Qui aurait pu penser que l'objet le plus familier de notre monde moderne, le téléphone portable, creuserait si rapidement la tombe de l’école républicaine ? Et pourtant les enceintes de l’école sont aujourd’hui mise en coupe réglée par les opérateurs téléphoniques. Dans la cour, sous les préaux, dans les couloirs, dans les poches, sous les pupitres les portables relient en toute discrétion les élèves d’aujourd’hui au reste du monde. Or non seulement rien ne peut justifier leur présence dans un établissement scolaire, mais cette présence mine de l’intérieur, dans une guerre sourde, le principe même de l’école et l’autorité parentale.
C’est au nom de l’ouverture au monde et à la vie moderne qu’on permet finalement à des enfants de s’user les yeux sur des écrans de quatre pouces, en jouant à des jeux idiots ou en ayant une sociabilité détraquée. Car les téléphones portables sont avant tout une source de distraction pour l’élève, un trou noir pédagogique. Avatar moderne du divertissement pascalien, le téléphone portable est l’ennemi dans la classe même de toute concentration scolaire : il correspond bien à cette génération d’élèves incapables de suivre un cours d’une heure quand ils peuvent dans le même temps jouer, télécharger des sonneries, envoyer ou recevoir des appels, des SMS, des MMS, être connecté aux réseaux sociaux, chatter, surfer sur le web, prendre une photographie ou filmer des camarades ou des professeurs, à leur insu le plus souvent, voire envoyer le tout sur internet, en toute impunité puisque les réseaux sociaux ne sont que partiellement publics. D’une manière générale, le divertissement permanent n’empêche pas seulement la concentration en cours, mais, s’imposant dans tous les temps morts de la vie quotidienne, il prive l’enfant de patience, d’observation, de méditation, de recueillement. Pour le dire autrement ce que l’enfant gagne en connectivité, il le perd en profondeur.
Plus grave que tout : le téléphone portable, dans sa dernière version perfectionnée, le smartphone ou - ironie du sort - « téléphone intelligent », est le cheval de Troie d’Internet dans la classe. Ce n'est plus l'élève qui est intelligent, mais son téléphone. Bref, la culture n’est plus en nous, elle est en ligne. Et cette simple pensée est effrayante. Avec le téléphone portable, le lien de confiance avec l’école est rompu, la notion d’effort s’effrite, l’idée de culture personnelle disparaît.
Et pourtant…
Avec un peu de volontarisme, un retour en arrière est possible même si il ne pourra que provoquer une opposition frontale de la part des élèves et des parents (on se souvient de cette professeur qui a récemment reçu une lettre d’insulte de toute sa classe de terminale parce qu’elle avait le malheur d’exiger qu’ils n’utilisent pas leur portable en classe : les élèves ont même exigé que cette professeur « rétrograde et attardée » soit remplacée dans les plus brefs délais). Voilà pourquoi, avant d’être mise en œuvre, elle devra être précédée d’une grande et ambitieuse campagne de sensibilisation à l’intention des parents et des élèves : il faut d’abord faire de cette lutte contre les téléphones portables à l’école une grande cause scolaire nationale.
Pour rendre un vrai service aux élèves, ne les traitons plus comme des adultes qui sauraient déjà ce qui est bon pour eux. Avec un peu de bon sens agissons, mettons fin à cet infantilisme institutionnel et parental et remplissons enfin notre rôle d'adultes. Interdisons les portables à l’école.
http://www.laviemoderne.net/lames-de-fond/005-les-portables-de-multiplication.html