Beaucoup d’études de cas intéressants dans ce livre, mais cette multiplication entraîne une certaine confusion. De plus, nous trouvons regrettable d’avoir centrer le dernier chapitre sur l’utilité réelle ou potentielle pour les humains de certaines espèces. Nous plaçons personnellemnt le respect de la biodiversité bien au-delà d’une telle approche. Voici cependant quelques points particuliers qu’il nous semble intéressant de souligner.
1/5/) la richesse de la biodiversité
Il est une chose qui saute aux yeux lorsqu’on s’immerge dans une forêt tropicale, dans un désert ou encore sous la surface d’un océan parmi les récifs coralliens, c’est la grande interdépendance des espèces entre elles et avec le milieu dans lequel elles évoluent. Rien n’est isolé, tout est lié. Une communauté d’espèces et son biotope. C’est cela aussi la biodiversité, ces interactions diverses et multiples. Comme Alexander von Humboldt, on ne peut qu’être émerveillé par l’étonnante diversité des espèces et par l’exubérance du monde vivant ; l’une des plus importantes caractéristiques de la vie sur terre. Mais une caractéristique que l’homme citadin, abreuvé d’artefacts technologiques, a oublié, désireux de s’extirper à tout prix de cette nature qui lui fait peur. Car il ne sait plus l’observer et s’émerveiller. Reconnaître à la terre une existence supérieure, un caractère vivant reviendrait à remettre en cause notre mode de vie prédateur et notre relation au monde qui nous entoure. Sommes-nous capables de mener cette révolution intérieure profonde ?
La vie n’a rien de statique, les effectifs des animaux sauvages varient constamment. Mais il y a une relative stabilité (Homo sapiens mis à part). En effet, la disponibilité en quantité finie des ressources, la présence de prédateurs, de parasites et de compétiteurs sont un frein à la croissance d’une population et permettent de créer un relatif équilibre. Si cet équilibre dynamique est rompu, les rats pourraient par exemple vite devenir envahissants et mettre à mal l’écosystème dans son ensemble. N’est-ce pas ce qui est en train de se nouer avec l’explosion démographique humaine ? Ne sommes-nous pas confrontés à ce problème de la limitation des ressources alimentaires et énergétiques, ainsi qu’à l’épuisement d’autres matières premières ?
2/5) la complainte du pingouin.
Le grand pingouin, de son petit nom Pinguinus impennis, a disparu en 1844, à tout jamais. Victime de ses piètres performances aériennes. Le responsable, c’est l’homme, les pêcheurs tout d’abord, puis, quand il fut devenu de plus en plus rare, les collectionneurs. Pourtant son arbre généalogique prend racine au paléocène, il y a 65 millions d’années. Il y a 10 000 ans, le volatile est présent de l’Islande à Madère, en passant par le Portugal et les rivages de la méditerranée occidentale. C’est le seul oiseau aptère à avoir jamais vécu dans la zone Atlantique-Nord, une caractéristique qui lui fut d’ailleurs fatale. L’homme se mit à fabriquer des armes qui se révélèrent de destruction massive pour la faune. De toute façon le grand pingouin ne s’envolait pas et un coup de pagaie ou de massue suffisait à le neutraliser
A la fin du XVe siècle, les pingouins furent délogés des falaises et des côtes les plus inaccessibles et ne survécurent que sur une poignée d’îles particulièrement reculées L’utilisation de navires signèrent l’arrêt de mort du volatile. L’escale sur Funk devient par exemple l’étape obligée pour des marins n’ayant pas mangé de viande fraîche depuis l’Europe. Bientôt il ne resta plus sur l’île qu’un monceau d’os délavés. Pourtant de nombreuses voix s’étaient élevées au XVIIIe siècle pour prévenir des conséquences définitives d’une telle surexploitation. Les Anglais prirent en 1794 un décret interdisant la chasse pour les plumes ; mais l’abattage d’un grand pingouin pour toute autre raison restait autorisé. Le Pinguinus étant devenu un oiseau rare, le prix pour un œuf ou une dépouille flamba. En 1830, Gudmundsson et quelques acolytes, après avoir enfin découvert où se cachaient les derniers grands pingouins, débarquèrent sur Edley, ramassèrent autant d’œufs qu’ils purent et tuèrent quelque adultes. En 1844, un trafiquant du nom de Carl Siemens loua les services d’un pêcheur et se rendit à Edley. Les pingouin étaient en tout et pour tout au nombre de deux et couvaient sur le sol un œuf unique. Un triple meurtre consacra la disparition du dernier grand pingouin. Le plus grand prédateur et assassin de tous les temps ne tue plus pour se nourrir mais pour engranger toujours plus, y compris quelques spécimens empaillés.
