Odile Jacob (novembre 2015), 202 pages pour 19,90 euros
Jean-Marc Jancovici avait écrit en 2009 C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde, estimant que les politiques lors de la présidentielle 2012 allaient se saisir de l'urgence écologique. Mais l'inertie des politiques est telle que nous sommes en 2015 et que rien ou presque n'a bougé. Alors Jean-Marc écrit à nouveau ce qui deviendra bientôt (au cours de ce siècle !) une évidence, même pour les politiques : « Atterrir en douceur, sans léguer à nos enfants un monde dont nous ne voudrions pas pour nous-mêmes, sera le défi de notre siècle. Il va brutalement secouer la démocratie, nos dogmes économiques, les acquis sociaux, bref tout ce qui est né dans le monde en croissance qui a été le nôtre pendant huit générations. Il faudra transformer tout cela en projets d'espoir. » Voici quelques extraits significatifs :
1/6) la fin de la croissance
Pourquoi une croissance significative de l'ordre de 1 % ou plus du PIB par habitant a-t-elle démarré vers 1800 et pas avant ? La réponse, le physicien et l'ingénieur la connaissent parfois, mais l'économiste ne l'a toujours pas comprise : elle s'appelle le charbon et le pétorle, les chutes d'eau, le gaz et l'uranium. Nous sommes passés d'une production essentiellement assurée par nos muscles à une production assurée par les machines. L'argent ne paye que les hommes qui travaillent ou possèdent des ressources à transformer, mais pas la nature qui met à notre disposition des gisements de pétrole, des sols cultivables, des mines de fer, de la neige en hiver et le code génétique du hêtre. Un moteur de camion est 5000 fois plus puissant que les muscles de son conducteur, un moteur de TGV 100 000 fois plus puissant. La voilà, l'origine de la croissance ! Des centaines de machines sont intervenues pour enfiler un simple slip. L'affriolante petite culotte rose est un sous-produit de plate-forme pétrolière. Le PIB ne peut augmenter significativement qu'en augmentant le nombre de machines, et donc l'énergie disponible pour les alimenter. Le secteur des services dépend aussi de la disponibilité directe ou indirecte d'énergie. Seuls les plus riches pouvaient se payer une nourrice il y a quelques siècles. Un million d'assistantes maternelles, d'assistantes de crèches et de nounous (effectif en France actuellement), ce n'est possible qu'avec de l'énergie à gogo.
Dans les années 1960, les pays de l'OCDE consommaient chaque année 5 % de pétrole en plus. Cette augmentation est tombée à... 0% pendant la décennie 2000. Une baisse de l'énergie disponible propulse la courbe du chômage vers des sommets, c'est ce qui nous arrive depuis 2007. En 2005 en effet, il s'est produit un phénomène dont la quasi-totalité des économistes n'a pas compris l'importance : la production mondiale de pétrole a quasiment cessé d'augmenter. Même les Etats-Unis avec leur pétrole de schiste consomment 10 % de pétrole en moins en 2014 qu'ils n'en consommaient en 2006.
Avec une année de décalage, le PIB par personne (en moyenne mondiale) varie comme la production mondiale de pétrole en volume. François Hollande n'a manifestement pas plus compris que le « président du pouvoir d'achat » Nicolas Sarkozy que les machines ont besoin de plus d'énergie pour que le PIB augmente... il a promis une croissance de 2 à 2,5 % pour les années de son mandat, croissance qualifiée dans son programme de « prudente et raisonnable ». Quelle blague ! La croissance, c'est ce que vendaient autrefois les bonimenteurs de foire avec leur élixir de Jouvence : le produit miracle qui cure tous les maux. C'est un monde rêvé pour le candidat au voix quand le jeu consiste à se faire élire en promettant un peu plus de tout à tout le monde. Notons qu'en système contraint par l'énergie, l'essor d'une nouvelle activité se fait toujours au détriment d'une autre.
La contraction énergétique devrait baisser de 1 % par an sur la décennie 2010, en attendant une baisse encore plus forte dans la décennie d'après. L'énergie est désormais de plus en plus dure à extraire du sous-sol. La « fin de la croissance dans le courant du XXIe siècle » avait été théorisée dès 1972 par le rapport au club de Rome « The Limits to Growth ». La bonne question est désormais de savoir comment gérer un monde sans croissance.
