L’économie que nous voulons esquisser – appelons-là l’économie biophysique – part de l’hypothèse que l’énergie et les matières requises pour fabriquer biens et services doivent être tout autant prises en compte que les interactions entre humains. Pourquoi, en effet, l’économie actuelle est-elle devenue une science sociale en excluant le monde biophysique ? Parce que, depuis deux siècles, l’abondance et le faible prix de l’énergie nous ont permis d’ignorer la nature. Cette profusion énergétique seule a été capable d’engendrer d’énormes richesses au XXe siècle pour une part dérisoire de nos salaires et de notre temps. Les économistes officiels répètent à satiété que le coût de l’énergie dans le PIB est d’environ 5 %, et que de cette façon nous n’avons pas à nous inquiéter. A quoi nous rétorquons que si l’on soustrayait ces 5 % de l’économie, les 95 % restants n’existeraient plus. Il faut environ 100 millions d’années pour « produire » du pétrole ; si la nature était une marchande capitaliste, à combien nous offrirait-elle le litre de super ? Contrairement à l’économie écologique, l’économie biophysique ne cherche pas à quantifier en euros le coût des services fournis par les écosystèmes, elle ne cherche pas à faire entrer la nature à l’intérieur du cadre de l’économie néoclassique, elle s’efforce de créer un nouveau paradigme. Le travail de la nature possède en effet une valeur si incommensurable avec tout ce que l’on peut chiffrer en euros qu’il paraît absurde de tenter même de le faire.
L’approche classique par les seuls « travail » et « capital » comme facteur de production omet que c’est l’énergie qui est à l’origine de toute richesse. La production dans les sociétés industrielles est proportionnelle à l’utilisation de l’énergie. Cette observation ne nie pas qu’ensuite il faille tenir compte des « préférences des consommateurs » ou des choix de la meilleure allocation de ressources, elle exprime le fait qu’en temps de rareté et de cherté énergétique nous devons nous concentrer sur la source des biens et des services : l’énergie. Bien sûr cette économie biophysique débutante ne possède pas encore les concepts, les équations et la majesté de l’économie conventionnelle. La théorie économique néoclassique contemporaine masque sous une élégance mathématique son indifférence aux lois fondamentales de la biologie, de la chimie et de la physique, notamment celles de la thermodynamique. Cette théorie est hégémonique dans les enseignements scolaires et universitaires, et il est stupéfiant de constater qu’elle ignore complètement les processus qui gouvernent la biosphère, les matières et l’énergie que nous extrayons du sous-sol, les déchets que nous rejetons dans les milieux, et l’environnement dans son ensemble. La fable de l’économie telle que l’expose la quasi-totalité des manuels de sciences économiques en fait un système circulaire d’échanges de valeurs entre la sphère des entreprises et la sphère des ménages. C’est un système conceptuellement clos, une sorte de machine intellectuelle réalisant le mouvement perpétuel à l’intérieur d’un grand parc aménagé pour la satisfaction des humains.