Les néo-luddites, qui remettent en cause la révolution industrielle, sont aujourd’hui plus nombreux qu’on ne l’imagine. Privés des moyens d’expression et du pouvoir dont jouissent les optimistes, ces pessimistes se font néanmoins entendre à l’aide de leurs piles de documents et grâce à un nombre croissant de disciples. On les trouve dans les groupes d’action directe des écologistes radicaux ; à l’université, dans des groupes de recherche hérétiques en économie et en écologie - souvent liés au mouvement contre la décroissance (no-growth school) ; ils sont dans les communautés indiennes des Amériques qui opposent le biocentrisme à la norme anthropocentriste. Ce sont aussi les activistes qui luttent contre le nucléaire, la nourriture contaminée, la déforestation, l’expérimentation animale, les déchets toxiques, la chasse à la baleine, entre autres aspects du massacre high-tech. On pourrait compter les millions de travailleurs des pays industrialisés licenciés pour motif de robotisation. Ajoutons les millions de personnes qui ont été exposées aux polluants, produits chimiques, poisons, et qui en subissent les conséquences dramatiques. On pourrait enfin trouver des néo-luddites parmi tous les gens qui, suite à l’introduction des nouvelles technologies au travail et à la maison, ont été déroutés, rabaissés, frustrés par des machines incompréhensibles que l’on peut de moins en moins réparer.
Partout où ils se trouvent, les néo-luddites tentent de fait entendre ce constat : quels qu’en soient les avantages présumés en termes de rapidité, de commodité, de gain de richesse ou de puissance, la technologie industrielle a un prix ; dans le monde contemporain, ce prix ne cesse de s’élever et de se faire plus menaçant. L’industrialisme, structurellement incapable de se soucier de la terre où il puise ses richesses ou de la destinée humaine (qui sont des « effets externes » selon la théorie capitaliste) semble vouée inévitablement à atteindre des sommets dans le bouleversement des sociétés et l’injustice économique, si ce n’est dans l’épuisement de la biosphère elle-même.
Qu’adviendra-t-il des espèces et des écosystèmes détruits ? Quelles conséquences une fois que la frontière de la catastrophe écologique aura été franchie ?