Introduction : L’impact de l’homme sur la biosphère est inouï et destructeur. Les pollutions climatiques – effet de serre- mettent en cause des équilibres globaux. Partout, les milieux naturels –eau, air, sol- ont du mal à fonctionner. Partout, c’est l’hémorragie des espèces vivantes qui ne peut laisser l’humanité indemne et met en accusation notre responsabilité. Notre relation avec la biosphère est viciée. Se situer par rapport à des systèmes de pensée existants aide à la réflexion. Pour cette aide, nous proposons un regard sur « l’écologie profonde » (EP) ou « deep ecology », une expression du philosophe norvégien Arne Naess qui date de 1973. L’écologie profonde s’exprime en priorité dans les pays anglo-saxons et d’abord aux USA (« Environmental Ethics » par exemple). On pourrait résumer l’écologie profonde selon 5 caractéristiques :
1/5) La crise écologique vient de l’anthropocentrisme.
En Occident, nous sommes tous plus ou moins anthropocentristes dans nos têtes, nos activités, nos cultures. Nous signifions par là que la nature, animée ou inanimée, n’est qu’un matériau pour l’homme. Descartes explique que nous sommes comme « maîtres et possesseurs.» de la nature. La Bible est encore plus terrible. Certes, un anthropocentriste, dans l’intérêt bien compris de l’humanité, défendra par exemple des formes de vie « inutiles ; il pense qu’un jour elles peuvent se révéler « utiles » (santé, nourriture…) Mais pour cet esprit avisé, la nature reste un instrument. L’anthropocentriste distingue si fort la nature de la culture que pour lui la spécificité de l’homme est d’être anti-nature. Anthropocentrisme égale humanisme….dans la mesure où humanisme égale anthropocentrisme. Tant que la nature n’aura pour nous d’autres raisons d’exister que son exploitation par l’homme, la crise durera, s’amplifiera. Il faut donc rejeter l’anthropocentrisme pour une pensée plus moderne, mieux adaptée à notre temps : mettre l’homme à sa bonne place dans la nature.
2/5) La vie au centre : le biocentrisme.
Les penseurs de l’EP posent comme principes que la vie humaine et non humaine est une valeur en soi, que la diversité des êtres vivants est aussi une valeur en soi, que tous les êtres vivants ont un même droit à la vie. L’homme n’est donc plus au centre de l’univers ou de la nature mais la vie. Cette position, en Occident est révolutionnaire. Etre chassé du centre alors qu’on y siège depuis des lustres est frustrant. Galilée en a su quelque chose pour avoir excentré la terre. Les EP ne sont pas les seuls à douter de la supériorité humaine. Des scientifiques comme S.J.Gould montrent que placer l’homme à la pointe de l’évolution est très arbitraire. C’est affaire de critères choisis a priori ; selon celui retenu bien des espèces peuvent revendiquer une place élevée sur le podium. Pour Aldo Léopold nous, les hommes, sommes des compagnons voyageurs des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution. Serions-nous la dernière génération d’humains que nous n’aurions pas le droit de ruiner la planète et de la rendre invivable aux autres espèces.
3/5) L’Anti-totalitarisme.
L’écologie profonde apparaît plutôt comme anti-totalitaire. Ses auteurs de référence comme Thoreau, Naess ou Snyder recommandent à chacun de chercher la voie qui lui est propre. Surmonter le dualisme existant entre l’homme et la nature n’implique pas le fascisme. Au contraire. « Pour promouvoir cette graduelle prise de conscience et lutter contre les pratiques industrielles qui détruisent la biosphère, les théoriciens de la « deep ecology » mettent en avant les méthodes démocratique, le pluralisme culturel et une non-violence inspirée de Gandhi. » En pratique, le terme ne renvoie pas à de la philosophie mais à du concret. Laissons de côté le style véhément des mouvements, règle pour tout groupe minoritaire social, politique ou culturel. En revanche, il semble vrai que des militants de la « deep ecology » ont tenu des propos révoltants : racisme vis-à-vis des Noirs d’Amérique ou des Latino-américains, apologie du SIDA pour régler le problème de la surpopulation, misanthropie (« A bas les hommes » aurait-on entendu au cours d’une réunion d’Earth First), hostilité à l’aide alimentaire dans des pays ravagés par la famine et la guerre… L’écologie profonde, - les structures qui s’en réclament - est parfois suspectée de violence peut-être comme tout ce qui dérange l’esprit.
