En 1979, nous avons pu lire le livre prémonitoire de J.A. GREGOIRE, Vivre sans pétrole : « Apercevoir la fin des ressources pétrolières, admettre son caractère inéluctable et définitif, provoquera une crise irrémédiable que j’appellerai « crise ultime ». Nous n’en souffrons pas encore. Les premières ruptures sérieuses d’approvisionnement du pétrole la déclencheront. Il ne s’agira pas, comme on le croit et comme les économistes eux-mêmes l’affirment, de surmonter une crise difficile, mais de changer de civilisation. »
En 2005, nous avons pu lire La vie après le pétrole de Jean-Luc Wingert : « En 1956, K.Hubbert avait prévu pour 1970 la déplétion aux Etats-unis, ce moment où la production atteint son maximum avant de commencer à décroître. D’ici à 2015, la production mondiale de pétrole va aussi connaître la déplétion, d’autant plus que les réserves sont actuellement sur-évaluées. Cette situation provoquera une série de chocs pétroliers qui ne seront plus d’origine politique comme en 1973 et 1979, mais d’origine physique. » La même année est paru Pétrole apocalypse d’Yves COCHET « Chaque jour qui passe nous rapproche d’un choc imminent que nous ignorons : la fin du pétrole bon marché. Depuis plus de trente ans, les écologistes n’ont cessé de proposer la diminution des consommations d’énergie fossiles et la mise en œuvre de politiques de sobriété énergétique et de promotion des énergies renouvelables, l’abandon de l’agriculture productiviste au profit de l’agrobiologie, le désengagement de notre dépendance à l’égard des entreprises transnationales et la réhabilitation des circuits économiques courts. En vain. Il est déjà trop tard pour espérer transmettre à nos enfants un monde en meilleure santé que celui que nous connaissons aujourd’hui. Plus nous attendrons, plus leurs souffrances seront grandes et dévastatrices ».
Mais entre-temps, il y eût en 2003 le livre de Richard Heinberg, The Party’s Over. War and the Fate of Industrial Societies, traduit en français par Pétrole : la fête est finie ! et édité en 2008.
En voici un résumé qui n’en dévoile qu’une infime partie des richesses :
1/6) la fête est finie
Le message central de ce livre est que la civilisation industrielle s’appuie sur la consommation de ressources énergétique qui sont intrinsèquement limitées en quantité et sur le point de devenir rares. Les géologues de métier n’éprouvent que du mépris à l’égard des économistes qui, en réduisant systématiquement toutes les ressources à leur prix en dollars occultent les données physiques. Le pétrole, effectivement disparaîtra. De surcroît, cela arrivera beaucoup plus rapidement que ne le supposent les économistes, et il ne sera pas aisé de trouver des alternatives. Depuis environ 150 ans, les sociétés industrielles ont prospéré, utilisant les ressources énergétiques fossiles pour bâtir d’immenses empires commerciaux, pour inventer de fantastiques technologies, pour financer un mode de vie opulent. Pourtant, bientôt, la fête ne sera plus qu’un souvenir lointain ; non pas parce que quelqu’un aura décidé de tenir compte de la voix de la modération, mais parce que tout le vin et la nourriture seront consommés et la rude lumière du matin revenue.
La compétition pour les miettes du gâteau déclenchera des bouleversements économiques et géopolitiques. Qu’adviendra-t-il après l’industrialisme ? Ce pourrait être un monde plus limité en termes de consommation, de population et de pression sur les écosystèmes. Mais le processus qui nous y amènera ne sera pas simple, même si les leaders mondiaux adoptent des stratégies intelligentes et coopératives, pour lesquelles ils n’ont montré jusqu’à présent que peu de volonté. Les politiques tendent à faire confiance aux économistes, car le discours utopiste et cornucopien de ces derniers est le plus agréable à entendre ; après tout, aucun politique ne veut être le porteur de la terrible nouvelle selon laquelle notre mode de vie gourmand en énergie est sur le déclin. Mais à moins que nous soyons disposés à entendre et accepter les mauvaises nouvelles en premier lieu, les bonnes nouvelles pourraient ne jamais se matérialiser.