3/5) Les causes de la destruction de la biodiversité
Les peuples premiers pratiquent souvent un culte animiste, reposant sur le principe que les éléments constitutifs de la nature sont dotés d’âme au même titre que les hommes. Toutes ces entités se doivent un respect mutuel, afin que l’ordre puisse être maintenu au sein de cet ensemble que forme le monde. C’est avec l’adoption de l’agriculture que tout bascule. Se développe en effet une notion de propriété sur les terres, sur la nature. Un concept qui ira de pair avec le non-respect de celle-ci et verra très vite les peuples sédentaires et nomades s’opposer. Celui qui cultive de manière permanente la terre estime qu’il peut se l’approprier, alors que celui qui ne l’utilise qu’épisodiquement n’a aucun droit sur elle.
Au néolithique, les conflits entre communautés pour s’approprier les ressources se généralisent et s’intensifient, pour ne plus jamais cesser. Cette révolution néolithique a constitué la première véritable rupture entre l’homme et la nature. La rupture entre l’homme et la nature n’a pas eu lieu uniquement dans les faits, mais également dans la façon de penser la nature et de vivre avec (ou sans) elle. La deuxième rupture se situe à l’avènement des religions monothéistes, qui ont balayé le paganisme et l’animisme, au moins en partie. La France était païenne : les Celtes célébraient la nature et ses cycles à de multiples occasions. Ainsi, pendant longtemps, le 2 février fut la fête dite du chant de l’ours. A cette date, l’ours sortait de sa tanière, signe que les activités allaient reprendre. Lors de la christianisation, l’Eglise décida pour contrer cette fête d’organiser au même moment la fête des chandelles, devenue depuis la chandeleur ; l’ours fut alors accusé de tous les maux. De la même manière, la naissance de Jésus-Christ fut fixée au 25 décembre afin de se substituer aux fêtes païennes du solstice d’hiver, occasion de grands banquets en hommage à la renaissance du soleil et au renouveau prochain de la nature.
L’homme peaufine désormais cette idée qu’il est une créature bénie de Dieu ; la seule raison d’être de toutes les autres espèces serait de le servir, lui, l’Homme. Tout ceci relève d’une vision anthropocentrée de la nature. Quant à la troisième rupture, elle s’est jouée au moment de la révolution industrielle et a vu l’homme se déconnecter totalement ou presque de son environnement. L’homme est dès lors devenu une espèce invasive, pillant les ressources jusqu’à épuisement, menaçant une cohorte d’autres espèces, pour ne pas dire la plupart, déréglant le climat et polluant les sols, l’air et les eaux. Nous sommes au courant de la perte de biodiversité mais préférons fermer les yeux et continuer à piocher dans les réserves de la planète afin de préserver notre petit mode de vie confortable. Advienne que pourra…
Ce combat perpétuel que nous menons contre la nature avec pour objectif d’exploiter au maximum ses richesses pour en faire commerce se transforme peu à peu en formidable odyssée autodestructrice. A n’en pas douter, la perte de biodiversité signera le lent déclin de notre espèce qui, pendant ces derniers millénaires, s’est crue supérieure aux autres. Voici le prix que nous aurons à payer pour avoir fait de la planète une vaste poubelle et un cimetière d’espèces exterminées, pour avoir empoisonné fleuves, rivière nappes phréatiques et atmosphère, détruit forêts, savanes, marécages et littoraux.
L’érosion de la biodiversité se sera accompagnée d’une vaste catastrophe économique et sociale. N’en déplaise à beaucoup, la nature s’en sortira, elle aura le dernier mot, alors que nous, nous serons morts, affamés ou entretués.
