« J’ai été dans ma vie régulièrement considéré comme rose à l’extérieur, mais vert en profondeur. » C’est ainsi que Géraud Guibert, l’auteur de ce livre sur les enjeux de la nouvelle scène écologiste se décrit. Né en 1956, il est en 1988 membre du cabinet de Pierre Bérégovoy, secrétaire national chargé des questions d’environnement et d’énergie entre1997 et 2003, responsable à l’environnement au PS en 2003-2004. Il participe activement avec quelques parlementaires à la création du pôle écologique du PS début 2008 qui dépose une motion lors du Congrès de Reims. Son expérience certaine des arcanes de la politique confrontée à l’écologie l’amène à un pessimisme raisonné et à un espoir diffus.
1/2) Un constat pessimiste
Le défi écologique, tout le monde en parle. La réalité est moins réjouissante. Du coup, tout donne l’impression de continuer comme avant ! Faut-il, comme toujours, attendre une catastrophe écologique pour que les choix soient mis sur la table, discutés et tranchés ?
L’écologie est devenue l’un des « marronniers » des médias, sur tous les sujets, de la maison écologique aux changements dans la manière de consommer, il faut bien faire rentrer les sous des annonceurs publicitaires. Le déferlement est tel qu’il est en train de lasser. Après la saturation médiatique, le retour de bâton menace. Il ne faudrait pas qu’il se transforme en scepticisme écologique généralisé.
Même une personne faisant des choix de sobriété rigoureux (faible consommation de viande, pas d’achats de fruits hors saison ni de voyage à l’étranger…) ne diviserait que par deux ses émissions de gaz à effet de serre, et non par quatre comme c’est nécessaire pour stabiliser le climat.
Le développement durable ne donne aucune indication sur la manière de surmonter les contradictions qu’elle contient. Dérive supplémentaire, le développement est purement et simplement remplacé par croissance.
L’action écologique doit nécessairement être planétaire, partagée et continue sur une longue période. On mesure la difficulté de l’exercice quand on observe la fragmentation de nos sociétés, l’individualisme voire l’égoïsme qui y prospère, la logique du court terme qui prédomine, la fuite en avant vers l’accumulation toujours plus désirée de richesses.
Le passage au gouvernement de Corinne Lepage, dont la réputation initiale n’était pas à faire compte tenu de son activité professionnelle d’avocate en matière d’environnement, a été l’occasion de théoriser la relative impuissance en tant que ministre.
La démarche de consensus adoptée par Nicolas Hulot pour alerter atteint très vite ses limites pour mettre en oeuvre des solutions. Car, au-delà des orientations générales, celles-ci ne sont pas faciles à appliquer.
Pour le Grenelle de l’environnement, l’urgence était là, mais moins directement perceptibles et sans mobilisation populaire de même ampleur pour l’appuyer. Une deuxième loi Grenelle censée définit des moyens, mais ne comporte ni dispositions financières nouvelles, ni mesures fortes. Il manquera ensuite l’élaboration d’une loi de programmation, et on aura atteint tranquillement 2012 sans que la question du financement soit traitée de manière cohérente.
En matière d’écologie, privilégier la mise en scène pour masquer l’absence d’une vraie politique est devenue pratique courante.
Les Verts donnent trop souvent le sentiment de privilégier les solutions idéales et spectaculaires, et parviennent trop rarement à impulser les orientations de fond qui supposent de chercher à conjuguer les choix écologiques et les exigences sociales.
Le nombre d’adhérents chez les Verts a toujours été réduit, moins de 10 000. L’inspiration autogestionnaire de son organisation a entraîné pendant longtemps des difficultés majeures.
Les socialistes ont longtemps considéré, et certains le pensent toujours, que parler d’écologie ne peut que leur nuire, car cela ne correspondrait pas à leur identité propre.
Le parti socialiste a tendance à aller au plus simple, sur la base de postures tactiques plus que de réflexion de fond. Sur le point clé de la politique nucléaire, la solution est de faire croire à une convergence potentielle avec les Verts, tout en n’assumant pas vraiment le choix effectué.
De façon générale, les prises de position du parti socialiste sont trop souvent à géométrie variable lorsqu’il s’agit de trancher sur des positions difficiles comme la politique énergétique, la fiscalité écologique ou l’application du principe de précaution, ce qui nuit à leur crédibilité.
