(le passager clandestin, 372 pages pour 18 euros)
Anna Bednik est une journaliste engagée dans divers mouvement anti-extractivistes. Plusieurs livres font actuellement la même analyse, nous creuserons jusqu’au bout, nous avons tort, nous devons réagir même s’il est trop tard pour sortir indemne de l’impasse dans laquelle nous a mené la société thermo-industrielle extractiviste.
1/3) idées générales sur l’extractivisme
Définition de l’extractivisme : Intensification de l’exploitation massive de la nature, sous toutes ses formes. Notons que dans de nombreux textes académique en langue française, le vocable extractivisme (du terme brésilien extrativismo) se réfère à la pratique de la cueillette des produits de la forêt par la population amazonienne.
L’usage critique de ce mot s’est fait jour en Amérique latine, visant notamment l’obstination des gouvernements de tous bords politiques à tirer le plus grand profit des «avantages comparatifs» de leur pays sur la marché mondial, c’est-à-dire favoriser les activités extractives afin d’accroître les exportations des biens primaires. Critiquer l’extractivisme, c’est aussi dénoncer le discours développementiste qui a servi et continue à servir aux pouvoirs en place à justifier des projets destructeurs aux yeux des populations.
Des résistances, il y en a partout en Amérique du Sud. Mais en France ? Le scandale des gaz de schiste a éclaté à la fin de l’année 2010. Le pays découvrait avec stupeur que l’industrie s’apprêtait à cribler nos campagnes de forages d’hydrocarbures non conventionnels. Des collectifs citoyens se sont propagés comme une traînée de poudre. La multiplication des zad en France sont aussi autant de formes d’occupations de territoires contre les projets d’aménagement et d’expropriation de l’espace. Une perspective élargie du mot extractivisme ne se limite pas à l’extraction de ressources tirées du sous-sol, on peut inclure les grands barrages hydroélectriques, l’agriculture industrielle, les monocultures forestières ou encore l’accaparement de l’eau. L’extractivisme est un programme pour utiliser la terre et non pour vivre avec elle.
Les mobilisations concrètes et locales contre les projets extractivistes ou plus généralement pour la défense des territoires occupent tous les jours des milliers, voire des millions de personnes, qui sont autant d’agents de contagion. L’approfondissement d’une « culture de territoire» conduit à développer des pratiques collectives d’autonomie créatrice.
2/3) résumé du chapitre «en attendant la catastrophe»
La déclaration de Cochabamba ou « accord des peuples » en avril 2010 voulait venir au secours de «notre Terre-Mère». Dix-sept groupes de travail thématiques (mesas) avaient préparé cet accord, mais la Mesa 18, intitulé «Droits collectifs et droits de la Terre-Mère» n’a pas eu droit de cité à cette conférence mondiale. Le vice-président bolivien les a même qualifiés de «locaux, hors contexte et inopportuns». Cette Mesa 18 avait pourtant pour objectif d’approfondir l’analyse des effets locaux du capitalisme industriel global, de dénoncer l’exploitation des mines qui prive d’eau les communautés paysannes, pollue les fleuves et les lacs, et qui s’étend sur de nouveaux espaces car le gouvernement vend les concessions «comme du pain chaud». Ils ont cherché à confronter le nouvel activisme international de leur gouvernement à sa dépendance quasi totale vis-à-vis de la rente extractive qui se traduit par l’intensification de projets extractivistes à l’intérieur du pays : «Le gouvernement demande à l’extérieur qu’on respecte la Terre-Mère. Bien ! Qu’il commence dans sa maison.» La déclaration finale affirmait la responsabilité des régimes latino-américains dans la logique prédatrice et rappelait que la mobilisation sociale permanente était le seul chemin effectif pour transformer la société.
Les nouveaux tenants du pouvoir en Amérique du sud ont en effet poursuivi la spécialisation primo-exportatrice historique de leurs pays car la rente extractive a permis à ces régimes les fonds qui leur permettaient de financer les politique sociales. Aux dires du président équatorien Rafael Correa, on construira une société plus juste et plus équitable «avec le même modèle». La lutte contre la pauvreté (entendu au sens occidental du terme) a pris le dessus. Derrière la notion de développement, il y a l’idée que vivre ne serait pas suffisant. Ceux qui nous disent pauvres, expliquent les paysans-ronderos d’Ayabaca au Pérou «ne voient pas nos richesses, ils comptent l’argent». En Australie, les Aborigènes interrogent : «Nous avons du soleil, du vent et des habitants, Pourquoi polluer notre environnement pour de l’argent?» Le buen vivir (ou vivir bien) n’est plus qu’un slogan utilisé à des fins de marketing politique qui se confond, selon les besoins de ceux qui les utilisent, avec «développement», «services de base», voire «accroissement du pouvoir d’achat». Le seul fait d’intensifier l’extractivisme a enseveli l’espoir de renouveau. Il est incompatible avec le respect de la Terre-Mère et de la vie, il est indispensable au capitalisme. Sans extractivisme, le productivisme ne pourrait perdurer.
