En 1988, Elie Wiesel et François Mitterrand réunirent à Paris une conférence de 75 lauréats du prix Nobel, toutes disciplines confondues, sur le thème : « Promesses et menaces à l’aube du XXIe siècle ». Une des 16 conclusions pour tenter de construire un monde meilleur était celle-ci : « Toutes les formes de vie doivent être considérées comme un patrimoine essentiel de l’humanité. » Endommager l’équilibre écologique est donc un crime contre l’avenir. Depuis, en cette matière, notre casier judiciaire s’est sérieusement alourdi.
1/3) Constat
Le terme biodiversity a été inventé en 1985 par le scientifique Walter Rosen lors de la rédaction d’un compte-rendu d’un congrès scientifique, publié trois ans plus tard. Le terme est à la fois descriptif (liste d’espèces) et complexe puisqu’il est censé étudier les relations des espèces entre elles.
Il est un principe immuable, toute espèce qui apparaît sur terre disparaîtra un jour, l’homme ne devrait pas échapper à cette règle. Près de 99 % des espèces ayant existé un jour ont déjà disparu, mais les extinctions naturelles sont un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît : le destin naturel est de donner naissance à une nouvelle espèce, au terme d’un long processus adaptatif. La durée de vie d’une espèce varie entre 1 et plus de 12 millions d’années. La durée de vie moyenne d’invertébrés marins est de 10 millions d’années, les mammifères, auxquels nous appartenons, ne dépassent pas le million d’années.
Selon les estimations actuelles les plus fiables, on estime à 1,75 millions le nombre d’espèces vivantes officiellement recensées. Ce chiffre n’est qu’un minimum, l’estimation du nombre réel d’espèces vivantes tournerait autour d’une dizaine de millions, avec une marge d’incertitude importante puisque les extrêmes vont de 5 à 50 millions d’espèces. Certains chercheurs plaident pour un inventaire global des espèces de la Terre (taxonomie et systématique), comme d’autres ont plaidé pour le décryptage complet du génome humain (la biologie moléculaire). Les urgences sont les mêmes, mais pas les moyens pour leur mise en œuvre. Au rythme où vont les choses, bien des espèces auront disparu avant même d’avoir été décrites par la science.
2/3) les grands phénomènes d’extinction
Jusqu’à présent, il y a eu au moins cinq grandes vagues d’extinctions. La première, il y a 440 millions d’années, à la fin de l’Ordovicien. Suite à l’explosion d’une supernova à 10 000 années lumières de la Terre et des radiations ultraviolettes, 98 % des espèces auraient disparu. La dernière extinction arrive il y a 65 millions d’années et sonne le glas des dinosaures. Cette extinction majeure va favoriser des animaux de petites tailles, les mammifères, apparus il y a environ 220 millions d’années. L’homme moderne a vu le jour il y a cent ou cent soixante mille ans. Il est lui aussi le produit d’un long travail évolutif, l’émergence du genre Homo datant d’il y a environ 2,4 millions d’années. Pendant des millénaires, l’homme n’est qu’un mammifère simplement armé de ses poings, d’un gourdin et de quelques pierres. Autant dire que sa présence n’a pas de répercussion dramatique sur l’environnement. Les choses vont vraiment changer à partir du moment ou Homo erectus découvre le feu, sans doute il y a 475 000 ans. Ensuite Homo sapiens, grâce à l’évolution de sa boîte crânienne, perfectionne ses outils. Comme toute espèce dominante, il prospère et ses effectifs ne cessent de croître.
Il y a environ 6 000 ans, l’homme commence à modifier son environnement. Pour dater plus précisément le début de la fin, on peut considérer que c’est à partir du XVIIe siècle que la biodiversité commence à pâtir de l’action de l’homme. Les occidentaux ont établi des comptoirs ou des colonies dans la plupart des régions du monde. Appâtés par les ressources qu’elles offrent, ils développent une exploitation de celles-ci. Le cas du pigeon voyageur en Amérique du Nord mérite d’être relaté. Une estimation d’un vol de migration, faite en 1810, fait état de plus de deux milliards d’individus. Vers les années 1880, l’espèce n’était plus présente qu’autour des grands lacs. En 1899, on observait le dernier oiseau sauvage en liberté et le dernier spécimen mourrait en 1914 au zoo de Cincinnati. Il est probable que ce pigeon particulièrement grégaire, à force d’être massacré, a connu un seuil en deçà duquel les stimuli nécessaires pour entamer la reproduction ont été de moindre importance.
