Jacques Ellul a développé la notion d’autonomie de la technique entre 1934 et 1994, estimant que celle-ci suit sa propre loi, indépendamment de toute régulation externe. Mais il a oscillé entre deux interprétations : l’autonomie absolue (ou ontologique) et l’autonomie relative (ou sociologique).
1°) La première approche s’appuie sur la thèse de l’apprenti-sorcier : l’homme a initié la technique, mais, in fine, elle échappe à sa maîtrise, elle s’auto-engendre et s’auto-accroît. Les moyens se substituent aux fins : le processus technicien n’est plus que strictement causal, chaque innovation étant déterminée par le contexte technique précédent, celui-ci rendant rigoureusement nécessaire le contexte suivant. La technique est donc indépendante à l’égard de l’économie, de la politique, de la morale et des valeurs spirituelles.
2°) L’autonomie de la technique est pensée comme relative quand on estime que celle-ci ne peut se développer sans actions humaines. Mais les techniciens et des politiques, malgré tout, ne cessent de rechercher des solutions techniques aux problèmes posés par la technique. Les finalités ne sont donc que des justifications ajoutées a posteriori. L’autonomie est relative car les paramètres économiques et financiers interviennent aussi comme feed-back régulateur ; une prise de conscience des enjeux sociétaux par l’homme est toujours possible pour infléchir le mouvement, par exemple par l’instauration d’un moratoire. À l’évidence, Ellul hésite entre ces deux lignes d’interprétation En 1982, il croit à une reprise en main grâce à la microinformatique mais en 1988, il « estime la partie perdue. Le système technicien, exalté par la puissance informatique, a échappé définitivement à la volonté directionnelle de l’homme ».
Débat :
Les avis divergent : certains adhérents de Technologos considèrent que si la technique est autonome, à quoi bon se mobiliser ? à quoi bon créer Technologos ? D’autres, invoquant la dialectique développée par Ellul et Charbonneau dans les années 1930 (« la révolution est nécessaire car elle apparaît impossible ») estiment que c’est justement parce que la technique est autonome qu’il faut coûte que coûte résister. Le pouvoir hitlérien était totalitaire, la monarchie était absolue ?… c’est parce que des forces de résistance se sont manifestées que l’on a pu changer de paradigmes, quand bien même ceux-ci étaient collectivement vécus comme des fatalités.
Autre questionnement : Ellul affirme que si la technique est devenue autonome au XXe siècle ; si, de simple moyen, elle a été inconsciemment érigée en finalité, c’est parce qu’elle est sacralisée. Et que le problème, en définitive, n’est pas à rechercher du côté de la technique « en soi » mais du côté de sa sacralisation. Pouvons-nous envisager que certains, parmi nous, développent une critique de l’autonomie de la technique qui ne passe pas uniquement par la raison et la maximisation des facultés critiques rationnelles, mais
s’appuie également sur la référence à une transcendance ?
Frédéric Rognon rappelle que la dialectique ellulienne est fondée sur le dissensus : tout échange contradictoire oppose une thèse et une antithèse mais ne doit pas obligatoirement se clore par une synthèse.
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