2/6) gérer un monde sans croissance
Comment gérer un monde sans croissance ? La baisse du pouvoir d'achat deviendra la règle. Il y aura encore quelques menus problèmes très concrets à gérer, comme par exemple la baisse programmée des retraites tant que l'espérance de vie augmentera. Mais nous sommes parvenus à un tel niveau de possession matérielle, même ceux que nous avons l'habitude de qualifier de « modestes », que si nous avons 1 % en moins par an, nous pensons que c'est un drame. Or est-ce une catastrophe si nous avons chacun 1 % d'espace habitable en moins, 1 % de chiffre d'affaires en moins, 1 % de kilomètres en voiture en moins, ou 1 % de temps de téléphone en moins que l'année précédente, ce qui est la traduction de 1 % de PIB en moins ?
Le fond du problème en fait, est que la société est ainsi faite que 1 % en moins de manière globale ne se traduit pas du tout de manière automatique par 1% de moins pour tout le monde. La baisse va se concentrer sur les moins bien armés pour résister. Il va falloir trouver un défi à relever qui motive suffisamment la population pour qu'elle ne se focalise pas avant tout sur la perte d'un peu de son confort matériel. Ce défi existe : il s'appelle rendre l'économie durable pour de vrai, c'est-à-dire compatible avec les limites physiques de notre planète. Cela suppose de progressivement dissocier nos activités productives des combustibles fossiles, puisque ces dernier son épuisables. Cela signifie entre autres dégonfler les mégalopoles et retrouver des noyaux urbains de taille plus modeste, baisser très rapidement la consommation des voitures en circulation, reconfigurer le paysage agricole pour retrouver des régions plus polyvalentes. Ce défi implique le retour de la compétence technique dans les débats de société et la fin de l'illusion de l'emploi de bureau pour tous. Ce défi permet de tracer la voie pour cinquante à cent ans (et plus !), condition de préservation de la démocratie. Avis à tous ceux qui briguent les suffrages... et à tous ceux qui les élisent.
Il est absurde, dans notre contexte de décroissance énergétique, de chercher à mettre dans la libre concurrence les infrastructures lourdes (transport, production électrique, eau, télécoms, etc.). La bonne chose à faire est d'encadrer le monopole ou l'oligopole pour s'assurer que ses rentes seront limitées à ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l'infrastructure. L'idée qu'il faut continuer à mettre de la concurrence partout et tout le temps est devenue non seulement anachronique, mais dangereuse en ce qui concerne les infrastructures vitales.
3/6) Quelques caractéristiques de la décroissance
La promesse de faire passer tout le monde par l'université signifie que nous pouvons vivre dans un monde qui peut occuper l'essentiel de sa population comme cadre, essentiellement dans le tertiaire, avec si possible une mégapolisation de la ville. Avec une quantité infinie d'énergie à disposition, cet objectif pourrait perdurer indéfiniment. Malheureusement depuis 2006, soit deux ans avant le crash financier, pétrole et gaz ont commencé à se faire moins disponibles dans les pays de l'OCDE. En conséquence de cette diminution des flux physiques, il va y avoir besoin de moins d'emplois tertiaires. Il faudra des travailleurs manuels en quantité croissante et des employés de bureau en quantité décroissante. Conseils à ceux dont les enfants ne savent pas quoi faire : devenir plombier ou maraîcher, ça sera moins confortable que d'être assis dans un bureau, mais cela sera plus facilement valorisable que quatre ans de psycho !
L'énergie contrainte devrait mener à réviser le mandat européen. On trouve encore le mot « croissance » toutes les deux pages dans les documents produits par l'Europe, ce qui explique pourquoi elle persévère dans une approche libérale qui n'est plus pertinente avec des contraintes physiques. L'Europe a été construite pour faire la paix, pas pour faire un marché. Il faudrait un nouveau traité constitutionnel qui affirmerait que l'Union européenne encourage les modèles économiques pérennes qui supportent la limitation de l'exploitation des ressources naturelles et la réduction des impacts sur l'environnement.
Cela suppose entre autres choses qu'aucun Etat de l'Union ne cherche à rendre durable un excédent commercial réalisé sur le dos des autres membres sans que l'argent ainsi gagné ne soit redistribué dans des mécanismes de solidarité. Il faut passer d'un bien importé à un bien produit localement. L'argent du consommateur est payé à un agent économique domestique qui va fournir des revenus à des habitants du pays, alors que dans l'autre cas, cet argent va alimenter des salaires et des rentes à l'étranger.