Aujourd’hui, le rythme des extinctions semble s’être emballé puisque les chercheurs estiment à présent qu’entre 1 % et 10 % de la biodiversité disparaissent tous les dix ans. Ce rythme est supposé être de 100 à 1000 fois supérieur à ce qu’il devrait être « naturellement ». Cette extinction englobe à la fois les espèces et les écosystèmes. En un mot, c’est toute la biosphère qui est en péril. En effet, avec l’avènement de la société industrielle, l’homme a entrepris d’exploiter la nature à beaucoup plus grande échelle. Cela signifie qu’aujourd’hui la destruction ne touche peut-être pas directement telle ou telle espèce, mais son milieu de vie.
L’action humaine est souvent indirecte. Aux Etats-Unis, les 73 millions de chats domestiques tuent annuellement 465 millions d’oiseaux ; entre 6 et 7 oiseaux par chat. Faut-il limiter la prolifération des chats ? En 2003, l’union mondiale pour la nature (UICN) a publié une liste rouge des espèces menacées : au total, près de 12 260 espèces sont menacées d’extinction : au moins 6774 plantes, 1960 invertébrés, 1130 espèces de mammifères, 750 poissons, 293 reptiles, etc. Lorsqu’on voit les difficultés d’application des lois sur la protection de la nature dans les pays occidentaux, on imagine sans peine celles qui émergent dans les pays dits en voie de développement. Plus généralement, l’extrême difficulté à laquelle sont confrontés les protecteurs de la nature, c’est la multiplicité des fronts ouverts par la protection des habitats naturels. En France, les parcs nationaux sont d’abord des lieux de protection du paysage pas des espèces.
3/3) Quelques conclusions
Comment faire comprendre les enjeux du maintien de la biodiversité lorsque l’on sait que 90 % des calories consommées par les peuples proviennent de seulement 80 plantes différentes ? Enfermés dans leur maison ou dans leur véhicule, les gens voient la Terre sous un angle particulier, celui qu’on leur montre quotidiennement à la télévision. Le discours environnementaliste ne passe pas, il est jugé trop négatif. Au vrai, on peut se demander si homo sapiens n’est pas finalement une sorte d’accident de l’histoire évolutive de la vie
D’ailleurs, il semble qu’il soit particulièrement difficile de faire entrer dans les têtes des gouvernants et des acteurs de l’économie mondiale que les réserves de notre planète sont limitées et que notre Terre elle-même est un espace fini. A croire que ces gens-là n’ont aucune conscience de la réalité biologique de notre planète. Si le gaz carbonique était rouge et qu’il donnait des éruptions cutanées vertes lorsqu’il est en trop forte concentration, cela ferait longtemps que les pouvoirs publics et les industriels se seraient davantage investis pour réduire son taux dans l’atmosphère. Mais non, le CO2 est incolore et inodore ! C’est pourquoi le CO2 n’intéresse pas les décideurs. Un nouveau concept tente pourtant d’émerger, plus courageux mais plus difficile à mettre en pratique que le développement durable, la décroissance soutenable.
De même que l’économie est basée sur un rapport marchand, la nature a un coût qu’il fut chiffrer. Ce serait un leurre de continuer à penser que la nature est gratuite, qu’elle peut être exploitée librement. Il faudra un jour payer pour aller dans la nature. Ainsi l’accès aux parcs nationaux est déjà payant aux Etats-Unis et au Canada. Pour reprendre les mots de l’universitaire Alain Gras : « Il faut traiter la Terre non plus en tant qu’objet, mais en tant que sujet. » La permaculture est née en Australie dans les années 1970. C’est un système qui a été développé par B.Mollison et D.Holmgren pour faire face aux problèmes émergents de dégradations de l’environnement. Il s’agit d’instaurer une synergie, c’est-à-dire l’action simultanée d’éléments indépendants (les plantes, les micro-organismes, la faune et la flore du sol, l’humus…) qui, ensemble, ont un effet plus grand que la somme de leurs parties. Dans ce système agricole, on cultive les plantes dans un sol sauvage qui s’autofertilise perpétuellement et se travaille de lui-même. Ce sont par exemple les lombrics qui travaillent la terre. On prend soin de la terre, c’est-à-dire on autorise la coexistence d’un système agricole avec les écosystèmes naturels pour permettre le maintien de la biodiversité.
(éditions La Martinière)