Nicholas Georgescu-Roegen était docteur en statistique, et par la suite passionné de sciences économiques. C’est en 1971 que son livre majeur « The entropy law and the economic process » est publié, thématique reprise en France sous le titre « la décroissance (entropie - écologie - économie) ». Voici un résumé :
La théorie économique dominante considère les activités humaines uniquement comme un circuit économique d’échange entre la production et la consommation. Pourtant il y a une continuelle interaction entre ce processus et l’environnement matériel. Selon le premier principe de la thermodynamique, les humains ne peuvent ni créer ni détruire de la matière ou de l’énergie, ils ne peuvent que les transformer ; selon l’entropie, deuxième principe de la thermodynamique, les ressources naturelles qui rentrent dans le circuit avec une valeur d’utilité pour les humains en ressort sous forme de déchets sans valeur.
L’énergie utilisée par l’activité économique se présente en effet sous forme libre et utilisable, ce qui en résulte est une énergie dégradée, liée et non utilisable. Lorsqu’on brûle un morceau de charbon, son énergie chimique ne subit ni diminution ni augmentation (premier principe de la thermodynamique : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme), mais l’énergie initiale s’est dissipée sous forme de chaleur, de fumée et de cendres qui ne peuvent être récupérée (deuxième principe ou loi de l’entropie : tout se transforme et échappe alors à l’emprise humaine). En fait tout organisme vivant s’efforce de maintenir constante sa propre entropie ; il y parvient en puisant dans son environnement immédiat de la basse entropie (utilisable) afin de compenser l’augmentation de l’entropie à laquelle son organisme est sujet. Si les humains n’arrivent plus à capter de basse entropie à proximité, ils essayent de la prendre ailleurs. L’énergie atomique n’est ainsi qu’une tentative contemporaine de délier de l’énergie liée. Mais on ne peut produire de façon meilleure ou plus grande qu’en produisant des déchets de manière plus forte et plus grande. Il n’y a pas plus de recyclage gratuit qu’il n’y a d’industrie sans déchets.
Quelques organismes ralentissent la dégradation entropique : les plantes vertes emmagasinent une partie du rayonnement solaire qui autrement serait immédiatement dissipée sous forme de chaleur. C’est pourquoi vous pouvez brûler aujourd’hui de l’énergie solaire préservée de la dégradation il y a des millions d’années sous forme de charbon, ou depuis un plus petit nombre d’années sous forme d’arbres. Tous les autres organismes accélèrent la marche de l’entropie et les humains plus que les autres. Le processus économique, comme tout autre processus du vivant, est irréversible mais beaucoup d’économistes ne connaissent même pas la loi de l’entropie. Certains pensent même de façon illusoire qu’on réussira toujours à trouver de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de les asservir à notre profit. Mais on ne peut pas utiliser des schistes bitumineux si leur extraction coûte plus d’énergie que leur apport. Il y a aussi la thèse que nous pourrions nommer le sophisme de la substitution perpétuelle. Ainsi, selon Solow, on pourra toujours substituer d’autres facteurs (travail ou capital technique) aux ressources naturelles. Mais il faut avoir une vue bien erronée du processus économique pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteur matériel autres que les ressources naturelles. Plus que l’impact du progrès technique sur la consommation de ressources par unité de PIB, ce qui doit attirer votre attention, c’est l’accroissement du taux d’épuisement des ressources comme effet de ce progrès. Mais les économistes, inébranlablement attachés à leur cadre mécaniste, sont restés complètement insensibles aux appels que lancèrent les mouvements pour la conservation de la nature.
La véritable défense de l’environnement doit être centrée sur le taux global d’épuisement des ressources et sur le taux de pollution qui en découle. Les avocats de l’économie stationnaire assimilent ce dernier à la notion d’état stable d’un système thermodynamique ouvert qui peut alors maintenir sa structure entropique constante au moyens d’échanges avec son environnement. Il est vrai qu’une économie fondée en priorité sur le flux d’énergie solaire romprait avec le monopole de la génération actuelle par rapport aux générations à venir. Mais l’énergie solaire comporte un immense désavantage par rapport à l’énergie d’origine terrestre. Cette dernière se présente sous forme concentrée alors que le flux d’énergie solaire nous parvient avec une très faible intensité.
Toutes ces contraintes traitent du long terme. En supposant que « S » représente le stock actuel de basse entropie (pétrole, gaz, charbon) et « r » la quantité moyenne d’extraction humaine de ressources fossiles, le nombre maximal d’années que durera la phase industrielle de l’évolution de l’humanité peut être mesurée par S/r. Il faut cependant remarquer que la génération actuelle peut se permettre d’utiliser autant de ressources non reproductibles uniquement parce que les générations à venir sont exclues du marché actuel pour la simple raison qu’elles ne peuvent y être présentes ; sinon le prix s’élèverait déjà à l’infini. Il y a une dictature du présent sur l’avenir. Le seul moyen de protéger les générations à venir, c’est de vous rééduquer de façon à ressentir quelque sympathie pour les êtres humains futurs de la même façon que vous êtes intéressés au bien-être de vos contemporains. De plus la différence de progression des nations riches et des nations pauvres est un mal en soi.
Il convient d’expliquer au public cette double difficulté : un épuisement plus lent des ressources signifie moins de confort exosomatique, et un plus grand contrôle de la pollution requiert proportionnellement une plus grande consommation de ressources. Bien sot celui qui proposerait de renoncer totalement au confort industriel de l’évolution exosomatique, mais il faut un programme bio-économique minimal :
- interdire totalement non seulement la guerre elle-même, mais la production de toutes les armes de guerre.
- aider les nations sous-développées à parvenir à une existence digne d’être vécue
- diminuer progressivement la population humaine
- réglementer strictement tout gaspillage d’énergie
- vous guérir de votre soif morbide de gadgets extravagants.
- mépriser la mode qui vous incite à jeter ce qui peut encore servir
- rendre les marchandises durables, donc réparables
- ne plus se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore.
Ces changement de comportement conduiront à un émondage considérable des professions qui ont piégé l’homme. De plus, même si les humains prennent conscience de la problématique entropique de leur espèce, ils n’abandonneront pas volontiers les fastes actuels en vue de faciliter la vie des humains qui naîtront dans dix mille ans, voire dans mille ans seulement ; tout se passe comme si l’espèce humaine avait choisi de mener une vie brève, excitante et extravagante laissant aux espèces moins ambitieuses une existence longue, végétative et monotone. Dans ce cas, que d’autres espèces dépourvues d’ambition spirituelle – les amibes par exemple – héritent d’une terre qui baignera longtemps encore dans une plénitude de lumière solaire ! ».
(éditions Sang de la terre)