D’un côté le parti socialiste donne la priorité à une croissance la plus forte possible, de l’autre on fait de grands discours sur la protection de la planète. Le mot « nature » est le plus souvent totalement absent du programme ou des motions de congrès. Les dirigeants socialistes adorent les questions fiscales, mais la fiscalité écologique est traitée à part, ou en bas de page.
Lors du congrès de Reims de 2008, la difficulté du parti socialiste à débattre collectivement et à définir précisément l’évolution nécessaire de ses orientations de fond s’est cruellement manifestée (ndlr : la motion « pour un parti socialiste résolument écologique » n’a obtenu que 2,6 % des voix). Le Congrès se résumait à un combat de personnes, sans d’ailleurs parvenir à trancher la question lancinante du leadership.
Comment chacun pourrait-il connaître une « sobriété heureuse » sans avoir les moyens minimums de survie ? Comment travailler mieux et différemment alors que certains sont en permanence incités à travailler plus, et que d’autres sont durablement sans emplois ?
Le résultat de Copenhague est là, affligeant, malgré la forte mobilisation des associations et de la société civile. Le texte final sur le climat ne comporte aucun engagement précis et, au passage, entérine l’abandon des accords de Kyoto. De toute façon l’objectif de Kyoto est très insuffisant pour stabiliser le réchauffement climatique à une hausse de deux degrés. En vérité, aucun pays n’est aujourd’hui sur une trajectoire qui permette d’y parvenir.
On mesure à chaque instant, sur le thon rouge, la baleine ou la sauvegarde de la forêt, à quel point il est difficile de réunir un consensus international pour une meilleure protection des espèces menacées. Le même constat peut être établi sur d’autres questions importantes comme la gestion de la ressource en eau ou la lutte contre la désertification des sols.
L’évolution des technologies de l’information et de la communication, source de dématérialisation de l’économie, n’est pas non plus sans inconvénient sur le plan écologique et pour les relations entre les hommes. La généralisation de la voiture individuelle a permis l’étalement de l’urbanisation sur le territoire qui pose tant de problèmes écologiques.
Les conférences de citoyens existent, mais sont très rarement mises en place. Internet est très rarement utilisé pour organiser de vrais débats et avec un débouché concret. Il est par exemple sidérant que sur des sujets comme la pêche au thon rouge, un diagnostic commun et partagé n’ait pu être établi entre les scientifiques et les professionnels.
L’incapacité des démocraties occidentales à inventer un modèle économique plus juste, protecteur de l’environnement et respectueux de l’humain entraîne une vraie perte de confiance dans la démocratie représentative. Il pourrait être tentant de laisser s’installer des solutions autoritaires, pour imposer ce que le diagnostic scientifique recommande.
2/2) Quelques solutions possibles
Pour la première fois, des difficultés économiques majeures sont, en large partie, dues à des limites physiques. Nous rentrons dans un monde qui ne pourra plus s’abstraire des limites naturelles. La croissance verte ne sera une vraie solution que si elle est sélective et admet… la décroissance !
La question des limites suppose de renouveler profondément l’approche du modèle économique et de la réduction des inégalités. Il ne s’agit pas seulement de juxtaposer le social et l’écologie, mais de s’affirmer pleinement à la fois socialiste et résolument écologiste.
Pour être comprise, acceptée et efficace, une politique écologique offensive suppose de s’inscrire dans une démarche de réduction des inégalités. La perspective d’un revenu maximal admissible est centrale. Commençons par fixer des limites à ceux, milliardaires, traders et grandes fortunes qui profitent des ressources de la planète.
L’intégration du social et de l’écologie nécessitera inévitablement à terme un rapprochement structurel entre le PS et les Verts, par exemple sous la forme d’une fédération socialiste et écologique.
Les socialistes sont à un tournant. Plutôt que de continuer à sous-traiter l’écologie, ils doivent s’affirmer pleinement écologistes, en liant ces questions au progrès social et à la modernisation économique.
Rien ne sera possible si les citoyens eux-mêmes ne sont pas convaincus de la nécessité d’une anticipation de l’avenir.