Prudence dans les conclusions ? Elle s’inspire, ainsi que cela vient d’être rappelé, de Gandhi et autres non violents comme Thoreau. Cette non violence n’interdit pas l’action directe, la désobéissance civile toujours à la mode Thoreau et Gandhi. Déclarations de Dave Foreman, Président d’ « Earth First » : « Nous devons placer nos corps entre les bulldozers et la forêt humide. », « …être des grains de sable dans les rouages de la machine polluante et nous opposer avec courage à la destruction de la vie. » Mais « Earth First » a préconisé « l’écotage » ou sabotage pour raisons écologiques. On ne touche pas aux personnes mais le matériel !!!
4/5) Le malthusianisme
Pour l’écologie profonde, il y a trop d’hommes sur la terre. La pression humaine rend impossible la coexistence avec le reste de la nature. Ainsi selon Arne Naess : « Le bien-être humain est compatible avec une diminution de la population. Le bien-être non humain exige, lui, cette diminution ». Naess a tenté d’évaluer la population optimum ; il la situe vers cent millions, il estime qu’il faudra beaucoup de temps pour en arriver à ce chiffre. En même temps, afin d’affecter le moins possible la Terre, il préconise pour chaque homme une vie simple. Pour Bill Devall et Sessions, dans leur ouvrage de 1985, l’idéal serait une population moitié moindre que celle d’aujourd’hui. Hors écologie profonde : pour J. Lovelock (« Les âges de Gaïa » 1990), il faudrait 500 millions d’habitants tandis que le Commandant Cousteau (« Courrier de l’Unesco » Novembre 1991) disait : « Il faut que la population mondiale se stabilise et pour cela il faudrait éliminer 350.000 personnes par jour ». Le terme « éliminer » fait froid dans le dos. Reconnaissons, comme signalé plus haut, des dérives de groupes se réclamant de l’écologie profonde. Des auteurs brûlent de rattacher à l’EP des mouvements prônant l’extinction de l’humanité.
Souhaiter voir diminuer le nombre d’hommes sur la terre a beaucoup choqué. Avec le temps et l’évidence de la crise écologique, les esprits ont évolué. L’idée que la surpopulation puisse être néfaste à l’humanité et à la biosphère est prise en considération, en premier lieu, par des gens et structures fort éloignés de l’écologie profonde. » Albert Jacquard le dit avec force : « Il ne s’agit plus d’éviter la disparition de l’espèce par insuffisance de fécondité mais par excès de celle-ci », de même que François Ramade « Pis encore, l’impact de l’ensemble des effets nocifs de cette surpopulation humaine sur les systèmes écologiques globaux prend actuellement une telle ampleur qu’il menace dans un avenir plus lointain l’existence même de la biosphère ».
5/5) l’Action directe.
L’expression est claire en elle-même : on agit sans demander l’autorisation. Voici une définition : « L’action directe consiste à intervenir directement dans la vie de la société sans passer par l’intermédiaire des institutions sociales ou politiques. Ainsi misera-t-on, pour changer la société, davantage sur l’action de la rue que sur le bulletin de vote. La théorie de l’action directe se fonde sur une critique du fonctionnement habituel de la démocratie « formelle» qui permet rarement au citoyen de faire vraiment entendre sa voix et d’avoir prise sur la réalité. » Il s’agira, en principe d’actions directes pacifiques ou presque (dommages aux biens). Les actions des « Faucheurs volontaires » anti-OGM ou de Greenpeace amènent à débattre de ce qui précède. Se le répéter : en France, les écologistes sont non violents.
Les actions directes sont volontiers taxées d’écoterrorisme. Soit par exemple le Service canadien des renseignements de sécurité. Voici la définition de l’auteur qui se réfère à trois causes : les animaux, l’environnement et l’avortement. « La notion largement acceptée du terme « terrorisme lié à une cause particulière » est celle du militantisme extrémiste de groupes ou d’individus protestant contre une injustice ou un tort habituellement attribué à l’action ou à l’inaction gouvernementale ». Une des conclusions du document est la suivante : le militantisme lié à une cause particulière est dangereux. On redoute l’intensification de la violence. L’auteur, en somme veut montrer qu’il y a continuité sans rupture du geste anodin au geste très grave. Point de vue compréhensible pour les forces de l’ordre qui doivent ouvrir l’œil mais dangereux pour la société.
Sensibilisation et actions classiques ou non ne sont pas à la hauteur des enjeux, des dégradations et ce malgré l’énergie de militants. En somme, tout reste à penser et à faire. Dans ce contexte, le mal vient de ce que nous ne considérons la biosphère que comme un instrument. « L’écologie profonde » est un support de réflexion avec d’autres. Elle apparaît toujours en chantier, traversée d’influences multiples. Aidons la réflexion : nous avons besoin d’une éthique qui guide nos actions.