BIOPHERE-INFO spécial juillet-août 2013
En juillet-août dernier, nous avions consacré un numéro aux jeux Olympiques, culte de la démesure et du fric. Cette année, nous analysons la place du deux-roues. Le vélo est, après la marche sur nos deux jambes, le déplacement à la fois le plus écolo et le plus efficace : une vitesse appréciable, la possibilité de porter des charges, un matériel qui peut être simple et convivial, assez facilement réparable par chacun, et surtout non-utilisateur d’énergies fossiles.
Il y a donc un usage de la bicyclette qui préfigure le dévoiturage qui suivra nécessairement le prochain choc pétrolier. Mais notre époque reste ambiguë. D’un côté il existe un système convivial que s’appelle l’AlterTour et dénonce l’esprit de compétition. De l’autre il y a la récupération du vélo par le système marchand. Cela s’appelle le Tour de France, ou le Giro (Tour d’Italie)… Or le sport-spectacle pousse à la démesure de l’homme, donc au dopage. Pour être écolo, contre la démesure, il nous faut retrouver le sens des limites.
1/2) L’AlterTour à bicyclette
Du 18 juillet au 20 août 2013 a lieu le Tour de France. Non, pas la grande boucle des dopés qui s’est déjà terminée le 21 juillet sur les Champs Elysées. L’autre tour, l’AlterTour ! C’est un espace de rencontre, de débats, ouvert à tous, visant à promouvoir la réflexion, les échanges de connaissances et d'expériences militantes, les témoignages de résistance non-violente. L' « AlterTour pour une planète sans dopage » est un parcours cycliste autogéré en relais partant à la découverte des alternatives régionales. Il fédère les personnes et les mouvements qui s'opposent à l'esprit de compétition, et dénoncent le dopage sous toutes ses formes, notamment dans l’agriculture et l’économie concurrentielle.
L'AlterTour inscrit sa démarche dans le cadre des valeurs de tolérance, d'égalité, de solidarité, de coopération, de liberté et de paix. Ces valeurs sont mises en pratique au quotidien avant, pendant et après la durée de l’AlterTour.
L'AlterTour est éducatif, engagé, joyeux, à but non lucratif. Il est organisé par des citoyens responsables.
L'AlterTour promeut une gestion collective dynamique de la biodiversité, des semences paysannes, de la sauvegarde de l’agriculture non-productiviste et de ses paysans, et plus largement la sauvegarde des biens communs de l'humanité que représentent l'eau, les sols, l'équilibre écologique, ainsi que la diversité culturelle.
L'AlterTour a démarré de Gien dans le Loiret et se terminera à Rochejean dans le Doubs ; il passera par le la Nièvre 58, l'Yonne 89, la Côte d’Or 21, la Saône et Loire 71 et le Jura 39.
Extraits de la charte de l’AlterTour
Dopage : tout procédé qui augmente artificiellement certaines performances à court terme mais entraîne des conséquences négatives sur l’environnement, la santé, la société.
- Dans le sport, le dopage porte atteinte à la santé des sportifs pour le bénéfice des industries pharmaceutiques et des sponsors.
- Dans l'agriculture, le dopage porte atteinte aux paysans, aux sols, à la qualité de notre alimentation et à la biodiversité, pour le bénéfice de l'industrie agro-alimentaire et des firmes productrices d'OGM, d'agrotoxiques (pesticides) et d’engrais de synthèse (qui stérilisent les sols).
- Dans l’économie de marché, le dopage porte atteinte aux consommateurs, salariés, artisans,… pour le bénéfice de la finance et des entreprises multinationales.
- Plus généralement, des formes de dopage existent également dans les transports, le tourisme, l’enseignement…
En définitive, la compétition et la concurrence, érigées en valeurs suprêmes, aboutissent logiquement au dopage pour « réussir » (ou plutôt dominer, voire éliminer !). Cette fuite en avant pour vivre au-dessus de ses moyens est encadrée et relayée par les médias friands du sport-spectacle…
Sur l’organisation de l’AlterTour
Cette manifestation itinérante est préparée par des bénévoles. En opposition avec l'esprit de compétition, les altercyclistes voyagent ensemble, partagent leurs bicyclettes et se relaient dans un esprit de solidarité.
