Synthèse du livre : Les psychothérapeutes adaptent le patient à une société déstabilisante, ils soignent les symptômes et pas la cause du mal. Les écopsychologues estiment que notre rupture avec la Terre est la source profonde de notre malaise social. C’est pourquoi ce livre paraît indispensable. Il montre historiquement l’émergence de cette nouvelle approche qui lie écologie et psychologie, très répandue dans le monde anglo-saxon mais malheureusement encore ignorée dans l’espace francophone. La traduction de l’ouvrage de Joanna Macy (écopsychologie pratique et rituels pour la Terre) est une heureuse exception détaillée par Michel Maxime Egger. Celui-ci témoigne d’ailleurs d’une forte érudition sur la question. Il expose les différentes facettes de l’écopychologie et donne quelques précieuses indications sur les modalités d’un retour à la Terre qui pourrait atténuer l’anthropocentrisme dominant.
Cela présuppose une certaine rééducation dans une société industrielle qui a voulu systématiquement couper nos liens avec la nature. L’humanité est à un carrefour, elle ne sauvera pas la Terre si elle ne soigne pas l’esprit du mal : la bataille sera pour une bonne part dans nos têtes. Voici quelques extraits de cet ouvrage fondamental.
1/4) Définition de l’écopsychologie
La notion d’écopsychologie est attribuée à Theodore Roszack dans son livre « the Voice of the Earth. An Exploration of Ecopsychology » (1992). Il a lancé cette idée avec l’espoir que les relations environnementales deviendraient une composante de chaque orientation thérapeutique, au même titre que les relations familiales. La nature est en effet une forme de famille élargie dont nous sommes membres. L’expression « toile de la vie » est parlante : tout est en interrelation est obéit à des dynamiques de réseaux. L’enjeu est de sortir du double dualisme nature/humain et extérieur/intérieur pour développer une conscience de l’unité du réel. Les humains ne sont pas au-dehors de la nature.
L’approche de l’écopsychologie est transdisciplinaire, sa philosophie holistique, sa vision du monde écocentrique et sa visée thérapeutique. Ses sources d’inspiration sont multiples : écologie profonde (Arne Naess, psychologie trans-personnelle, éthologie animale, spiritualités des peuples premiers, théorie des systèmes, littérature naturaliste, etc. Les approches thérapeutiques ne sont pas moins hétérogènes : séjours dans la nature sauvage, thérapies assistées par les plantes et les animaux, travail qui relie, etc. Interrogez n’importe quel écothérapeute sur son parcours personnel et vous entendrez le récit émouvant de l’expérience d’un lien avec le monde autre qu’humain. Vous entendrez des histoires d’amour et d’émerveillement.
Une grande part des désordres écologiques sont le fruit de la démesure d’un système économique – productiviste, consumériste, techniciste – en voie de globalisation. Fondé sur la réduction de la nature à un objet et sur l’illusion d’une croissance matérielle et énergétique illimitée, le modèle de développement dominant excède les limites et capacités de régénération de la biosphère et de l’être humain. Les changements seront et devront être plus importants que ce à quoi nous sommes préparés. L’écopsychologie vise à unir la sensibilité des thérapeutes, l’expertise des écologistes et l’énergie éthique des militants de l’environnement. Car la planète est malade, elle a besoin de soins, elle nous parle à travers les plus sensibles d’entre nous. L’écopsychologie se veut radicale, elle entend remonter aux racines de la crise écologique.
2/4) Superficialité de la psychothérapie
La psychologie a besoin de l’écologie. En effet, chercher à soigner l’âme sans référence au système écologique dont nous sommes partie intégrante constitue une forme d’aveuglement autodestructeur. Si la crise écologique et nombre de troubles psychiques sont la manifestation d’une société malade et d’une économie qui détruit la vie, à quoi doit servir la thérapie : aider la personne à se réadapter au système ou à acquérir les ressources pour s’en libérer et œuvrer à sa transformation ?
La psychologie a très peu intégré la nature dans sa théorie et dans sa pratique. Comme si un environnement dégradé n’affectait pas la santé mentale de celles et ceux qui y vivent. Comme si, à l’inverse, des troubles psychiques ne se répercutaient pas sur l’environnement naturel. Si les patients traitaient les autres humains comme ils traitent la Terre, les thérapeutes prendraient ces comportements comme la preuve d’une sérieuse pathologie ; ils seraient même légalement obligés d’en informer les autorités. Or aucune catégorie du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) publié par l’Association américaine de psychiatrie ne prend en compte la relation de l’humain avec la Terre. L’approche se focalise sur la souffrance personnelle sans la resituer dans le contexte global. La psychothérapie dominante est le miroir de la culture occidental urbaine où elle est née. Elle promeut une conception atomisée de la personne qui n’est pas étrangère à la crise systémique que nous vivons. Comme si les êtres et les forces avec lesquelles nous partageons l’espace planétaire n’étaient pas partie intégrante de notre identité.
