LA QUESTION DE L'AUTONOMIE DE LA TECHNIQUE
premières assises de Technologos
vendredi 6 - samedi 7 septembre 2013
Université Paris 1 17, rue de la Sorbonne Paris 5ème arr.
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PROGRAMME :
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Il y a soixante ans, dans son livre La Technique où l'enjeu du siècle, Ellul écrivait ces lignes : "Il est vain de déblatérer contre le capitalisme, ce n'est pas lui qui crée ce monde mais la machine". Quelques années plus tard, il précisait : "le capitalisme est une réalité déjà historiquement dépassée. Il peut bien durer un siècle encore, cela n'a pas d'intérêt historique : ce qui caractérise aujourd'hui notre société, ce n'est plus ni le capital ni le capitalisme mais le phénomène de la croissance technicienne". Aujourd'hui, avec le phénomène de l'algotrading, lui-même résultant des "progrès" de l'intelligence artificielle, on confie le soin aux ordinateurs de prendre l'initiative d'effectuer des milliers d'opérations boursières en quelques microsecondes. On leur demande de prendre des décisions à la place des humains, au motif qu'ils sont plus efficaces qu'eux.
Ainsi se vérifient deux prédicats d'Ellul : 1) la technique est devenue un phénomène autonome : son développement échappe à l'homme (quand bien même celui-ci s'évertue à proclamer qu'il le contrôle; cf Fukushima) car il est vécu comme une nécessité impérieuse; 2°) il en est ainsi parce que la technique correspond au fait que la préoccupation majeure de l'époque est "la recherche de l'efficacité maximale" en toutes choses".
Aujourd'hui, alors que - de façon patente - les faits valident cette analyse, la majorité des intellectuels et des militants déplore le fait que la politique est gouvernée par l'économie et l'économie par la finance. Mais ils ne font là que le déplorer. Aux médias, on dit à quel point on est "atterré" ou "indigné" et on en appelle aux "alternatives" comme autrefois, on attendait Godot. L'impuissance à contrer le système vient du fait qu'on ne pousse pas le constat jusqu'à on terme : la finance est gouvernée par la technique.
Pourquoi cette réticence à pousser le raisonnement jusqu'au bout ? Parce que cela obligerait à une humilité à laquelle on se refuse : on se contraindrait à admettre que les maux de la planète ne peuvent s'évaluer à l'aune du manichéisme, une poignée d'odieux oligarques traçant à eux seuls le destin de toute la planète contre une majorité innocente. Ah, si c'était si simple !
Certes, il existe bel et bien une domination de beaucoup par quelques uns. Mais d'où vient-elle ? Pas seulement du fait que le libéralisme n'est que la liberté du renard libre dans un poulailler libre, propagandé de manière à ce qu'il accepte sa domination. Cela est vrai mais absolument pas nouveau, Marx l'a parfaitement bien analysé. Ce qui l'est, c'est la nature même de la propagande : c'est parce que "l'homme moderne" est intimement convaincu qu'il peut être heureux grâce aux bagnoles, aux écrans plats et aux smartphones qu'aujourd'hui Apple, Samsung, IBM, Google et Facebook façonnent le capitalisme et le maintiennent en vie malgré les multiples crises et scandales qui font sa vitrine. Sans ces sociétés, le capitalisme ne serait rien ou presque rien. On a raison de condamner la soif de profit mais on a tort de ne pas y voir une déclinaison de "la recherche de l'efficacité maximale" en toutes choses". On a raison de dénoncer la domination, mais on a tort de ne pas y voir la résultante d'une aliénation généralisée.
"On n'arrête pas le progrès" pour la raison que nous sommes devenus incapables de penser celui-ci, à force de succomber à son adoration, à force de "sacraliser la technique", pour reprendre la formule d'Ellul. La quête frénétique du "confort moderne" se paie au prix fort de l'amnésie, ou plutôt du refoulement. Il existe pourtant un village d'irréductibles technologues qui résistent au redoutable envahisseur qu'est cette idéologie technicienne à l'oeuvre au plus profond de nos consciences. Les membres de l'association Technologos tiendront prochainement leurs assises à Paris. Leurs portes sont ouvertes à tous.
Joël Decarsin