- La question principale est de savoir si nous avons le droit de placer une charge supplémentaire sur les générations à venir. Car la création de nouvelles formes de vie est irréversible et, une fois dispersées dans la nature, elles ne peuvent être rappelées. Mieux les gens sont informés des biotechnologies, plus ils y sont opposés.
- En 1960, Georges Morel, travaillant à l’Inra, montre que les cellules malades de la plante synthétisent des produits chimiques particuliers. Son équipe suggère en 1970 l’hypothèse que la bactérie introduit dans la cellule végétale un gène contrôlant cette synthèse. Des procaryotes qui transfèrent des gènes à des eucaryotes heurtait le dogme de la barrière stricte entre espèces. En 1977, la démonstration est faite que, par l’intermédiaire du plasmide, des gènes provoquant une tumeur se transfèrent de la bactérie à la plante.
- Un canon à gène bombarde des cellules embryonnaires de la plante avec de petites particules d’ADN modifié enrobées de tungstène. Le tir se déroule dans le vide, de façon à ce que les projectiles ne soient pas freinés par l’air. Ils pénètrent dans les cellules, qui intègrent l’ADN étranger et mûrissent ainsi transformées. La méthode de création d’une plante transgénique tient du bricolage. Bricolage au sens où les chercheurs tâtonnent avant de parvenir à ce que l’insertion d’une construction génétique « prenne », comme on dit qu’une greffe prend.
- Quand le génie génétique est devenu opérationnel, dans les années 1970, on a réfléchi à ce qu’on pourrait faire de réellement important avec les plantes. Et la réponse a été : la fixation de l’azote. La fabrication des engrais consomme beaucoup d’énergie – une tonne d’engrais azoté requiert 1,5 à 2 tonnes d’équivalent pétrole. Mais aujourd’hui, des décennies plus tard, il reste toujours au-delà de tout espoir d’imaginer améliorer la fixation de l’azote, cela mobilise tellement de gènes que nous n’avons pas la possibilité de faire quoi que ce soit.
- Quand le génie génétique a été perçu comme une opportunité d’investissement, il s’est produit une soumission des pratiques scientifiques au standard des entreprises. Et 1980 marque l’entrée en fanfare du génie génétique sur la scène officielle. La Cour suprême édicte qu’un micro-organisme fait par l’homme et vivant est une matière sujette à brevet. Ces produits peuvent faire objet de commerce. Une nouvelle éthique est radicalement définie par le commerce. La discussion scientifique devient moins ouverte à mesure que la connaissance se révèle enjeu de propriété intellectuelle.
- Tout en affirmant parler au nom de la « science », les biologistes moléculaires ont promu les OGM au nom de l’intérêt collectif qu’ils ont réduit à l’intérêt économique, lui-même confondu avec l’intérêt de certaines entreprises.
- En 1985, on produit la première plante génétiquement modifiée, une tomate résistant au Roundup. Chez Monsanto, tout s’est orienté vers l’obtention d’un moyen de rendre les plantes résistantes à l’herbicide de la société, le Roundup ! C’est comme si quelqu’un valait une assiette de cyanure et vous regardait en souriant largement. On a utilisé le gène de résistance au glyphosate d’un microbe issu d’un bassin de dépollution.
- En 1986 sous Ronald Reagan, l’administration élabore un ensemble de règles qui pose le principe qu’il faut évaluer les risques du produit final et non de la technique utilisée. Ce principe dit d’équivalence en substance est crucial : il établit que, si un OGM n’a pas une composition chimique substantiellement différente de l’organisme dont il est dérivé, il n’y a pas besoin de le tester, comme on le fait normalement pour de nouveaux médicaments ou de nouveaux additifs alimentaires, pas plus que de l’étiqueter. Le coût d’autorisation d’un OGM devient moindre que celui d’un dossier d’autorisation de pesticide.
- Une société d’investissement s’attaque à Bacillus thuringiesis, communément appelée Bt, dont les propriétés insecticides ont été bien identifiées. Le gène est transféré dans un tabac où il s’exprime fortement en 1987.
