Lisez « Saison brune », de Philippe Squarzoni (Delcourt, 480 p., 29,95 €). Les 480 pages en noir et blanc de ce livre hors norme sont parcourues par cette incertitude : combien de temps reste-t-il, est-il déjà trop tard pour enrayer le réchauffement climatique ? Cette interrogation est née d'une frustration, du sentiment en 2006 de ne pas savoir exactement de quoi l'on parle. Cette quête aura été bien plus longue que prévu, car Philippe Squarzoni est scrupuleux : il a rencontré les acteurs - des scientifiques qui concourent aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - et des commentateurs (comme Hervé Kempf, journaliste au Monde).
Cette enquête fouillée lui permet de repartir des bases de la physique : les activités humaines injectent dans l'atmosphère des gaz capables d'y piéger l'énergie solaire, incidente ou rayonnée. Quand les capacités d'absorption de ces gaz à effet de serre par les puits de carbone naturels sont saturées, le réchauffement intervient. Philippe Squarzoni illustre avec invention ces phénomènes. Il rappelle aussi comment fonctionne le GIEC, comment le consensus sur la réalité du réchauffement et de ses causes (humaines) s'est construit, tordant le cou aux approximations et aux erreurs volontaires de la vulgate climatosceptique.
Mais, et c'est là sa force, il sait mettre en images ses propres réactions face à la réalité qu'il découvre : la Terre se réchauffe, et l'humanité n'a pas pris la mesure des conséquences de ce changement inédit. Le monde tel que nous le connaissons, ses paysages, sa nature sont en passe de céder la place à une Terre plus vulnérable, plus injuste pour les plus fragiles. Cette révélation va de pair pour lui avec l'adieu à l'enfance, à la jeunesse, cet autre monde des débuts et des promesses, quand tout était possible, disponible, ouvert. Ce bouleversement intime est entremêlé avec celui de la planète. Saison brune désigne dans l'Etat du Montana cette période où ce n'est déjà plus l'hiver, mais pas encore le printemps.
Ancien militant d'Attac, Philippe Squarzoni dénonce sans surprise les méfaits du capitalisme débridé, le mythe d'une croissance infinie dans un monde borné, l'impéritie des puissants. Ce réquisitoire était attendu. Mais ce qui l'est moins, c'est sa description d'un ébranlement personnel. Que faire de ce savoir, en effet ? Renoncer à l'avion, après une longue délibération intérieure, parce que le voyage rejettera dans l'atmosphère quelques centaines de kilogrammes de CO2 ? Le dessinateur fait ce sacrifice, une fois. Mais il volera vers les Etats-Unis, vers sa nature protégée (ses parcs ont été les premiers créés) et sa folie de consommation. "L'ignorance initiale a laissé la place à la schizophrénie", constate-t-il. Il prendra ensuite le bateau. Sans illusions : il a appris que la solution la plus immédiate, c'est d'économiser l'énergie. Mais il sait aussi que chaque goutte de pétrole, chaque galet de charbon qui pourront être extraits et brûlés pour assouvir nos appétits le seront. Que l'humanité continuera tant qu'elle le pourra "à vivre au-dessus de ses moyens".
Info issue du MONDE « SCIENCE ET TECHNO », 1er juin 2012, Climat : le gaz à effet de serre cerné par les bulles