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir que c’est exactement l’inverse qui est en train de se produire. On a basculé sans s’en rendre compte d’une ère d’abondance à la rareté, et de la rareté à la pénurie. Sans être cynique, parce que cela me terrifie d’avance, je pense que la nature me donnera un coup de pouce : si vous ne vous occupez pas de l’environnement, la nature s’occupera de vous. On sait qu’on approche le seuil d’irréversibilité. Si les ressources élémentaires viennent à manquer et si nous ne savons pas protéger notre patrimoine commun, des temps de grande barbarie nous attendent.
Il est urgent de nous projeter et de construire un monde de sobriété et d’équilibre entre ce que la nature peut nous donner et ce que nous lui demandons. Pour moi, tout est lié et Ushuaïa a scellé mes convictions et mon engagement, nourri en moi un respect intransigeant pour toutes les formes de vie. De là est né un attachement, une appartenance singulière et indestructible avec la nature. Ce respect n’est pas sélectif, il vaut pour la vie en général. J’ai le même amour pour l’homme, il fait partie intrinsèque de la nature. La combinaison de paramètres nécessaire au développement du vivant sur cette Terre tient du miracle ! Appartenir à cette planète est une chance rare que nous n’avons pas le droit de négliger.