Chaque participant-e vient avec son matériel de camping qui lui permet de dormir à l’abri dans toutes les conditions météo. Même si tous les sacs personnels sont transportés en véhicule motorisé mis à disposition par l’AlterTour, il est fortement encouragé de limiter ses affaires. L’AlterTour fonctionne de manière autogérée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de structure hiérarchique de commandement, ni d’individus qui occupent un rôle prédéfini comme cuisinier, chauffeur ou installateur de toilettes sèches. A chaque étape de la caravane de l’altertour, il se constitue différents postes : tout d’abord un guide, en général bon connaisseur de la région, qu’il est formellement interdit de dépasser sous peine d’égarement assuré ; ensuite un serre-file, muni d’une combinaison jaune, équipé d’une trousse de premiers secours et qui ferme la caravane ; enfin de nombreuses “flèches humaines” à l’existence éphémère qui servent à indiquer la direction à toute la joyeuse équipe : chaque flèche ne quitte son poste qu’au passage du serre-file !
C'est un tour "à la carte", pour tout ceux qui souhaitent partager une belle tranche de vie collective, découvrir des terroirs préservés, avoir une activité physique source de santé, et dire ensemble : "Nous voulons un monde sans dopages".
2/2) Tour de France, le culte de la démesure
L’écologie, c’est aussi rendre aux hommes leurs capacités humaines, c’est reconnaître nos limites, ne pas vouloir les dépasser. Christopher Froome, qui a « dominé » le Tour de France 2013, est le parfait exemple qu’il ne faut pas suivre. Voici quelques indications sur ce surhomme dont nous ne voulons pas :
Froome ? Personne ne le connaissait dans les rangs juniors ou au début de sa carrière pro. Mieux, avant le Tour de Suisse 2011, il n’avait jamais terminé dans les 10 premiers d’un chrono d’une épreuve WorldTour… et voilà qu’en deux ans, il augmente son niveau jusqu‘à presque taper le multiple champion du monde du chrono Tony Martin...
La puissance de Froome lors d’un chrono ne peut être interprétée : course trop courte, tout simplement. C’est pourquoi Vayer et Portoleau ne calculent les puissances que sur certaines étapes de montagne comportant plusieurs cols. Si vous développez plus de 410 watts sur une dernière ascension après 180, 200 ou 220 bornes et plusieurs autres cols, c’est que vos muscles n’ont pas fatigué au fil des heures de course. C’est que vos muscles sont tellement bien oxygénés qu’ils ne toxinent pas, et vous vous présentez au pied de la dernière ascension comme si vous veniez de partir. Ce n’est pas humain car avec l’effort et la durée, l’organisme humain fatigue. Accumule des lactates à l’effort. Perd son efficacité. C’est précisément ce qu’implicitement les calculs de puissance de Vayer et Portoleau visent à démontrer : chez certains, comme Froome, la fatigue ne s’installe pas. C’est anormal.
Froome, aux mains d’un manager « crédule »
Dave Brailsford, le manager de l’équipe Sky, donc de Christopher Froome, se veut « clean ». Mais il se refuse de publier les données SRM (puissance moyenne, cadence moyenne, etc.) de son poulain : « Je ne pense pas que cela éviterait le suspicion si on les publiait. »* Donc circulez, y’a rien à voir. De toute façon Dave Brailsford croit encore à la puissance illimitée de l’homme : « On sait que les performances sportives s’améliorent au fin du temps. En 2113, un coureur clean ira plus vite que Froome ne le fait maintenant. C’est logique. » Toutes les études scientifiques sur le sujet montrent le contraire, les performances sportives humaines commencent à plafonner… sauf usage d’une nouvelle drogue ou autres prothèses techniques.
