Partant du constat de l’échec de la globalisation libre-échangiste, la démondialisation promeut une nouvelle pratique de la frontière et de la protection. Il s’agit d’une manière intelligente et créative d’envisager le rôle des Etats, dans le but de rétablir un certain nombre d’équilibres économiques, sociaux et environnementaux qui ont été bouleversés par trente années de politiques néo-libérales. Pour Philippe Cohen, la situation de la Chine contemporaine offre un exemple saisissant des ravages provoqués par la globalisation. Ainsi, au cours du débat, Philippe Cohen s’est attaché à décrire certaines réalités chinoises trop souvent négligées par les mass medias et le discours politique français :
- La Chine constitue un territoire économiquement fragilisé par l’absence d’une véritable « classe moyenne », où les salaires ouvriers n’ont jamais cru malgré les gains de productivité réalisés ces vingt dernières années [2]. Ainsi, la faible demande intérieure du marché chinois demeure le talon d’Achille de ce colosse aux pieds d’argile.
- Le régime politique chinois est dominé par l’idéologie du « tout marchand ». Ainsi, deux décennies de croissance de l’économie de marché n’ont pas contribué, en Chine, à l’émergence de la démocratie, faisant démentir l’idée d’une corrélation nécessaire entre la liberté des marchés dérégulés et les libertés fondamentales de l’individu.
- Un certain nombre de pratiques tendent, enfin, à démontrer qu’il existe une alliance de principe entre les grands groupes multinationaux et le parti communiste chinois, qui vise à maintenir une pression à la baisse des salaires dans les pays du Nord comme en Chine, en contrepartie d’une grande ouverture des marchés chinois aux investissements occidentaux.
Le fait que la Chine soit régulièrement présentée comme un exemple de réussite, voire comme un modèle d’inspiration par bon nombre de nos responsables politiques - à commencer par Jean-Pierre Raffarin et Jean-François Copé, les « Bouvard et Pécuchet » de la globalisation [3] - illustre l’étendue de la naïveté qui prévaut au sein de l’espace politique français. A ce titre, Philippe Cohen a rappelé à juste titre que deux concepts « zombies » [4] continuent de dominer la pensée politique commune : l’euro et le libre-échange. Aujourd’hui, une renégociation de la politique de concurrence communautaire s’impose ainsi qu’une redéfinition du rôle de la Banque centrale européenne, dans un mouvement de réflexion associant tous nos partenaires européens - à commencer par l’Allemagne, devenue leader dans le secteur industriel productif. Au-delà de la question chinoise, les questions et les interventions des personnes ayant participé à ce débat ont démontré l’émergence d’une prise de conscience, par les citoyens français, de l’échec généralisé de la globalisation libre-échangiste : le modèle d’une économie financiarisée d’accumulation et de gaspillage a ainsi été dénoncé à de nombreuses reprises au cours des échanges.
Soulignons que dès aujourd’hui, les propositions concrètes d’Arnaud Montebourg, candidat aux primaires ouvertes et populaires de la gauche, vont dans le sens d’une transformation radicale d’un système qui s’effondre. Arnaud Montebourg est, aujourd’hui, le seul candidat déclaré aux primaires à défendre clairement la mutation générale du système économique, par la mise en place d’un nouvel ensemble de protections :
- Promotion d’une diplomatie écologique et sociale, afin de faire imposer, dans les traités de commerce international, des conditions non-marchandes, visant à garantir que la compétition ne se fasse pas au détriment du travail et de l’environnement
- Mise en place d’une stratégie de protection intelligente, par le biais d’une taxe carbone extérieure aux frontières de l’Union européenne. Il s’agit de rétablir un équilibre dans la concurrence des prix à laquelle sont livrés des produits fabriqués dans des conditions extrêmement différentes, afin de préserver un modèle de développement social et environnemental durable, mis à mal par vingt années de globalisation libre-échangiste.
- Par ailleurs, mise en place également d’une taxe carbone européenne, progressiste et progressive, afin de rétablir les mêmes équilibres au sein de l’espace communautaire, où des différences structurelles tant sur le plan social qu’environnemental continuent d’exister entre les pays fondateurs de l’Union et les nouveaux arrivants.
- Enfin, en France, vote d’une loi faisant appliquer la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises transnationales produisant dans les pays à faible coût. Il s’agit d’engager la responsabilité juridique des maisons mères dont les filiales adoptent, à l’étranger, des comportements caractérisant des fautes lourdes (violation des principes élémentaires du droit du travail, destruction de l’environnement, etc.).
Contrairement à la vision rabougrie, conservatrice, pour ne pas dire xénophobe d’un protectionnisme de porte-étendard, notamment défendue par le Front national, nous souhaitons nous engager vivement dans la mise en place d’un protectionnisme moderne et intelligent, à dimension européenne, fondé sur un dialogue ferme et précis avec nos partenaires commerciaux, notamment chinois.
Cette voie, qui vise à renouveler le tissu productif de la France, à reterritorialiser l’économie en rapprochant les lieux de consommation et de production, à renouer avec le chemin de la croissance salariale et à préserver les grands équilibres environnementaux, c’est bien la voie de la démondialisation.
[1] Philippe Cohen et Luc Richard, La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? Les dégâts du libéral-communisme en Chine et dans le monde, Fayard, 2005
Philippe Cohen et Luc Richard, Le Vampire du milieu : Comment la Chine nous dicte sa loi, Fayard, 2010
[2] Sur une population de 1,3 milliards d’habitants, seuls 80 millions d’habitants (environ 6% de la population) gagnent plus de 20 000 $ par an (chiffre proposé par Philippe Cohen)
[3] A ne pas confondre avec « Zadig et Voltaire », dont nous rappelons qu’il ne s’agit pas d’un titre de roman, mais d’une énième déclaration stupéfiante et scandaleuse de Frédéric Lefebvre
[4] Expression empruntée à l’historien et démographe Emmanuel Todd, qui désigne des concepts « qui ne fonctionnent plus » et qui pourtant continuent de structurer la pensée dominante