Un livre qui n’a rien perdu de sa fraîcheur dont voici un résumé restructuré :
1/6) Naissance de l’écologie politique
René Dumont présente en 1974 sa candidature à la présidence de la République sur une plate-forme écologique ; l’écologie politique est née. C’est le résultat de trois ans de réflexion : publication du rapport du Club de Rome (les méfaits des exponentielles), querelle Mansholt-Marchais, articles de l’Ecologist, déclaration de Menton (alerte de crise écologique) signée par des centaines de scientifiques, de la Conférence des Nations unies sur l’environnement de Stockholm. C’est le résultat de trois ans de prise de conscience militante, d’abord underground puis publique, des marches de Fessenheim, de Bugey, de Gravelines contre la construction de centrales nucléaires, des manifestations du Larzac, du débat sur le parc national de la Vanoise, des manifs à vélo de Paris. C’est le résultat du mépris dans lequel ont été tenus les Français depuis dix ans, en ce qui concerne la gestion de leur environnement.
A chaque élection, des écologistes en colère vont trouver les candidats des divers partis politiques. Ils sont reçus avec… une certaine condescendance. En juin 1972, le ministre des finances Giscard d’Estaing organise un colloque sur les conclusions fort alarmantes du Club de Rome. En mai 1974, le candidat Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre considération, ne parle que de croissance ! Et pourtant les écologistes anglais, américains et français sont tous d’accord. Si nous maintenons le taux d’expansion actuel de la population et de la production industrielle jusqu’au siècle prochain, ce dernier ne se terminera pas sans l’effondrement total de notre civilisation. Par épuisement des réserves minérales et pétrolières ; par la dégradation poussée des sols (érosion, lessivage, latérisation…) ; par la pollution insoutenable de l’air et des eaux ; enfin par une altération des climats, due notamment à l’accumulation du gaz carbonique…
Une fois la nourriture et le logement assurés, aucun problème n’est plus important pour l’avenir de la France que l’environnement. Voilà pourquoi le mouvement écologique devient politique. Voilà pourquoi, pour la première fois dans l’histoire des sociétés, un homme présente sa candidature à la direction d’un Etat avec pour programme la préservation de la vie. Il est grand temps que réagissent tous ceux qui se préoccupent de la société que nous laisserons à nos descendants.
2/6) Démographie et surpopulation
Une croissance démographique insensée vient empirer la situation. Depuis 1650, la population du globe a augmenté à un rythme exponentiel. Nous sommes près de 4 milliards, nous serons 7 milliards en l’an 2000 ; même avec une réduction importante des taux de fécondité, on ne serait pas loin de 6 milliards. C’est la FIN du monde ou la FAIM du monde. Nous sommes les premiers à avoir dit que la croissance démographique doit être arrêtée d’abord dans les pays riches, parce que c’est dans les pays riches que le pillage du Tiers-Monde, par le gaspillage des matières sous-payées, aboutit aux plus grandes destructions de richesse.
L’homme attaque la nature depuis 100 000 ans par le feu, le déboisement, le défrichage, etc. Nourrir plus d’homme implique la destruction du milieu naturel. Du reste, si nous nous multiplions inconsidérément, le phosphore nécessaire à l’agriculture manquerait bientôt. Il faut réagir contre la surpopulation. En Inde surpeuplée certes, mais surtout chez les riches : 500 fois plus d’énergie consommée par tête à new York que chez le paysan indien. Ce qui remet en cause toutes les formes d’encouragement à la natalité, chez nous en France. La « France de 100 millions de Français » chère à M.Debré est une absurdité. Les propositions du mouvement écologique : la limitation des naissances ; la liberté de la contraception et de l’avortement. Nous luttons pour le droit absolu de toutes les femmes de régler à leur seule convenance les problèmes de contraception et d’avortement.
3/6) Agriculture en péril
L’espace disponible se rétrécit : les 100 000 hectares des meilleures terres disparaissent sous le béton, un cinquième de département français. Il faut abolir le système de subventions agricoles qui revient à donner une Mercedes de plus à ceux qui en ont déjà une.
L’agriculture intensive, quand elle néglige la fumure organique et n’utilise que des engrais minéraux accompagnés de pesticides divers, menace gravement sa propre pérennité. La récupération de tous les déchets organiques est une exigence absolue. Pour produire 1000 calories de bifteck, on dépense 2500 calories de pétrole. Une laitue de serre demande un litre de pétrole. L’emploi des engrais artificiels, qui se développe à la suite des travaux de Liebig, repose sur une méconnaissance des règles de la nutrition végétale. Il ne tient pas compte de la vie du sol, ni de l’association mycorhizale, c’est-à-dire de ce pont que forment des champignons vivants entre le sol et les racines. Le résultat, c’est que l’agriculture surindustrielle stérilise les sols, déséquilibre les plantes cultivées et leur ôte toute résistance, ce qui rend nécessaire l’emploi d’une quantité de pesticides. D’ailleurs les marchands d’insecticides et d’engrais, comme par hasard, sont les mêmes.
L’agriculture écologique peut offrir une solution durable : façons culturales qui stimulent l’activité bactérienne dans l’humus, polyculture raisonnable, restauration des haies, ressources locales. L’agriculture biologique est aussi la technique agricole la mieux adaptée au Tiers-Monde.