4/6) Climat et politique
Aujourd’hui les ouragans abattent maisons et infrastructures ? Qu’importe, les cimenteries tourneront à plein régime, les engins de travaux publics aussi, et nous reconstruirons tout cela. Avec la hausse de la température moyenne planétaire, nous aurons une multiplication des mauvaises récoltes, des dommages aux infrastructures, des ruptures d’approvisionnement, l’instabilité politique… Mais le jour où nous aurons à la fois un climat de plus en plus hostile et de moins en moins de gaz et de pétrole, que ferons-nous ? Que deviendra la situation quand le pétrole des engins de travaux publics et le charbon des cimenteries sera moins disponible ? En fait nous aurons un jour de moins en moins d’énergie fossile à notre disposition, cela est absolument certain quand on tape dans un stock de départ qui est donné une fois pour toutes.
On a déjà utilisé 180 milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP) de charbon, 180 de pétrole et 95 de gaz, conduisant à des émissions cumulées de CO2 fossile de 1400 milliards de tonnes. Pour rester en dessous de 2 °C, il faut que les émissions à compter de maintenant ne dépassent pas la moitié de celles qui ont pris place entre 1850 et 2014. D'ici à 2100, il ne faut donc pas émettre maintenant plus de 700 milliards de tonnes de CO2. Ce budget serait atteint avec la combustion supplémentaire de 170 milliards de TEP de charbon, alors que les réserves prouvées font état de 430 milliards extractibles dans les conditions techniques et économiques du moment. En conséquence un des objectifs des négociations climat devrait être la suppression de toute la production électrique au charbon d'ici 2050 en retirant progressivement les centrales en fin de vie sans en construire de nouvelles. Ce budget de 700 milliards de tonnes suppose par ailleurs des émissions divisées par trois d'ici à 2050 et devenues nulles en 2080.
Comme CO2 = PIB, préserver le climat revient à discuter de la meilleure manière de faire décroître le PIB en douceur. Ainsi la consommation de pétrole devrait baisser de 2 % par an. Il va donc falloir considérer comme désirables des évolutions qui sont tout à l'inverse de ce que nous avons souhaité pendant plusieurs générations. Il va falloir apprendre à reconsidérer comme normal de payer cher les objets, d'en avoir moins, et de ne pas s'attendre à ce qu'ils soient remplacés la semaine d'après. Le « toujours plus » était la base de toute négociation sociale. Il va falloir apprendre à gérer du « un peu moins », réparti au mieux. Comme tout le monde va devoir faire des efforts, ceux qui sont aux commandes devront en faire eux-mêmes, et suffisamment pour donner envie au reste de la population d'en faire sans se sentir les dindons de la farce.
A aucun moment dans les débats qui ont précédé le paquet « trois fois 20 » adopté en 2008 par l'Union européenne (20 % de baisse du CO, 20 % de renouvelables dans la consommation européenne, 20 % de gain sur l'efficacité énergétique), quelqu'un ne s'est donné la peine de rappeler que les renouvelables devaient bien se substituer aux fossiles, et pas juste venir en plus. Notons que la même confusion se retrouve dans la « loi de transition énergétique et pour la croissance verte ». Les grands objectifs de cadrage ne participent d'aucune vision globale cohérente, mais résultent de l'empilement d'une série de revendications sectorielles et qui sont parfois totalement incohérentes entre elles. Ainsi va l'attelage de la politique et de l'énergie.
Pour agir, il faudra limiter par la réglementation la consommation des voitures et des camions neufs, taxer la détention d'une machine qui consomme de l'énergie à proportion de sa consommation, plus largement taxer l'énergie de manière croissante, obliger à rénover les bâtiments existants, limiter la production industrielle en volume, limiter la quantité de viande que l'on mange, interdire le financement des nouvelles centrales à charbon partout dans le monde, bref implémenter les mesures qui conduiront à une modification des modes de production et de consommation. Evidemment toutes ces mesures limitent la consommation d'énergie, puisque c'est bien le but.
Le principal débat est de savoir si on limite de manière communiste (tout le monde a droit à la même choses ce qui s'appelle un rationnement) – ou si on limite de manière libérale (on taxe, et plus vous économisez plus ça coûte cher), ce qui permettra toujours aux plus riches d'en consommer plus que le pauvre (mais c'est aussi vrai si on ne taxe pas).
5/6) Jancovici deviendrait-il malthusien ?
Pour la déforestation, il est évident qu’avec 1500 milliards de tonnes de carbone contenues dans les écosystèmes terrestres, nous pourrions en supprimant toutes les forêts viser des émissions qui augmentent jusqu’en 20100. Le déterminant premier de la déforestation est la croissance démographique, qui engendre des besoins accrus en terre agricole, mais aussi la consommation de viande puisqu’il faut 10 fois plus de surface cultivée pour manger du bœuf que des lentilles. Dans les pays à forte couverture forestière, c’est donc la limitation de la croissance démographique qui est l’objectif à viser.