4/5) La confiscation du vivant
Jusqu’au XVIIIe siècle, l’agriculteur sélectionnait lui-même les variétés les plus résistantes, dont il récoltait les semences pour l’année suivante. C’était un cycle autogéré, même si certaines semences pouvaient être achetées
Puis l’activité du sélectionneur est devenue un métier à part entière. Afin de protéger les nouvelles créations, un Certificat d’obtention végétale (COV) fut créé. Les pays utilisant les COV sont regroupés au sein d’une Union pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, créée en 1961. Tout pays devenant adhérent de l’UPOV doit en suivre les règles et donc utiliser les semences proposées par les catalogues officiels de semences. En France, 90 % des courgettes hybrides F1 sont aux mains de trois grands groupes semenciers : Syngeta, Limagrain et Monsanto. Cinq multinationales semencières possèdent 75 % des semences potagères et dix groupes détiennent 50 % de toutes les semences mondiales. L’enjeu est de taille, le contrôle du système alimentaire mondial. L’agriculteur ne peut pas sélectionner ses meilleures semences car la commercialisation de ses récoltes lui est désormais interdite, celles-ci étant issues de semences non autorisées.
L’uniformisation du vivant dictée par les industriels soucieux de s’approprier le contrôle des biens communs ne concerne pas uniquement le monde végétal. Un recensement international a estimé à 6500 le nombre de races domestiquées de chèvres, vaches, moutons, buffles, yacks, porcs, chevaux, lapins, oies, dindes, canards et poules dans le monde. Mais un rapport de la FAO vient de montrer que, en l’espace de quinze ans à peine, plus de 1500 races sont devenues menacées et 190 ont d’ores et déjà été déclarées officiellement éteintes. L’uniformisation a un coût. A la moindre fluctuation environnementale, à la première introduction d’un pathogène, l’éleveur risque la catastrophe là où auparavant, avec ses races rustiques, il ne craignait rien ou presque.
5/5) Solutions ?
L’homme a vécu le XXe siècle et le début du XXIe dans un fantasme technologique, potion magique composée de silicium, de tungstène, de fer, saupoudrée d’une pincée de gènes modifiés, chargée de pallier toutes les dégradations de l’environnement qu’il a lui-même induites. Qu’importe le réchauffement climatique, il captera le carbone pour le stocker dans des poches souterraines, il fera la pluie et le beau temps en envoyant de l’iodure d’argent dans les nuages, construira des digues titanesques pour contrer la montée du niveau des mers… Si nous n’y prenons garde, le fantasme risque d’ici 2100 de tourner à la dystopie et au cauchemar. Une petite élite vivrait bien, dans d’immenses bulles, construites pour l’isoler du reste du monde devenu trop pollué et trop chaud, pendant qu’une masse grouillante tenterait de survivre dans un monde dévasté et privé de ressources. Ville sous cloche et vastes bidonvilles.
Nous nous sommes différenciés de la nature, désormais elle est perçue comme une étrangère. Il est urgent et essentiel que nous arrivions à reconnaître que cette nature forme la base du fonctionnement des sociétés humaines et que nous ne pouvons plus continuer à nous en éloigner, à la renier et à la détruire sans que cela ne nous affecte profondément. Il nous faut désormais nous réconcilier avec elle. L’ennemi de l’homme, ce n’est pas la nature, mais bel et bien lui-même. Si nous ne souhaitons pas finir seuls au monde, face à face avec nous-mêmes et sans autre avenir que la mort de notre espèce à très court terme, il est encore temps de choisir le scénario.
Le chemin pour recréer un lien avec la nature et retrouver une place en son sein est long et semé d’embûches. Nous nous en sommes extirpés avec tant de force que bien peu sont désormais capables de définir même ce qu’elle est. La plus belle définition de la nature, et à mon sens la plus juste, est celle de Terrasson. La nature, écrivait-il, « c’est ce qui ne dépend pas de notre volonté ». Elle est spontanée et difficile, voire impossible à contrôler, comme ces ronces que ce grand naturaliste aimait tant. Ce que nous chérissons, c’est une pseudo-nature que nous maîtrisons, un plant de tomates copieusement arrosé d’engrais ou un rosier dont les fleurs sont issues d’un long processus de sélection.
(Calmann-lévy)