Ce livre de près de 500 pages est assez répétitif. Il ne permet pas de théoriser ce qu’on peut penser de la technologie, mais il nous permet de concevoir une certaine philosophie de l’action, dans la lignée des apôtres de la non violence, Thoreau ou Gandhi par exemple. Voici la substantifique moelle de cet ouvrage :
1/3) introduction
- La notion de progrès est dynamique, c’est-à-dire mobilisatrice, au service d’un projet. Le progrès est avant tout un projet de progrès. La sagesse de l’Homo sapiens devenu puissant face au réel ne peut être la même que la sagesse de l’Homo sapiens autrefois impuissant face au réel.
- L’évolution n’est pas nécessairement une amélioration. La barquette plastique réchauffée au micro-onde n’est pas une amélioration du cassoulet d’autrefois, pas plus que les primates ne sont une amélioration des dinosaures. Nulle part on ne trouvera un axe de mesure de l’amélioration qui permettrait de parler de « progrès » en un sens absolu. La notion de progrès est une notion essentiellement politique.
- En l’absence de consensus moral, aucune base commune de valeurs n’est disponible pour statuer sur la technologie et nous sommes toujours à la recherche de ce que serait une société technologique démocratique et pas seulement libérale.
2/3) Une société qui délire
- Nos routes ne cherchent pas à contourner les collines, elles prennent un malin plaisir à les défoncer et à les humilier. Nous avons toujours choisi la puissance plutôt que la patience.
- « Nous nous affairons beaucoup pour construire une ligne de télégraphe entre le Maine et le Texas, mais il se pourrait bien que le Maine et le Texas n’aient rien d’important à se dire. » (H.D.Thoreau)
- Il semble souvent que personne ne s’intéresse vraiment au contenu de ce que l’on dit ou montre, que personne n’en fait sens, n’en fait quelque chose. Il s’agit juste de dire et de montrer. Le mépris du contenu n’est pas un mécanisme de domination, mais un mécanisme de soumission.
- « En Ardèche ce matin, le thermomètre marquait jusqu’à 10°C… ». Vous ne saviez pas que cela vous intéressait ? Peu importe, tout est dans le ton, dans la ritualisation ; le média est devenu lui-même le message.
- Du jour au lendemain, un type d’évènement qui appartient au réel depuis longtemps (agressions dans les établissements scolaires, morsures de chien…) est systématiquement signalé par les médias et accède alors au réel, le vrai, celui du journal télévisé.
- Ces romans et essais dont tout le monde parle pendant une semaine, puis plus personne pour l’éternité, déçoivent autant que les autres produits de flux. Mais pour leur résister il faut posséder un certain degré de consistance, peut-être même de sagesse.
- L’abondance met la disposition de l’individu un flux incessant de moyens de satisfaction de « besoins ». Dans cette abondance, chacun des besoins devient moins important, relativement. Cela entraîne l’impossibilité pour l’individu soumis à ce flux de recomposer ses besoins en un ensemble cohérent. L’individu se décompose sous l’effet de l’abondance. Nous avons donc perdu l’habitude de déterminer ce qui est important pour nous.
- Que peuvent dire sur la nature qui les environne les élèves ayant subi des années de cours de sciences naturelles ? Pourquoi les cours de français désintéressent-ils beaucoup plus efficacement de la littérature et de la poésie qu’ils n’y intéressent ? Pourquoi un système aussi contre-productif que l’école continue-t-il à fonctionner, à un coût exorbitant, sans susciter de révolte ? Parce que notre mode de relation usuel au savoir n’est pas la connaissance, mais la soumission à un savoir qui nous est livré.
- Rare sont les domaines dans lesquels la conscience humaine a été plus docile et le cerveau humain plus fertile que pour trouver aux riches de bonnes raisons de vivre en confortable coexistence avec les pauvres.
- Où est la société riche qui reconnaît avoir assez et ne pas vouloir plus ? Nulle part. Cette insatiabilité est une pathologie. L’économie que Schumacher cherche à concevoir pourrait se définir en remplaçant la notion de croissance par la notion autrement plus consistante de satiété.
- Jusqu’ici, l’immense majorité de l’humanité a vécu sans le confort moderne, c’est-à-dire eau et gaz à tous les étages. Si c’est à ce niveau de dispositif matériel que l’on situe le problème des mal-logés, alors la seule voix autorisée pour parler du confort est celle de l’INSEE et de ses normes. On peut espérer mieux.
3/3) Des solutions à notre portée
- Les nations aujourd’hui ne sont plus à la bonne échelle, elles ne sont pas assez petites pour être locales et elles ne sont pas assez grandes pour être globales.
- Ne nous contentons pas du slogan « think global, act local » (penser au global, agir dans le local). On ne peut rien faire contre le dérèglement climatique ? Pas du tout ! On peut prendre les transports en commun, utiliser le covoiturage, consommer selon les principes de la simplicité volontaire.
- Le global est la sommation de nos locaux concrets. Il prend consistance par nos action et non-actions, il doit son inconsistance à nos actions et non-actions concrètes. Les choses communes sont faites de petites choses individuelle ; les grandes causes sont faites de micro-actions.
- Aucun texte ne nous donnera jamais l’autonomie. Aucune accumulation de discours ne nous préparera jamais à l’autonomie. Seule notre action nous y préparera.
- Tu dois faire ce qui dépend de toi, sans prendre prétexte de ce qui ne dépend pas de toi pour t’en dispenser, fournissant aux autres le même prétexte. Tu dois engager le cycle vertueux de la résolution, de la consistance, et supposer que ton action sera contagieuse.
- Il n’est pas nécessaire de mettre en face de son ennemi, le capitalisme par exemple, une puissance matérielle supérieure à la sienne. Utilisez simplement, dit Gandhi, ce petit mot magique qui existe dans toutes les langues : « non ».
- L’impératif catégoriques de Thoreau tient en un mot, trois fois répété : « simplicité, simplicité, simplicité ». L’homme dont le gouvernement a réellement peur, écrivait aussi Thoreau, c’est celui qui ne lit pas les journaux et qui ne passe pas son temps à parler de ce qu’il y a dans les journaux.
- « La civilisation ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement ». Cette définition que donne Gandhi fait apparaître la différence essentielle avec la civilisation contemporaine : satiété et frugalité ont été oubliées.
- La technologie ne nous pose pas un problème de savoir, mais un problème de sagesse. Nous n’avons pas besoin d’un savoir supplémentaire. Nous avons besoin d’une sagesse, d’une maîtrise de la maîtrise du monde qui ne peut être qu’une maîtrise de soi.
- Ma tâche sera terminée, disait Gandhi, si je réussis à convaincre l’humanité que chaque homme ou chaque femme est le gardien de sa dignité et de sa liberté. Cette protection est possible même si le monde entier se retourne contre celui ou celle qui est seul à résister.
(édition Le Pommier)