Comment, par quels moyens, avec quelles contreparties ? Si l’énergie fossile commence à faire défaut à partir de 2050, et que l’humanité se met à vivre en récession perpétuelle, au surplus dans un contexte de changement climatique de plus en plus intense, est-il encore logique d’imaginer que cette même humanité devienne sans cesse plus nombreuse, n’ait comme seul objectif que de couper des arbres pour créer des surfaces agricoles et vive en paix ? Il semble plus rationnel d’imaginer qu’un nombre croisant de « catastrophes » se chargera de mettre en cohérence une planète de plus en plus mitée et une humanité qui devra suivre le même chemin. Aucun modèle de climat n’avait dans son cahier des charges de simuler l’effet en retour du changement climatique sur l’humanité, quand le changement climatique pourrait limiter la taille de la population ou nos activités. On aurait pu imaginer que les modèles intègrent l’effet de la diminution de la production agricole sur la population, en en faisant mourir une partie de famine.
6/6) Conclusion
Il est à craindre que le monde fini soit un défi redoutable pour la démocratie. Il est en effet bien plus facile de s'accorder sur la manière de donner plus que sur la manière de donner moins. Tant que les élus dits républicains ne feront pas l'effort de comprendre que la condition première de réalisation de leurs promesses est une augmentation de l'approvisionnement énergétique, et que cette dernière est déjà devenu impossible en France et en Europe depuis les années 2000, ils seront poussés à continuer à faire des promesses irréalistes, et feront ainsi le jeu des extrêmes. A ce titre, le programme présidentiel de François Hollande (les « 60 engagements ») de 2012 est emblématique. On y cherchera vainement la présentation d'un grand défi propre à susciter l'enthousiasme. En revanche on trouvera l'assurance que ça ira mieux pour (je cite) les PME, les technologies numériques, l'agriculture, les banques, les fonctionnaires, les technologies vertes, les contribuables, les familles, les retraités, les médecins, les malades, les locataires, etc.
Tout gouvernement européen qui se respecte est favorable à une action pour diminuer les émissions de GES. Mais il est aussi pour une croissance économique forte, ce qui ne peut que faire augmenter les émissions. Depuis le sommet de la Terre en 1992, ils veulent tous cette impossible conjonction. Développement durable et croissance verte sont les oxymores qu'on a inventé pour laisser croire qu'on a résolu la contradiction. La schizophrénie est grave dans le marbre des déclarations politiques, il ne s'agit pas d'avoir des activités productives qui tiennent dans la boîte (la boîte étant notre planète), mais bien la croissance perpétuelle. Depuis l'apparition de la croissance verte dans les discours politiques, le charbon a continué à croître, les trafics de véhicule aussi, l'artificialisation des terres aussi, la biodiversité a continué à diminuer à vitesse accélérée, les poissons de font de plus en plus rares en mer, les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus discernables, la forêt mondiale continue de se faire grignoter.
La solution à ce problème est simple sur le papier, et irréaliste pour qui fréquente la classe politique d'un peu près : il faut qu'elle comprenne le lien entre la physique et l'économie et qu'elle dise aux électeurs quelle est la situation physique réelle du pays, ce que cela permet et ne permet plus. Il faut aussi qu'elle mette la décarbonation de l'économie au cœur de ses programmes. Il s'agit de passer d'un état de contraction subie à un état de stabilité gérée. Si nous ne le faisons pas, cela veut dire que nous choisissons de laisser notre économie dépendre d'un approvisionnement fossile qui va continuer à décliner, et cela va déboucher sur une récession structurelle. La seule manière d'échapper à l'extrémisme est de donner le sentiment de rester maître de son destin. Arrêtons de prendre l'électeur pour un benêt en lui promettant monts et merveilles. De nombreux sondages montrent désormais que nos concitoyens ont bien compris que le temps de la corne d'abondance était bien révolu. Quel prix sommes-nous prêts à payer tout de suite et de manière concertée pour éviter de déclencher, bien avant la fin du siècle, le retour de la barbarie généralisée sur une planète irréversiblement appauvrie ?
Il est fort possible que notre continent connaisse un soubresaut économique majeur dans les années à venir. Il faut espérer qu’il se produise avant les prochaines présidentielles 2017 pour éviter une élection sur un malentendu.