Serge Latouche écrit beaucoup et commence à se répéter. Son livre, « Le pari de la décroissance », a déjà été édité en 2006. Cette réédition 2010 se démarque sur peu de points dont voici l’essentiel. Nous indiquons aussi quelques éléments démographiques, question qui est en général ignorée par les objecteurs de croissance :
1/2) préface de Serge Latouche (juin 2010)
Nous avons l’effarant privilège d’assister en direct à l’effondrement de notre civilisation. Depuis la chute de la banque Lehman Brothers, les crises se bousculent, se cumulent et créent une situation inédite. La première édition de ce livre est antérieure à la crise économique et financière actuelle. Toutefois, la réflexion théorique sur l’après-développement anticipe très clairement la crise de la société de marché mondialisée.
J’ai approfondi mon analyse d’une part en introduisant un dixième point dans le programme politique (se réapproprier l’argent), d’autre part en tirant la leçon du mouvement des villes en transition au Royaume-Uni. La nécessité de se réapproprier l’argent devient une priorité du programme de transition. Il s’agit de remédier à la prolifération financière, il convient d’encadrer l’activité des banques et de la finance, en finir avec la titrisation des crédits ou l’excès des effets de levier. Le développement des monnaies alternatives, locales ou biorégionales, selon des formules diverses, participe de cet objectif et constitue un puissant levier pour relocaliser. Les flux monétaires devraient rester le plus possible là où ils ont été engendrés tandis que les décisions économiques devraient être prises à l’échelon local.
Le mouvement des villes en transition est peut-être la forme de construction par le bas qui se rapproche le plus d’une société de décroissance. Ces villes visent d’abord à l’autosuffisance énergétique en prévision de la fin des énergies fossiles, et plus généralement à la résilience. Ce concept peut se définir comme la permanence qualitative du réseau d’interactions d’un écosystème, ou plus généralement comme la capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser. La spécialisation permet d’accroître les performances mais fragilise la robustesse de l’ensemble. Au contraire, la diversité renforce la résistance aux chocs et les capacités d’adaptation. Réintroduire les jardins potagers, la polyculture, l’agriculture de proximité, des petites unités artisanales, la multiplication des sources d’énergie renouvelable, renforcent la résilience. Pour cette raison, Nicholas Georgescu-Roegen préconisait pour l’avenir de l’humanité de petites communautés rurales.
Mais c’est un pari parce que, bien que nécessaire, rien n’est moins sûr que la réalisation du projet d’une société autonome de sobriété. Toutefois, le défi mérite d’être tenté.
2/2) La décroissance doit-elle être démographique ?
Le démographe Alfred Sauvy est un bon représentant de l’optimisme démographique béat. La France, selon lui, pouvait facilement supporter une population de 100 millions d’habitants, et la Terre de 50 milliards. Selon son point de vue, une population abondante serait favorable à une forte croissance, elle-même source de bien-être pour tous. Mais si une croissance infinie est incompatible avec un monde fini, cela concerne aussi la croissance démographique ; une société de décroissance ne peut par évacuer la question du régime démographique soutenable. Le taux de croissance démographique mondiale est passé de 2 % à 1,3 %. Albert Jacquard fait simplement remarquer que, avec un taux d’accroissement de 0,5 % par an, la population humaine, qui était d’environ 250 millions il y a deux mille ans, serait de 5000 milliards aujourd’hui. Nicholas Georgescu-Roegen proposait une diminution progressive de la population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffira à la nourrir convenablement. Arne Naess considérait qu’une diminution substantielle de la population humaine permettrait l’épanouissement de la vie non humaine comme des cultures humaines. Sommes-nous surpeuplés ? Oui, incontestablement, si tout le monde devait consommer comme un Américain moyen. Mais à l’inverse, la pratique de la diète par le Burkinabé de base pourrait offrir encore une large marge de manœuvre. Alors que dans le premier cas la population devrait décroître pour atteindre 1 milliard d’individus, elle pourrait s’élever dans le second cas jusqu’à 23 milliards ! Quel est le chiffre de peuplement « soutenable » ?
Le calcul de l’empreinte écologique montre que l’on a dépassé les capacités de soutenabilité de la planète en 1960. Or à l’époque, la Terre comptait 3 milliards d’habitants. Mais le fait de disposer d’une source d’énergie abondante et bon marché, le pétrole, a permis un bond prodigieux, faisant passer la population mondiale d’environ 600 millions à 6 milliards d’individus. La disparition de cette source non renouvelable nous condamnerait à revenir à un chiffre de population compatible avec les capacités de charge de la planète, soit à peu près le chiffre de la population antérieur à l’industrialisation (1 milliard en 1860). William Stanton dans son livre The Rapid Growth of Human Population (2003) vise à une réduction progressive de la population sur 150 ans à un taux égal à celui de la déplétion du pétrole afin d’éviter le cauchemar d’une réduction brutale à travers guerres, famine, etc. Les ingrédients en sont les suivants : « L’immigration est interdite. L’avortement est obligatoire si le fœtus s’avère très handicapés. Quand par l’âge avancé, un accident ou une maladie, un individu devient plus un poids pour la société qu’un bénéfice, sa vie est humainement arrêtée. Aux sentimentalistes qui ne peuvent pas comprendre le besoin de réduire la population de la Grande-bretagne de 60 millions à environ 2 millions sur 150 ans, et qui sont outrés par la proposition de remplacement des droits humains par une froide logique, je pourrais répondre : Vous avez eu votre temps. »
L’humanité devra impérativement maîtriser sa reproduction.
(Fayard 2010)