Les barrières écologiques, limites dites «externes» du capitalisme, semblent pouvoir précipiter l’effondrement du système plus rapidement encore que les problèmes récurrents de suraccumulation (contradictions «internes»). L’épuisement annoncé de nombreuses ressources naturelles et l’ampleur de la dégradation écologique apparaissent comme devant plafonner à plus ou moins court terme la croissance de la production et l’accumulation. Serait-on prêt à accepter un gouvernement autoritaire écologiquement éclairé, ou bien, doit-on, pour préserver la vie sur terre, compter, tout au contraire, sur une effet forêt, une façon de lier les êtres et les choses, de devenir ingouvernables? Il semble exagérément optimiste de donner le système capitaliste pour presque vaincu. On sait que les limites matérielles liées à la disponibilité des ressources sont repoussées toujours plus loin, au prix de l’exacerbation de l’extractivisme, de coûts humains et environnementaux de plus en plus élevés. Le capitalisme fait preuve d’une redoutable plasticité. L’urgence climatique offre par exemple un formidable alibi pour imposer de nouveaux impératifs techno-marchands. Les réductions des émissions de gaz à effet de serre sont cotées en bourse, les dérivés climatiques permettent aux investisseurs de parier sur les variations de climat, les services fournies par les écosystèmes se voient assignés des prix, chaque limite est mise à contribution pour renouveler les horizons du profit. Dans ce cadre-là, la rupture avec l’extractivisme est loin d’être à l’ordre du jour. Cela fait longtemps que des alertes sont lancées, la société industrielle est toujours passée outre. Partout se multiplient les «zones de sacrifice» dédiées à l’extraction de matières premières ou de vecteurs d’énergie, les déchets s’amoncellent dans les «zones poubelles» et les «zones interdites» ne sont pas limitées à Tchernobyl et Fukushima. Les espaces «pour être» se réduisent comme peau de chagrin. L’enrôlement utilitaire de l’espace est déjà en train de rendre la Terre inhabitable.
Le mouvement pour «changer le système, pas le climat» doit donc commencer à prendre au sérieux l’anti-extractivisme en ne mettant pas les émissions de GES au-dessus de toutes les autres formes de destruction de la nature. Les industries du pétrole, du gaz et du charbon ne sont pas les seules activités extractives à contribuer aux dérèglements écologiques planétaires. La véritable question n’est plus de savoir s’il reste des ressources disponibles, mais plutôt quels seront les coûts sociaux et environnementaux si leur extraction se poursuit.
3/3) solutions
Les luttes concrètes sont autant de bâtons fichés dans les roues de la mégamachine extractive qui alimente les industries polluantes et change le climat. Ceux qui combattent des projets extractivistes concrets ne se révoltent pas, au départ, contre la catastrophe écologique globale, ni contre le système qui le produit. Ils cherchent à contrer des menaces locales. Mais, interagissant avec d’autres mouvements qui affrontent les mêmes problèmes, ils en viennent souvent à dénoncer toutes les pratiques prédatrices mues par une seule et même logique. Le Nimby des premiers temps cède la place au Nina : Ni ici ni ailleurs. Le «non» à un projet extractiviste particulier se mue en un «Non à l’extractivisme». A cours de ces luttes émerge, au Sud comme au Nord, l’idée forte qu’aucune promesse, aucun objectif ne peuvent justifier la perte de ce que l’extractivisme accapare ou détruit : l’eau, la terre, les montagnes, les forêts et les rivières, les moyens de subsistance et la santé, mais aussi la culture de chaque lieu, ses mythes et sa mémoire, ses formes particulières de sociabilité. Cet équilibre entre ce que nous voulons être et ce que la nature peut nous offrir, on peut l’appeler le «bien-vivre local». Local, parce que dans le global se perdent les particularités, l’identité, notre propre système, nos limites.
Le fait de parvenir à affranchir un territoire, même si c’est de façon temporaire, des logiques de l’uniformisation, de la prédation et de la mort, crée de nouvelle possibilités d’émancipation : cela devient faisable puisque c’est réalisé. Chaque résistance contribue à l’émergence et à la diffusion d’imaginaires alternatifs.