2/6) L’indispensable énergie
La matière est capable de stocker l’énergie par son agencement. Cette énergie stockée peut être libérée par des procédés chimiques comme la combustion ou, dans le cas des organismes vivants, la digestion. C’est parce que les organismes vivants sont des systèmes ouverts, au travers desquels de l’énergie et de la matière circulent continuellement, qu’ils sont en mesure de créer et de maintenir de l’ordre. Enlevez leurs sources d’énergie et de matières utilisables, vous les verrez bientôt dépérir et commencer à se désintégrer. Cela s’applique également aux sociétés humaines et aux technologies. Retirez les sources d’énergie et vous verrez rapidement le « progrès » et la croissance des institutions complexes, s’effondrer. Puisque la Terre est un système fermé, sa matière est sujette à l’entropie et subit continuellement un processus de dégradation. Les concentrations utiles de matière sont constamment dispersées et deviennent inutilisables. Plus nombreux sont les niveaux de transmission de l’énergie dans les systèmes, plus importante sera la perte accumulée.
L’énergie disponible dans un écosystème est l’un des facteurs les plus importants pour déterminer quelle est sa capacité d’accueil, c’est-à-dire le niveau de population maximal de toute espèce vivante donnée pouvant être maintenue en vie par son environnement de façon durable. Les ressources sont toujours limitées et rien n’est gratuit : telles sont les règles du jeu en ce qui concerne l’énergie et la vie. Les mannes énergétiques (résultant de la perturbation des milieux existant ou la colonisation de nouveaux milieux) ainsi que les proliférations subséquentes de population donnent lieu à des périodes d’extravagance enivrante pour certains espèces, suivies d’effondrement. A long terme, il est dans l’intérêt de toues les espèces d’utiliser l’énergie de manière parcimonieuse. Si la compétition existe évidemment dans la Nature, elle est temporaire et limitée ; la Nature privilégie les arrangements stables impliquant l’autolimitation, le recyclage et la coopération.
3/6) Les coûts de la complexité
Nous envisageons rarement les sciences sociales (l’histoire, l’économie et la politique) comme autant de sous-catégories de l’écologie. Mais puisque nous sommes des organismes, il paraît évident que nous devons d’abord comprendre les principes de l’écologie si nous voulons donner sens aux événements qui agitent le monde des humains. Durant l’essentiel de notre existence en tant qu’espèce, nous avons maintenu des relations homéostatiques et réciproquement limitantes à la fois vis-à-vis de nos proies et de nos prédateurs. Mais nous avons détourné une certaine proportion de la capacité de la Terre à entretenir la vie à l’avantage de la nôtre et au détriment d’autres formes de vie.
Sur le globe vivent aujourd’hui entre 2 et 5 milliards d’êtres humains qui n’existeraient probablement pas sans les combustibles fossiles. Lorsque l’afflux d’énergie commencera à décliner, l’ensemble de la population pourrait se retrouver dans une situation pire encore que si les combustibles fossiles n’avaient jamais été découverts et l’on assistera à une compétition intense pour la nourriture et l’eau entre les individus d’une population dont les besoins seront désormais impossibles à satisfaire. Les sociétés complexes tendent à s’effondrer car leurs stratégies de captage de l’énergie sont sujettes à la loi des rendements décroissants. En effet les coûts d’entretien engendrés par chaque individu augmente avec la complexification sociale de telle façon qu’on doit allouer une proportion croissante du budget énergétique au fonctionnement des institutions organisationnelles. Alors que des points de tensions émergent nécessairement, de nouvelles solutions organisationnelles doivent être échafaudées à des coûts croissants jusqu’à l’effondrement final.
Ce processus d’effondrement est analogue à celui du dépassement de capacité d’accueil au sein d’un écosystème colonisé.
4/6) Le pic pétrolier
Dès 1949, King Hubbert (né en 1903) avait énoncé que l’ère de l’énergie fossile s’avérerait brève. Au-delà d’un certain point, tout ce qui reste de ressources fossiles est plus difficile à extraire ; la décrue s’amorce même si de nouveaux puits sont forés. En général le pic de production a lieu lorsque la moitié environ de la quantité accessible de pétrole dans le réservoir aura été extraite. En 1956 Hubbert a pronostiqué que le pic de production de pétrole brut aux Etats-Unis interviendrait entre 1966 et 1972. A l’époque la plupart des économistes, compagnies pétrolières et institutions gouvernementales écartèrent ces prévisions d’un revers de main. Mais le point culminant sera pourtant situé en 1970. En 1916, le ratio énergie récupérée/énergie investie s’élevait à 28 pour 1. En 1985, il était tombé à 2 pour 1 et continue de chuter aujourd’hui. Chaque parcelle de capacité supplémentaire de production dans le monde est maintenant utilisée ou sur le point de disparaître. Dans ses conférences et articles, Hubbert (mort en 1989) souligna combien la société devait changer afin de se préparer à un régime post-pétrole.
