Dans les années 1970, Ivan Illich avait déjà réfléchi à l’inefficacité de certains systèmes sociaux. A la différence de Joseph A.Tainter, qui envisage plutôt le collapsus des sociétés dans leur ensemble, Ivan Illich a étudié certaines institutions sociales particulières. Il développe la notion de « contre-productivité » pour rendre compte des conséquences néfastes de certaines institutions lorsque leur fonctionnement dépasse certains seuils au-delà desquels ces institutions produisent l’effet inverse de leur but initial : alors l’école abrutit, la médecine rend malade, les communications rendent sourd et muet, l’industrie détruit et l’Etat étouffe la société civile, les transports immobilisent.
Par exemple la « vitesse généralisée » d’un mode de transport n’est pas le simple rapport entre la distance parcourue et le temps du parcours. Elle ajoute à ce temps de parcours le temps passé à gagner de quoi se payer l’usage d’un mode de transport. Jean-Pierre Dupuy a calculé que la vitesse généralisée d’un automobiliste est de 7 kilomètres à l’heure, soit un peu plus que celle d’un piéton. La contre-productivité des transports automobiles fut renforcée depuis cinquante ans par une politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire conçue autour de l’automobile. La construction du mythe de la vie heureuse en pavillon avec jardin entraîna un étalement urbain beaucoup plus important que la simple croissance démographique. Si bien que dans les pays de l’OCDE, le temps passé entre le domicile et le travail n’a pas dominé depuis 1850, malgré la prétendue augmentation de la mobilité et de la vitesse de la modernité automobile. Le gain de vitesse des engins fut intégralement absorbé par l’étalement des faubourgs, l’éloignement géographique des lieux d’habitation et de travail, des écoles et des hypermarchés. (in Antimanuel d’écologie d’Yves Cochet)