* LE MONDE du 11 juillet 2013, Dave Brailsford, le « Mister Clean » du cyclisme
Froome, surhumain dans les cols
"Impossible de gagner le Tour sans dopage", avait enfin avoué Lance Armtrong. Prié par France Télévisions de confirmer, "les yeux dans les yeux", qu'il n'avait jamais pris de "produits dopants", Chris Froome ose aujourd’hui : "Non. Rien… Je considère comme une mission personnelle de montrer que notre sport est propre." Pourtant lors de l’ultime ascension vers Ax 3 Domaines, soit une pente soutenue (8,2 %) qui s'étire sur près de 8 km, le favori du Tour a battu en 23'14'' les temps réalisés lors de l'édition 2003 par l'Américain Lance Armstrong (23'24'') et l'Allemand Jan Ulrich (23'17''). Le septuple vainqueur (1999-2005) déchu et le lauréat 1997, qui s'étaient livré un duel acharné il y a dix ans lors de cette ascension finale, ont en commun d'avoir reconnu s'être dopés.*
Négligeons les vitesses moyennes, même si un contre-la-montre par équipes à 57,84 km/h laisse dubitatif. Ce qui compte, ce sont les puissances en montagne. Un radar étaient placés dans les Pyrénées sur la montée d'Ax 3 Domaines. En deçà de 410 watts, c'est sans garantie mais humain, entre 410 et 430, c'est suspect, jusqu'à 450 miraculeux, et au-delà mutant. Chris Froome est là pour gagner. Il a relégué Dan Martin à Ax à 2'34'', sur la seule montée finale en développant 446 watts. D'autant plus inquiétant que cette performance quasi mutante le place à seulement deux petits watts de la prestation effarante du duo Armstrong-Ullrich en 2003, alors "chargés comme des mules"."Impossible de gagner le Tour sans dopage ?" Vous avez la réponse.
* LE MONDE du 9 juillet 2013, La fusée Chris Froome sur orbite
** LE MONDE du 9 juillet 2013, Froome aussi puissant qu'Armstrong et Ullrich en 2003
Froome, surhumain dans le contre-la-montre
L'Allemand Tony Martin a remporté mercredi 10 juillet la 11e étape du Tour de France, un contre-la-montre de 33 kilomètres entre Avranches et le Mont-Saint-Michel, devant le maillot jaune Christopher Froome, qui a vu ses principaux rivaux perdre beaucoup de temps. En tête aux deux points intermédiaires du parcours en dégageant une impression de facilité, Chris Froome a ralenti la cadence dans les derniers kilomètres du tracé, pour le plus grand plaisir de Tony Martin, qui n'avait plus goûté à la joie d'une victoire d'étape depuis le chrono de Grenoble en 2011. Tony Martin règne donc en maître sur le contre-la-montre uniquement parce que le dopé numéro 1 l’a laissé gagner…
* Le Monde.fr avec Reuters | 10 juillet 2013 Tour de France : Tony Martin règne en maître sur le contre-la-montre
Le business cycliste autour de Froome
Il y a la drogue, et l’argent de la drogue. Lance Armtrong s’exprimait dans LE MONDE du 29 juin : « Impossible de gagner le Tour sans se doper ! » Il a perdu ses sept titres pour dopage. Pourtant le président « d’honneur » de l’Union Cycliste Internationale, Hein Verbruggen, affirmait un an avant les aveux du Texan : « Lance Armstrong ne s’est jamais dopé. Jamais, jamais ,jamais ! » Les déballages ne sont pas du goût de cet homme d’affaires. Il dirige, depuis 2001, la société Olympic Broadcasting Services, qui gère les droits de retransmission des Jeux Olympiques. De son côté la Grande Boucle a rapporté 32,5 millions après impôts en 2011 à Amaury Sport Organisation, qui a la haute main sur le Tour, pour un chiffre d’affaires de 157 millions. Soit une remarquable rentabilité de 20,7 %. Depuis 2005, le taux n’a jamais été inférieur à 20 %. La drogue rapporte.
(Le Canard Enchaîné du 3 juillet 2013, p.4)
conclusion
2013, centième édition de la Grande Boucle. Cent épisodes de triche. En 1904, Pierre Chevalier profite de l'obscurité pour prendre place dans une voiture et finir 3e de l'étape ! Quand ce Tour de France s'achève, Maurice Garin conserve son titre. Quatre mois plus tard, l'Union vélocipédique de France disqualifie les quatre premiers. Même si on ignore les motifs précis des sanctions, les chefs d'accusation concernent notamment l'aide illicite de véhicules motorisées pendant la course* ... La triche par dopage ces dernières années ne sont que la nouvelle forme de l’idiotie du sport-compétition motivé par l’argent.
La triche n’est pas consubstantielle à l'homme, elle découle d’une forme d’organisation sociale qui prône à l’heure actuelle la démesure et dénature l’espèce humaine.