Joanna Macy exprimait sa colère face à la destruction des forêts vierges. Une psychothérapeute lui dit que les bulldozers représentaient sa libido et que sa souffrance venait de la peur de sa propre sexualité ! Mary-Jayne Rust avait l’impression d’être une thérapeute sur le Titanic : « Nous faisions peut-être du bon travail dans le cabinet, mais personne ne mentionnait que le bateau était en train de couler. » Que signifie « aller bien » dans un système que l’on peut considérer comme globalement pathologique ?
3/4) L’artificialisation de la vie
Que reste-t-il de la vraie nature dans nos villes, nos intérieurs aseptisés, nos supermarchés climatisés, nos jardinets engazonnés et nos autoroutes embouteillées ? Nous avons perdu le contact avec la texture de la terre, la lumière naturelle, les cycles de la vie.
De par notre formatage dès la petite enfance, nous sommes existentiellement et émotionnellement trop séparés de la nature pour être réellement touchés par les maux qui l’affectent. Le temps passé par les enfants dans la nature n’a cessé de se réduire durant les dernières décennies. L’enfant des villes est contraint de passer directement de la symbiose avec la mère à la maîtrise des relations sociales. L’adolescent entre dans la société sans avoir été initié aux mystères du monde naturel et croit que les seules réalités vivantes sont humaines. L’adulte prête plus d’attention à l’indice Dow Jones qu’au grand Tao de l’univers.
Une espèce qui s’obstine à détruire l’environnement naturel dont elle a besoin pour vivre dans la quête de chimères matérialistes et le déni de ce qu’elle fait, n’est-elle pas « folle » ? N’est-il pas fou de charger l’atmosphère de CO2 pour une semaine de soleil à l’autre bout du monde ? N’est-il pas fou d’anéantir des aires de nature préservée pour construire des supermarchés, des golfs et des parkings ? N’est-il pas fou de détruire des milliers d’hectares de forêts amazoniennes pour produire des agrocarburants destinés à nos voitures ? La liste des aberrations irrationnelles envers la nature est longue. Pour Roszack, la rupture avec notre mère la Terre est semblable à un parricide : « Je crois que l’allégorie qui domine toute ma pensée est celle de Frankenstein. Ce mythe montre comment l’homme est capable de créer quelque chose qui peut se retourner contre lui et le détruire. »
4/4) La tâche des écopsychologues
On ne peut comprendre les troubles d’un sujet si l’on n’étudie pas sérieusement son environnement global. Une écopsychologie responsable et cohérente devrait encourager une démarche critique et libératrice envers un système économique qui tend aujourd’hui à détruire la nature et épuiser les humains. L’écopsychologie cherche à savoir comment libérer les gens des addictions du supermarché et à encourager des valeurs qui servent la vie de la planète plutôt qu’elles ne la mettent en péril.
L’enjeu est, par un travail de conscience, de déconstruire le « faux moi » conditionné par la technologie et la consommation, de dévoiler le formatage par la publicité, le marché et les pressions sociales. Au moi égocentré, séparant et individuel qui a conditionné la culture dominante en occident, les écopsychologues substituent un « moi écologique », écocentré, reliant et transpersonnel. Le soleil ne brille pas sur nous, mais en nous. Les rivières ne coulent pas sur nous, mais à travers nous. Certains parlent des bois comme de leur « église ». Poser des questions est une composante essentielle du processus de prise de conscience. Des aspects personnels pourront être approfondis avec le patient au cours de la thérapie : Peut-il raconter une expérience positive vécue dans la nature ? A-t-il au contraire des souvenirs négatifs ? Va-t-il marcher, camper ou nager ? Que ressent-il ? La nature est-elle pour lui un espace de loisir ou une présence ? Passe-t-il la majeure partie de son temps dedans ou dehors, dans la lumière naturelle ou artificielle, assis ou en mouvement ? Nous sommes à la fois la victime et l’agresseur. Nous sommes la cause et nous sommes la solution.
La solution réelle ne réside pas tant dans des innovations technologiques et des lois vertes que dans une (r)évolution de la conscience permettant d’allier action écologique et transformation psychologique. Une mutation intérieure fondée sur la convergence des besoins de la planète et de ceux de la personne. Il convient d’inviter sur le divan la pollution atmosphérique, le réchauffement climatique et les insecticides. La question n’est plus : « De quoi ai-je besoin et comment l’obtenir ? » mais : « Quelle est ma place dans le monde et que puis-je faire pour qu’adviennent des relations plus justes avec la nature ? » Le respect de la nature doit faire l’objet d’une transmission de parents à enfants. Il ne saurait émerger sans une telle formation. L’enseignant guérisseur n’est pas spécifiquement le thérapeute, mais la nature elle-même. Les adultes devraient devenir des guides sur le chemin du devenir humain en connexion avec la terre. On pourrait définir la reconnexion à la nature comme un retour à la maison.
Editeur : Labor et Fides 2015, 290 pages, 25 euros
couverture : http://www.laboretfides.com/wp-content/uploads/2015/04/9782830915693-.jpg