Ce livre est réservé aux spécialistes de l’écologie globale car il n’est rien d’autre qu’une invitation au voyage encyclopédique, un simple recueil de références bibliographiques résumées et classées par ordre chronologique de 1824 à 2007. Cette sélection raisonnée couvre des domaines trop souvent cloisonnés et qui s’ignorent mutuellement. Pour les profanes, voici un résumé de l’introduction qui marque l’importance de Jacques Grinevald dans la pensée de la décroissance :
« Si je publie ce document rassemblant des repères puisés pour l’essentiel dans la littérature scientifique, c’est parce que je crois que la pensée scientifique moderne issue de l’aventure spirituelle et politico-économique de l’Occident contient aussi son propre correctif évolutif et redécouvre, avec la Biosphère de la planète Terre, une nouvelle manière de relier les hommes entre eux, une nouvelle définition de l’humilité, ou si l’on préfère de la sagesse. Il est grand temps de revenir à cette sagesse que la mythologie moderne de la rationalité, mécanique et anthropomorphique, nous a fait oublier au profit du dogme de l’expansion et de la croissance illimitée dont on commence à comprendre qu’il fait partie d’une illusion de perspective et d’une échelle d’observations trop courte, inhérente à l’âge d’or des combustibles fossiles.
Eduqué dans mon enfance d’une manière très catholique, je me suis éloigné d’un certain humanisme soi-disant universel que je trouve à présent terriblement eurocentrique, et même excessivement anthropocentrique. Je me suis révolté intérieurement contre le fossé des deux cultures, l’humaniste et religieuse qu’on m’avait inculquée, et celle plus écologique et scientifique. Dans les années 1970, l’écologie (scientifique et politique) devenait une nouvelle perspective, aussi subversive que passionnante.. Cela me faisait sortir des sentiers battus, et notamment du splendide isolement des sciences de l’homme par rapport aux sciences de la nature. Mon premier amour pour la cosmologie, la thermodynamique et la cybernétique, trois domaines traversés par la redoutable question de l’entropie, ne fut pas inutile. La conscience écologique ne tombe pas du ciel, demande tout un apprentissage, toute une nouvelle éducation, à rebours des cloisonnements disciplinaires.
En tant qu’enseignant, je sais que le plus difficile à transmettre, c’est le désir de remettre en question ses propres préjugés et ses croyances les plus fondamentales ! Au lendemain du tollé qui accueillit le premier rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance (1972), on n’avait pas encore compris l’accélération de la dynamique d’un système aussi complexe que la Biosphère, altérée par l’activité humaine, et on ne croyait pas sérieusement à l’imminence d’une double menace comme celle du changement climatique et de la déplétion mondiale du pétrole brut ! On a oublié que ce rapport illustrait déjà le problème des courbes exponentielles de notre croissance. Le terme d’anthropocène, qui est un néologisme récent ne date pas de l’an 2000 (Crutzen) puisqu’il se trouvait déjà en 1992 dans Global Warming de Revkin. Cette notion désigne l’époque géologique actuelle manifestement dominée par l’impact environnemental global de l’activité économique et de l’expansion démographique de l’espèce humaine. Bien entendu, l’ère néolithique n’est nullement un long fleuve tranquille. Mais relativement à l’explosion démographique et technique des deux derniers siècles, le passé semble stationnaire et froid, tandis que l’époque actuelle manifeste une surchauffe incontestable de la croissance.
On nous parle beaucoup des impératifs économiques de la mondialisation, mais il est grand temps de réfléchir aux impératifs de la mondialisation écologique, parce que le monde vivant auquel nous appartenons est un phénomène à l’échelle de la Terre. C’est pour cela que le mot Biosphère a été inventé. La science de la Biosphère, c’est l’écologie globale. Il s’agit d’un changement de perspective aussi considérable, aussi révolutionnaire, que la pensée copernicienne. Dans cette perspective planétaire, tous nos problèmes prennent un autre sens, y compris nos problèmes métaphysiques et religieux. Redonner au vivant une place centrale dans notre théorie de la Terre n’est pas encore une évidence pour tout le monde. Les résistances mentales et institutionnelles sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées à de puissants intérêts et aux racines historiques de ce qu’on appelle la raison d’Etat, qui n’est pas sans rapport avec un certain état de la Raison. L’arrogance de l’humanisme fait partie des racines culturelles et historiques de notre crise écologique.
Une nouvelle figure du sacré est sans doute en train de se dessiner, non dans l’image de cet Homme prométhéen qui se prend pour l’âme du monde ou la conscience de la Nature, mais dans une nouvelle alliance entre l’espèce humaine et toute la Biosphère, alliance sans précédent parce que réellement planétaire et d’une manière qu’on peut seulement exprimer avec la métaphore de la symbiose : l’homme est la Nature prenant conscience d’elle-même. C’est bien parce que le Soleil n’en finit pas de mourir que nous jouissons, l’espace d’un soupir, de la splendeur d’être là, dans la Biosphère si extraordinaire que certains l’ont appelée « la planète miracle ».
(édition Georg)