éditions le passager clandestin (530 pages pour 25 euros)
Tous les contributeurs de cet ouvrage ont eu pour instruction d’écrire aussi simplement que possible. Il s’adresse donc au grand public plutôt qu’aux spécialistes. La plupart des idées exprimées ont été formulées au sein du « groupe de lecture du lundi » de Research&Degrowth, à Barcelone. On y trouve quelques accusations gratuites comme « On peut évidemment envisager une décroissance malthusienne, donc la caractéristique première serait l’inégalité, moins de pauvres pour préserver les riches ». Mais la quasi-totalité des textes montrent au contraire la diversité des approches de la décroissance. Voici quelques extraits.
Bioéconomie (Mauro Bonaiuti)
La bioéconomie est un courant indissociable de la figure de Nicholas Georgescu-Roegen, qui fut le premier à s’interroger de manière radicale sur l’application des sciences physiques et de la biologie au domaine de l’économie. Le champ d’études de la bioéconomie ne diffère pas tellement de celui de l’économie écologique. Le but fondamental de l’économie, – une croissance illimitée de la production et de la consommation reposant sur des ressources en matériaux/énergie limitées -, s’avère incompatible avec les lois fondamentales de la nature.
La réduction inévitable de la consommation de matériaux et d’énergie, l’urgence qui en découle de renoncer aux biens superflus, la baisse de la population et le contrôle par la société des innovations technologiques constituent le noyau dur du « programme bioéconomique minimal ».
Bien que Georgescu-Roegen n’ait pas utilisé le terme « décroissance » dans ses travaux, il en autorisa l’utilisation dans la version française de son texte publiée en 1979 et intitulée Demain la décroissance. Le slogan « décroissance » fut remis à l’ordre du jour en 2002 dans un numéro spécial de la revue Silence, et au cours de la conférence internationale « Défaire le développement, refaire le monde » qui se tint à Paris la même année. Il apparut immédiatement comme une évidence que deux courants de pensée se retrouvaient sous ce même mot d’ordre : celui de la critique institutionnelle de la société de consommation, formulée au fil des ans par Ivan Illich, Cornelius Castoriadis et Serge Latouche notamment ; et celui de la critique bioéconomique.
Courants de l’écologisme (Joan Martinez-Alier)
L’écologisme rassemble trois principaux courants de pensée : le Culte de la nature, l’Evangile de l’éco-efficacité et le Mantra de la justice environnementale ou écologisme des pauvres. Le mouvement de la conservation a vendu son âme à des compagnies comme Shell ou Rio Tinto et fréquenté de trop près les ingénieurs et les économètres du courant de l’éco-efficacité. Le mouvement de la décroissance pourrait, en revanche, s’associer à l’écologisme des pauvres.
Cependant l’espoir d’une convergence entre les trois principaux courants de l’écologisme subsiste. D’autres formes de convergence sont aussi à espérer entre les squatters urbains adeptes de l’autonomie vis-à-vis du marché, les agro-écologistes ou les néo-ruraux, les décroissants et les partisans de la prospérité sans croissance, les grands mouvements paysans comme Via Campesina, les réalistes face aux risques du progrès technique et les populations indigènes qui exigent la préservation de leur environnement.
Beaucoup de gens partout dans le monde luttent pour le droit d’accès aux ressources naturelles, afin de faire face à leurs besoins élémentaires grâce à des systèmes de gestion communale de ces ressources.
Néomalthusiens (Joan Martinez-Alier)
Dans les années 1960 et 1970, des auteurs connus sous le nom de néomalthusiens, parmi lesquels Paul Ehrlich, tirèrent la sonnette d’alarme à propos de l’augmentation de la population.
En général les décroissants n’apprécient guère les décisions politiques par le haut qui touchent à la démographie et les restrictions migratoires. Mais les décroissants, contrairement aux marxistes, s’inquiètent ou devraient s’inquiéter des questions liées à la population. Bien qu’hostiles aux positions réactionnaires de Malthus, les décroissants pensent que la population ne doit pas croître sans contrôle. Ils sont en désaccord avec l’optimisme des économistes selon lequel la population humaine n’est pas une menace pour l’environnement. Ils se moquent de l’argument selon lequel, pour que les retraités continuent à percevoir une pension, il faudra de plus en plus de travailleurs jeunes, ouvrant ainsi la voie à une sorte de pyramide de Ponzi démographique. Comme le système agroalimentaire est très gourmand en énergie fossile, on peut aussi considérer qu’il n’y a pas eu d’amélioration de la productivité agricole.
Les décroissants ne sont pas les héritiers de Malthus lui-même, mais plutôt des néomalthusiens féministes radicaux du tournant du XXe siècle, qui défendaient la « procréation consciente » et considéraient que les pauvres en étaient capables. Lorsque Françoise d’Eaubonne introduisit en 1974 le terme « écoféminisme », elle faisait partie de la dernière vague du mouvement néomalthusien radical et se battait pour le droit à l’avortement. Yves Cochet, partisan de la décroissance, proposait récemment une « grève du troisième enfant ». Mais le néomalthusiannisme des riches considère aujourd’hui le taux de reproduction chez les pauvres comme une menace pour leur propre environnement à travers les flux migratoires.
Low tech (David Murray)
Les low tech ou basses technologies sont une remise en question de la fuite en avant technologique. Elles respectent sept « commandements » : remettre en cause les besoins ; concevoir et produire vraiment durable ; orienter le savoir vers l’économie de ressources ; rechercher l’équilibre entre performance et convivialité ; relocaliser sans perdre les bons effets d’échelle ; démachiniser les services ; savoir rester modestes.
Les high tech, du fait entre autres de leur complexité et de leurs besoins en ressources rares et non renouvelables, ne peuvent prétendre respecter ces impératifs. La voiture propre relève du mythe. Mieux vaut enfourcher un vélo et circonscrire la voiture à quelques usages spécifiques. Certains objets high tech comme la voiture ou l’ordinateur pourraient respecter les principes des basses technologies si leur propriété ou leur usage était envisagé sur le plan collectif plutôt qu’individuel.
Depuis quelques années, une nouvelle techno-critique se cristallise autour des effets socio-politiques et cognitifs du développement accéléré de nouvelles technologies. Mais la plupart des penseurs décroissants cherchent à éviter de sombrer dans une posture technophobe. L’appel aux low tech vise en définitive à retrouver le sens de la mesure et de l’équilibre.