4/6) Contre la croissance
De quelle croissance s’agit-il ? S’il s’agit de la croissance illimitée des marchandises alors OUI la croissance est une illusion dangereuse. Si on fait les vrais calculs en intégrant les dégradations, on s’aperçoit que nous sommes déjà en croissance négative. Viennent toutes les menaces sur les ressources naturelles, renouvelables ou non. Il nous faudrait donc ralentir la croissance en attendant de développer des formes d’énergie non polluantes et non dangereuses. Il ne s’agit pas de stabiliser la société, ce que le terme croissance zéro pourrait laisser supposer, il faut en changer. Il faut faire en sorte que le profit de quelques-uns ne tire pas son origine de la dégradation de ce qui appartient à tous : l’eau propre, l’air pur, la beauté des paysages. Si nous ne nous décidons pas aujourd’hui, sereinement, à prendre les problèmes socio-écologiques de front, c’est dans la confusion et sous la pression de catastrophes que nous serons obligés de le faire. Cela peut conduire à des guerres, à des dictatures.
Si les Français consentaient à vivre au niveau de vie de 1920 avec les moyens de travail et d’équipement de 1974, des économistes ont calculé qu’il suffirait de travailler quatre heures par jour, de 25 à 40 ans, pour satisfaire les besoins. Il est bien évident que les Français ne sont pas prêts à accepter cette solution, mais tout de même…Je ne promets pas la richesse pour tout le monde, je promets moins de richesse pour les riches de façon à pouvoir maintenir la consommation des autres. Il est bien évident que les plus responsables de la pollution sont ceux qui ont le pouvoir, mais il faut reconnaître que l’ensemble de la classe ouvrière française profite en partie par son système de vie de l’exploitation de la richesse du Tiers-Monde. Elle doit reconnaître, tout en luttant contre le régime capitaliste, que les plus exploités ne sont pas ici, ce sont les travailleurs du Tiers-Monde.
5/6) Pour des techniques douces
L’écart ne fait que se creuser entre les techniques de lutte contre les nuisances et la technologie génératrice de nuisances. Nous consommons 2 fois plus d’énergie qu’en 1963 ; sommes-nous 2 fois plus heureux ? Le Français consomme 2,85 fois moins d’énergie que l’Américain ; est-il trois fois moins heureux ? En surexploitant les combustibles fossiles, on vole les ressources des générations futures. Quel monde laisserons-nous à nos enfants ?
Chaque fois que vous prenez votre voiture pour le week-end, la France doit vendre un revolver à un pays pétrolier du Tiers-Monde. Sait-on que si tous les habitants du globe consommaient autant de pétrole que les Américains, les réserves prouvées ne tiendraient guère plus d’un an ? Pour faire 10 000 km, on consacre 150 heures à sa voiture (gain de l’argent nécessaire à l’achat et à l’entretien, conduite, embouteillage, hôpital). Cela revient à faire 6 kilomètres à l’heure, la vitesse d’un piéton. Le type de société que je propose est une société à basse consommation d’énergie. Cela veut dire que nous luttons par exemple contre la voiture individuelle. Nous demandons l’arrêt de la construction des autoroutes, l’arrêt de la fabrication des automobiles dépassant 4 CV… On peut penser dès à présent à réorienter l’industrie automobile vers la production des composantes de logements ou des systèmes d’énergie solaire ou éolienne.
Nous demandons le moratoire de l’énergie nucléaire. Nous refusons de continuer à faire des bombes atomiques et à gaspiller la majorité des chercheurs en recherche militaire. Nous sommes pour l’utilisation de techniques de production décentralisées, non polluantes et fondées sur des ressources renouvelables, comme l’énergie solaire par exemple (« techniques douces »).
6/6) Conclusion : l’écologie contre l’économie
Il est impossible de subordonner la survie des hommes à des impératifs économiques. L’économie, c’est des conditions de travail concentrationnaires, la concentration de la production et de l’habitat. Leur économie c’est celle des cinq P. : profit, puissance, prestige, pillage et pollution. Pour engager notre société dans cette direction, il faut favoriser la décentralisation et permettre aux communautés régionales d’être autonome. Il faut privilégier des unités de petite taille et renoncer au gigantisme industriel.
Personne n’est admis à avoir une vue globale des choses, ce qui est désastreux d’un point de vue écologique car tout est lié à tout. L’Ecologie, c’est un mot simple. Il veut dire que l’homme comme toutes les espèces vivantes, est inclus dans un milieu qui comprend la nature, les autres espèces vivantes, les autres hommes et qu’il ne peut se permettre de détruire ce milieu sans se détruire lui-même. La terre doit être à ceux qui la travaillent, les usines à ceux qui les font tourner. On a compris que la défense de la nature ne se limite pas à tel ou tel point particulier, mais exige une remise en cause fondamentale pour abouti à notre double objectif :
- Réduction fondamentale des injustices sociales à l’échelle mondiale, en vue de la réduction prioritaire du gaspillage et des consommations abusives des riches ; donc de leur nombre comme de leur revenu.
- Elaboration d’une civilisation à basse consommation d’énergie, de viande et de métaux, économisant pour les générations futures les ressources rares de la planète, arrêtant le pillage du Tiers-Monde et la destruction de la nature, source de toute vie.
(éditions Pauvert)