Je suis convaincu qu’une catastrophe est en gestation, mais je ne partage pas la conviction que les démocraties modernes possèdent les ressorts nécessaires pour la prévenir et l’affronter. Je crains que la métamorphose espérée n’intervienne trop tard pour enrayer la crise écologique, et ne manifeste ses effets que pendant et après la catastrophe, un peu comme le pacifisme n’empêche pas les guerres mais se développe dans leur sillage.
En effet toute société cherche à persévérer dans son être. Le marché, en s’efforçant par tous les moyens de poursuivre sa course, mettra l’humanité en péril. Il possède encore de nombreux espaces, de nombreux interstices et il pourra continuer de se déployer. Mais comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, et plus on aura déployé d’ingéniosité pour le prolonger, plus les effets différés seront dévastateurs. Il n’y aura pas de planète de rechange. Ou encore, pour dire les choses de façon plus brutale, la saturation se traduira pour l’humanité par une véritable descente aux enfers. Chaque instant qui passe nous éloigne davantage du moment où un autre avenir serait encore possible.
Certes, les contre-tendances vont se développer. Les signes les plus évidents de la destruction de la biosphère conduiront à une désobéissance civique de plus en plus répandue, puis à des violences contre le système, et l’inventivité humaine ne manquera pas de trouver face à l’inéluctable des ressources inouïes. Mais tout cela viendra trop tard. A supposer qu’une partie de l’humanité ait réussi à décélérer, l’inertie du système sera telle que la grande masse des humains continuera à prétendre au mode de vie que nous avons promu avant d’être rattrapée par le fatum que nous avons enclenché.