En mars 1998, un article de Campbell et Laherrère, « The End of Cheap Oil », a estimé que les réserves mondiales de pétrole conventionnel déclinerait avant 2010. Ils s’appuyaient sur le fait que plusieurs membres de l’OPEP ont surévalué leurs réserves dans le but d’augmenter leur quota d’exportations. Colin Campbell prévoit actuellement que le pic de la production mondiale de pétrole interviendra à peu près en 2008.
5/6) Considérations démographiques
Tant la gauche que la droite tendent à occulter le problème de la croissance démographique continuelle. Pourtant tous les pays de la planète ont dépassé leur capacité d’accueil. La production agricole grimpante, basée sur des ressources énergétiques abordables, a rendu possible l’alimentation d’une population passant de 1,7 milliard à plus de 6 milliards en l’espace d’un seul siècle. L’énergie bon marché ne sera bientôt plus que de l’histoire ancienne. Combien d’êtres humains l’agriculture post-industrielle sera-t-elle capable de nourrir ? Une estimation précautionneuse serait : autant qu’elle pouvait en faire vivre avant que l’agriculture s’intensifie, c’est-à-dire la population du début du XXe siècle, soit un peu moins de 2 milliards d’êtres humains.
Une politique démographique faisant en sorte que chaque couple n’engendre en moyenne que 1,5 enfants serait alors incontournable. Cet objectif global doit se traduire par des mesures et quotas nationaux. En effet, le niveau le plus efficace pour la régulation de la population se situe actuellement sur le plan national car seuls les Etats ont la possibilité d’influencer efficacement les comportements et d’imposer des restrictions. L’opposition à l’immigration incontrôlée est souvent assimilée à tort à la xénophobie anti-immigrés. Mais dans une perspective écologique, l’immigration n’est pratiquement jamais souhaitable. Lorsqu’elle se fait massivement, elle ne fait que mondialiser le problème de surpopulation. De plus, ce n’est que lorsque les groupes humains se sont enracinés dans une zone particulière, au fil de plusieurs générations, qu’ils développent un sens des limites en termes de ressources. Dans une optique de limitation de l’immigration, il serait judicieux d’inclure d’une part la fin du drainage, par les pays du Nord, de la richesse et des ressources des nations du sud, et d’autre part la démocratisation ainsi que les réformes agraires dans les pays à moindre consommation.
Beaucoup considèrent qu’une limitation par les humains de leur propre population porterait atteinte à leur liberté de procréer. Cependant une augmentation incessante du nombre d’humain entravera nos libertés par le biais de la malnutrition, de la pauvreté, de la pollution et nous privera de notre liberté de profiter de la nature ainsi que d’un cadre de vie acceptable.
6/6) Propos final
Nous avons tendance à croire que notre intelligence humaine et nos codes moraux nous distinguent des autres organismes. Lorsque d’autres créatures se procurent une manne énergétique, elles réagissent par la prolifération : leur population traverse les phases bien connues d’épanouissement, de dépassement des capacités de leur environnement, puis de chute brutale. Jusqu’à présent, nous avons réagi face à l’apport énergétique des énergies fossiles exactement comme les rats ou les bactéries répondent à une nouvelle et abondante source de vie.
Je pense avoir bien décrit les responsabilités incombant à notre génération. Nous avons profité de la quantité d’énergie phénoménale mise à notre disposition. Ce fut une fête formidable. Mais de ceux qui ont reçu beaucoup, l’on doit attendre beaucoup. Devons-nous continuer à nous complaire jusqu’à la triste fin et entraîner le reste du monde dans la chute ? Ou faut-il reconnaître que la fête est finie et préparer les lieux pour ceux qui viendront ensuite ?
Je pense qu’il est raisonnable d’espérer un monde futur dans lequel les collectivités seront plus réduites et égalitaires, au sein desquelles les individus auront davantage de temps libre et vivront en meilleure harmonie avec la nature. Il est réaliste d’espérer que l’humanité évolue du statut d’espèce colonisatrice à celui de membre coopératif d’écosystèmes. L’idée de devenir indépendant devient de plus en plus attrayante. L’effondrement, dans ce cas, peut simplement prendre la forme d’une décomposition de la société, à mesure que les groupes de base décident de satisfaire leurs propres besoins immédiats plutôt que de servir les objectifs des dirigeants. Comme disait le Sheikh Rashid ben Saïd al-Maktoum, émir de Dubaï : « Mon grand-père se déplaçait en chameau. Mon père conduisait une voiture. Je vole en jet privé. Mes fils conduiront des voitures. Mes petits-fils se déplaceront en chameau ».
(Résistances, 2008)