Mathis Wackernagel est né en Suisse, à Bâle. A dix ans, il s’intéressait déjà au rapport du club de Rome « halte à la croissance » (limits to growth) qui venait d’être publié alors que le livre était à l’époque ridiculisé. A douze ans, lors du choc pétrolier de 1974, il s’interrogeait sur son avenir : « J’avais le sentiment qu’étudier le droit ne serait pas d’une grande aide, parce qu’en cas d’effondrement de la société, les lois en place seraient dépassée et ne serviraient plus à rien. Celles de la nature en revanche, sont là pour durer. J’en concluais que pour aider à reconstruire la société, je devais devenir ingénieur. » Tant de sagesse à une époque où on ne croyait qu’en la croissance économique poussait vers un grand avenir.
Après sa thèse à Vancouver, Il a commencé à travailler avec William Rees sur la notion de capacité de charge d’un écosystème, mais les gens croyaient que cette étude ne s’appliquait qu’aux animaux, les humains étant bien au dessus de ce genre de vicissitude. Alors il a approfondi la notion de capacité limite. Au lieu de se demander combien de personnes peuvent vivre sur un territoire, il a inversé la question en se demandant combien chaque personne utilise de nature, puis de comparer le résultat avec la disponibilité de la nature. Il avait inventé l’empreinte écologique ! Combien de planètes faudrait-il si chaque être humain se comportait comme un suisse ou un français ? Réponse : trois. Et combien en faudrait-il pour maintenir le comportement actuel moyen des êtres humains ? Réponse : une et un quart ! Nous sommes déjà en train de dilapider le capital de la Biosphère, nous puisons dans les stocks.
La Bourse de Wall Street donne le prix monétaire des ressources, le Global Footprint Network (GFN) de M.Wackernagel calcule la demande de toutes les ressources écologiques. Grâce aux données des Nations unies, la fondation définit le nombre d’hectares globaux nécessaires pour produire une pomme de terre, fabriquer une voiture, absorber le dioxyde de carbone qu’un individu relâche ou absorber les déchets qu’il produit. On peut agréger les données et calculer pour chaque pays sa production nationale en hectares globaux. Pour ne pas nuire à la réputation du GFN, le dépassement par l’humanité des capacités régénératrices de la planète est sous-estimée.
Ces limites écologiques ne sont pas comme un mur, elles fonctionnent plutôt comme l’argent : on peut dépenser plus que ce qu’on gagne, mais pas éternellement. Le calcul de l’empreinte écologique est donc cette comptabilité qui permet de calculer le déficit écologique. Le problème, c’est que pour l’instant le monde riche ignore l’existence de cette dette. Toute une section du programme du Millénaire porte sur l’empreinte écologique dont l’expression apparaît une centaine de fois. Le mot « dépassement », lui, ne survient que deux fois. De plus les gens savent intuitivement que quelque chose de terriblement mauvais est en cours, mais parler de « développement durable » remonte le moral ; il est trop dur de prendre des mesures réelles. Lors des conférences sur la durabilité dans les pays riches, les propos sont à la fois complexes et nébuleux. Pourtant le monde actuel s’éloigne du développement durable.
Si on calcule l'empreinte écologique de chaque pays et qu'on la divise par le nombre d'habitants, on constatait globalement qu’en 1961, chaque être humain ne consommait qu'environ 0,5 planète ; la population était moins dense et les besoins exprimés nécessitaient moins de surface pour être absorbés. En 2001, les habitants de certains pays africains ont une empreinte de 1 ha, alors que les habitants des USA en ont une de 10 ha et les européens du Nord de 6 ha environ. La moitié de cette surface est nécessaire pour absorber notre consommation d'énergie ; si on divise la surface productive de la planète par le nombre d'humains, on arrive à une surface productive par humain de 1,8 Ha. Par conséquent, l'être humain consommait environ 1,2 planète. En 2006, les humains ont en moyenne une empreinte écologique de 2,2 ha ! Pour faire un monde durable, il faudrait vivre avec beaucoup moins et il faudrait vivre avec encore moins pour laisser de la place aux autres espèces.
Il est possible de consommer plus d'une planète car l'humain emprunte ce qui est accumulé ou ce qui sera régénéré dans le futur, exactement comme un particulier ou une entreprise peut dilapider son capital et s'endetter. Aujourd'hui, un passif de 2,5 planètes a déjà été accumulé et, selon Mathis Wackernagel, dans une vingtaine d'année, le passif sera de 40 planètes. Dans l'état actuel des connaissances, il est théoriquement impossible de continuer à assouvir les demandes humaines telles qu'elles sont.
Le futur sera divisé non pas entre les idéologies de gauche et de droite, mais entre ceux qui acceptent les limites de la planète et ceux qui ne les acceptent pas ! Jusqu’à présent, tous les problèmes semblent être résolus par la croissance économique, plus il y a d’argent, plus il est possible de créer des emplois, de construire des écoles, mais les coûts environnementaux ne sont pas apparents. Quand on s’apercevra que vivre comme les Américains nécessite sept planètes, quand on s’apercevra qu’il y a un gâteau et un seul.
NB : Le Global Footprint Network a lancé une campagne « Dix sur dix » qui vise à institutionnaliser l’empreinte écologique dans dix pays d’ici dix ans. Cela montrera que les citoyens sont prêts à parler des limites écologiques ; la Suisse est en train de regarder quelles institutions pourraient vérifier les calculs de l’empreinte écologique. D’ailleurs l’article 73 de la Constitution helvétique indique : « La Confédération et les cantons oeuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain.» C’est exactement ce que l’empreinte écologique cherche à connaître !
site : www.empreinte-ecologique.com