- En 1987 la déclaration de Bogève définit la position du Sud : « La biotechnologie est inextricablement liée à la société dont elle est issue. Comme celle-ci est injuste, la nouvelle technologie servira plus probablement les intérêts des riches et des puissants que les besoins des pauvres. Elle accroîtra probablement les inégalités au sein de la population paysanne, aggravera l’érosion de l’érosion génétique, minera les écosystèmes, accroîtra la dépendance des paysans et la concentration du pouvoir de l’industrie agroalimentaire internationale. »
- En 1990 au Parlement européen, la directive 90/220 applique le principe de précaution pour la première fois : il y a obligation de faire une évaluation du risque avant qu’il y ait le moindre dommage créé. Les règles sont plus sévères qu’aux USA.
- En 1992, le Sénat français empêche la procédure d’enquête publique sur les biotechnologies. Quant à la contrepartie de cet abandon, à savoir l’information du public, elle sera promptement oubliée, aucun décret ne viendra organiser cette information.
- Le Parlement norvégien adopte en 1993 une loi sur la technologie génétique imposant des contrôles stricts et ouvrant la possibilité d’interdire l’importation de produits OGM qui ne seraient pas socialement justifiables.
- La Grande-Bretagne organise en 1994 une conférence des citoyens qui recommande l’étiquetage des OGM, soulignant qu’ils ne présentent pas de bénéfice notable pour la société ; elle s’inquiète aussi des flux de gènes possibles.
- Un soja résistant au Roundup obtient son autorisation de commercialisation en 1994. La technologie est prête, les produits sont là.
- En 1995, Monsanto annonce son coton Bollgard, dans lequel est inséré le gène insecticide Bt. Au printemps 1996, la semaison commence.
- Le 6 novembre 1996, le premier bateau chargé de soja arrive à Hambourg. Les transgéniques sont accueillis par un vaisseau de Greenpeace qui parvient à le retarder de quelques heures.
- La position de Greenpeace (Arnaud Apoteker) : Nous n’avons pas d’opposition de principe aux techniques du génie génétique en tant qu’outil de recherche et de connaissance, ni même une opposition de principe à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés pour la fabrication, par exemple, de substances d’intérêt médicamenteux comme l’insuline. En revanche, nos sommes résolument opposés à la dissémination dans l’environnement d’OGM, et ce, principalement, pour des raisons écologiques.
- Le 12 février 1997, le conseil des ministres en France décide, sous l’impulsion de Corinne Lepage, d’interdire la mise en culture du maïs Bt de Novartis. C’est au politique de prendre la décision finale, pas aux scientifiques.
- En Autriche une pétition lance par des associations recueille plus de 1 200 000 signatures et demande l’interdiction des aliments transgéniques, de la dissémination des OGM et du brevetage des gènes.
- Le 13 juin 1998, la Confédération paysanne effectue une « récolte prématurée » d’une expérimentation de colza Agrevo, le 10 septembre 1998, ce sont du maïs et du soja transgéniques qui sont fauchés.
- Quand l’activité scientifique a des ramifications qui affectent non seulement la vie de ceux qui sont engagés dans la recherche mais aussi, potentiellement, la vie de l’écosystème, le public doit être impliqué.
- A partir du 11 septembre 2001, comme tant d’autres sujets d’intérêt social, les OGM disparaissent du champ de vision des citoyens américains, entrés en état de catalepsie politique.
- Les plantes transgéniques développées dans les deux dernières décennies sont destinées aux grandes cultures d’exportation. La batille en Asie porte sur la souveraineté des petits paysans, développant leurs propres systèmes pour nourrir leur peuple.
- La bataille des OGM dessine le nouveau visage de la mondialisation : uni et solidaire, mais selon des voies qui respectent la diversité des cultures et la richesse de chacune.
- La transgenèse est un projet ambitieux d’artificialisation de la biosphère. Cette artificialisation est déjà effectuée depuis le néolithique par la généralisation de l’activité agricole à l’ensemble de la planète. Mais les prophètes des OGM visaient autre chose : couler l’agriculture dans les méthodes industrielles, lui faire perdre le caractère de dialogue savant avec la nature pour la transformer en une entreprise aux caractères précisément définis et contrôlés. La révolte contre les OGM annonce-t-elle un nouveau monde, qui redécouvrirait ses liens avec la nature ?
(Seuil, l’histoire immédiate)