Le taux de croissance du PIB est devenu incontournable depuis la deuxième guerre mondiale, on croit à sa pérennité dans les pays développés à économie de marché et à l’impossibilité de la décroissance, mais on oublie les leçons de l’histoire. En effet, on retrouve déjà l’idée de décroissance dans l’œuvre de Joseph Aloïs Schumpeter, mais sous un autre nom, celui de dépression. Schumpeter vient au monde l’année même de la mort de Karl Marx, en 1883. Très bon connaisseur de l’œuvre de Karl Marx, Schumpeter est à la fois un grand admirateur et un féroce critique du capitalisme. Son analyse de la croissance comme dynamique du capitalisme (The theorie of Economic Development en 1911 et Business Cycles en 1939) va en effet à l’encontre de la thèse libérale de l’équilibre automatique grâce à la loi du marché. Il explique, par le rôle de l’entrepreneur et de l’innovation, la mise en évidence statistique des cycles longs par Kondratieff au XIXe siècle (deux cycles, 1780-1840, puis 1840-1897), c’est-à-dire une phase d’expansion (des prix, de la production, de l’emploi) sur 20 à 30 ans qui débouche nécessairement sur une crise suivie par une phase de dépression, une décroissance économique sur 20 à 30 ans.
Schumpeter est donc pessimiste sur l’avenir du capitalisme : du fait de la disparition des entrepreneurs innovateurs, il y aurait déclin inéluctable. La grande crise des années trente viendra confirmer les idées de Schumpeter concernant la phase de récession. De même la reprise des Trente Glorieuses peut être aussi expliquée par l’analyse de Schumpeter : une nouvelle vague d’innovations, innovations de procédés (taylorisation généralisée) et innovations de produits (en particulier, l’équipement des ménages en biens durables), permet une nouvelle phase ascendante d’un cycle long. Dans ce contexte, le choc pétrolier de 1973 n’est que le catalyseur du retournement de tendance par épuisement des gains de productivité du taylorisme et saturation des besoins des ménages en biens durables. Mais comme l’interventionnisme gouvernemental est généralisé dans les pays développés à économie de marché, comme la publicité modèle de nouveaux besoins plus ou moins artificiels, la décroissance économique a été évitée, la récession économique s’est transformée jusqu’à nos jours en croissance molle.
En fait la mystique de la croissance pour la croissance nous empêche actuellement de comprendre que la décroissance est au bout du chemin de la croissance. Le début des années 1970 voit apparaître le nouveau concept de limites de la planète. Cela commence par une réactualisation aux Etats Unis de la thèse malthusienne avec La bombe P (P pour population) de Paul Ehrlich en 1971. L’année suivante a lieu la première conférence internationale sur l’environnement dans le cadre de l’ONU à Stockholm ; cette conférence est précédé par l’établissement d’un rapport préparatoire intitulé de façon prémonitoire Nous n’avons qu’une seule terre, de B.Ward et R.Dubos. Un autre livre est publié en 1972, The limits to growth ou rapport du club de Rome commandité auprès du MIT (Massachusetts Institute of technology). L’idée générale de toutes ces idées émergentes, c’est qu’une croissance exponentielle dans un monde fini n’est pas possible. Nous quittons le domaine des cycles économiques centrés uniquement sur l’initiative entrepreneuriale pour passer à une vision plus globale analysant les rapports complexes entre l’activité humaine et l’état des ressources naturelles. La récession n’est qu’un simple défaut de croissance, synonyme de chômage et de paupérisation ; la décroissance correspond au contraire à une modification globale des conditions et des règles du développement. Ce n’est pas l’infrastructure économique qui explique l’évolution idéologique et politique d’une société (la superstructure) comme le pensait Marx. L’infrastructure construite de main d’homme est elle-même superstructure relativement à la véritable infrastructure, celle des ressources et circuits de la biosphère. (notes de Michel Sourrouille)