Les livres d’histoire considéreront sans doute l’année 2005 comme le tournant historique qui a fait basculer le monde occidental, et par conséquence le monde entier, dans une nouvelle ère. Aucun officiel (représentant de l’Opep, de l’AIE, spécialistes…) ne voulait auparavant soulever le problème de la prochaine pénurie de pétrole. Mais les mauvaises nouvelles s’accumulent mois après mois pour tous ceux, de plus en plus nombreux, qui suivent de près le dossier pétrolier. C’est pourquoi, alors qu’aucune compagnie pétrolière n’acceptait jusqu’à présent d’admettre que le problème existe, elles aimeraient bien maintenant que ça se sache !
Une étude de l’AIE (Le Monde du 3/4/2005) recommande déjà aux pays consommateurs de pétrole de restreindre leur consommation de carburant et invite les gouvernements à préparer une série de mesure, par exemple la réduction à 90 km/h de la vitesse sur autoroute. Il est significatif que cette Agence Internationale de l’Energie, une officine chargée depuis 1974 de défendre les intérêts des pays consommateurs, change totalement de discours. Après avoir bercé le monde occidental d’illusions, l’AIE reconnaît même dans son rapport annuel 2005 que la production des Etats qui ne sont pas membre de l’OPEP (Russie, Etats-Unis, Norvège…) devrait décliner peu après 2010 alors qu’ils fournissent aujourd’hui 60 % du brut mondial. Après des années d’insouciance, son mot d’ordre devient : « Economisez l’énergie, économisez le pétrole ! Et diversifiez-vous, s’il vous plaît. Sortez du pétrole ! » Le directeur des études économiques de l’AIE ose même cette image : « Le pétrole, c’est comme une petite amie, vous savez depuis le début de votre relation qu’elle vous quittera un jour ; pour qu’elle ne vous brise pas le cœur, mieux vaut la quitter avant qu’elle ne vous quitte. »
Ce changement de discours se reflète un peu partout. En mai 2005, l’un des banquiers les plus en vue de Houston, publie Crépuscule dans le désert en dévoilant que l’Arabie saoudite surestime ses réserves. Le même mois une conférence internationale de géologie s’ouvre à Lisbonne. L’association pour l’étude du pic pétrolier (ASPO) y annonce que le « Peak Oil » sera atteint avant la fin de la décennie. Or le pic pétrolier est synonyme du début de la régression de l’offre de pétrole et cela met en péril une grande partie du fonctionnement des sociétés thermo-industrielle : toutes les activités ou presque reposent sur un pétrole bon marché, les déplacements individuels et collectifs ou même l’alimentation (engrais et pesticides découlent du pétrole). Le livre du député Vert Yves Cochet est édité avec un titre qui se veut prémonitoire : « Pétrole apocalypse ». Il est vrai que nous sommes rentrés dans une période où le prix du baril qu’on a estimé pendant trop longtemps devoir rester en dessous de 30 dollars dépasse maintenant régulièrement les 60 dollars.
A la fin du mois de mars 2005, la banque d’affaires Goldman Sachs avait d’ailleurs fait sensation en affirmant que le prix du baril de pétrole pourrait prochainement atteindre 105 dollars. Quelques semaines plus tard, l’institution financière Ixis CIB évoquait la possibilité d’un cours du baril à 360 dollars en 2015. Le même organisme notait que si le prix du pétrole avait augmenté depuis 1974 au rythme optimal d’une ressource épuisable, il vaudrait déjà 122 dollars en 2005 (alors qu’il ne cotait que 66,6 dollars au 22 septembre). En effet, il y a une grande incertitude au niveau de la pérennité de l’offre : les estimations des réserves varient de 780 milliards à 1100 milliards de barils, même si on s’accorde généralement pour garantir 40 années de réserves seulement. Du côté de la demande, une forte certitude au contraire, les besoins en énergie de la Chine et des autres pays émergents sont immenses. C’est pourquoi l’OCDE a décidé de ne plus établir de prévisions sur le cours du pétrole, le déséquilibre entre l’offre et la demande étant dorénavant structurel et les variations de prix aléatoires.
Dans un contexte où les analyses convergent vers un prix du baril en augmentation, les politiques commencent à réagir. En août 2005, le premier ministre français a réuni les dirigeants du secteur de l’énergie pour débattre des prix, des approvisionnements, de la recherche et de l’investissement, des énergies de substitution. Thierry Breton avait même souligné sur France-Info que les Français devaient s’habituer à consommer moins et qu’il allait les aider à réaliser des économies d’énergie (crédit d’impôt pour les installations domestiques fonctionnant avec des énergies renouvelables). Sur approbation de D.Villepin, D.Perben (transports) a fait valoir que si l’on réduisait la vitesse de 15 km/h sur autoroute, le prix du plein resterait le même qu’avant la hausse du pétrole ». F.Loos (industrie) insiste : « Il faut donner quelques signaux forts pour que tout le monde comprenne qu’il est concerné et pour longtemps par la hausse des prix du pétrole. On peut imaginer par exemple une réduction de la vitesse sur les autoroutes à 115 km/h ». Les réactions de rejet de ces annonces ont été très fortes : F.Hollande lance « Si vous voulez gagner de l’argent, ne roulez plus du tout », l’UDF « Si le prix du baril double, va-t-on limiter la vitesse à 60 km/h sur les autoroutes » et l’UMP n’est pas sûre « que les méthodes coercitives soient les réponses les plus appropriées ». Pourtant lors du plan climat en 2004 on envisageait déjà une limitation sur autoroute à 120 km/h, mesure vite abandonnée comme tout ce qui fâche. Mais il n’y a plus d’autres choix possible.
En septembre 2005, face à la flambée des prix du pétrole qu’il estime durable, D.de Villepin a encore exhorté les Français à « intégrer dans leurs comportements ce changement » et donc à diminuer leur consommation. Mais les politiques hésitent encore : Th.Breton incite d’abord les entreprises pétrolières à investir dans le raffinage et les énergies renouvelables. Une telle politique a été reprise par les ministres des finances de l’UE et a alimenté les discussions lors du G7. Pourtant les politiques dignes de la protection des équilibres sociaux devraient d’abord envisager les choix de premier rang, c’est-à-dire les économies de pétrole, avant d’abonder dans la poursuite perpétuelle de la fuite en avant, la recherche d’énergies de substitution. Mais le processus électoral étant ce qu’il est, les valses-hésitations des ministres face au choc pétrolier rampant vont encore durer assez longtemps.
Il faut donc un principe accélérateur du changement de cap vers la sobriété énergétique ; or ce moyen existe déjà, ce sont les médias d’information ! Ainsi Le Monde 2 titrait dans son numéro du 1er octobre : « Pétrole, la panne sèche ? » Cet article n’est qu’un exemple de la multiplication des annonces (presse, radios, télé) sur l’épuisement de la ressource pétrolière. De plus le complément obligé à la combustion du pétrole est déjà omniprésent dans les médias : pas un jour pratiquement sans évoquer ici ou là l’accélération du changement climatique à cause des gaz à effet de serre émis par l’activité humaine. La prise de conscience générale qu’il faut changer les modes de vie peut donc être extrêmement rapide, la formations des éco-citoyens a déjà commencé dans la presse écrite ou nos journaux télévisés. En 2005, l’après-pétrole a déjà commencé.