Ce texte est un résumé de l’article Faux Amish ? de Stéphane Lavignotte in Entropia n° 5, automne 2008, consacré à la thématique « Trop d’utilité ? » :
Les communautés Amish, principalement implantées en Ohio et Pennsylvanie, tentent de conserver le mode de vie du temps qui les a vu naître en Suisse allemande sous la férule de Jacob Amman (d’où le sobriquet d’Amish) à la fin du XVIIe siècle. Comment se déroule chez les Amish la décision qui entraîne l’autorisation ou la prohibition d’une innovation technique ?
Une fois passé la première apparence des vêtements, des chevaux et des buggys, l’étude du mode de vie Amish donne l’impression d’un manque de cohérence dans le choix ou le refus des techniques. Pourquoi utiliser les calculatrices, mais pas les ordinateurs ? Les batteries alimentées par des générateurs diesels, mais pas l’électricité du réseau ? Les tracteurs sont utilisés près de la ferme, mais pas dans les champs. Les téléphones sont interdits dans les maisons, mais on les retrouve cachés dans des petites cahutes au bout du chemin. Les Amish se laissent conduire en voiture, mais refusent de conduire eux-mêmes. Le transport aérien pose moins de problème que l’automobile. La bicyclette est taboue dans une majorité de communautés.
Dans l’Ordnung des Amish du Nouvel Ordre, l’interdiction de la télévision, des caméras et des radios est motivée par l’enseignement de la Bible de « renoncer aux possessions matérielles qui semblent adoptées pour servir la chair plus que Dieu ».Le cinéma comme les stupéfiants, les plaisanteries grossières et les longues parties de chasse et de pêche loin de la famille sont prohibés en réponse à l’invitation : « Abstenez-vous de toute espèce de mal ». La réglementation de l’usage des tracteurs et des téléphones n’est pas justifiée. Dans l’Ordnung des Beachy Amish, dans la catégorie prohibée des « habitudes dont vous devenez esclaves », on trouve tricher et fumer, mais rien sur la télévision. Les amplificateurs sont interdits : « Louons Dieu avec les fruits de nos lèvres ». Un lecteur qui s’intéresse aux Amish dans une perspective de critique de la technique ou d’une approche écologiste ne pourra qu’être dépité de cette diversité des motivations où il retrouve moins ses préoccupations que la prédominance d’une approche moraliste ou d’une approche littérale de la Bible.
La cohérence de ces prohibitions repose d’abord sur une logique de séparation du monde, et aussi sur une logique de préservation de la communauté. Pour les Amish, à un moment de son histoire, l’Eglise n’a plus correspondu au dessein de Dieu en se pliant trop aux valeurs du monde. Ils ont pris au sérieux la mise en garde de St Jean 2.15 : « Tout ce qui est dans le monde, le désir de la chair, le désir des yeux et la confiance présomptueuse en ses ressources, tout cela n’est pas du Père, mais du monde. Or le monde passe, et son désir aussi, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours. » L’autre dimension est l’importance de la communauté. L’individu doit se plier à un esprit de Gelassenheit, oubli de soi en Dieu. Il doit cultiver l’obéissance (à Dieu, aux Anciens, aux parents). l’humilité, la résignation, perdre jusqu’à son image personnelle (d’où la prohibition des miroirs et des appareils photos). Il faut favoriser tout ce qui met en avant le lien social et refuser tout ce qui le menace. L’usage de l’électricité a été strictement contrôlé car, en plus du fait qu’être relié au réseau électrique aurait rompu la séparation avec le monde, le confort et la multiplicité des objets de loisirs aurait pu amener à la destruction des valeurs traditionnelles, au rejet de la notion de labeur, à la détérioration de la paix du foyer et à la dégradation des rapports communautaires. La technologie doit être maîtrisée, la cohésion sociale est la valeur suprême.
Parfois on se rapproche des militants de la décroissance. La dimension de préservation du lien social répond assurément au slogan « moins de biens plus de liens ». L’insistance sur le local rejoint la remise en cause des discours dominants. On y retrouve une même critique des possessions matérielles, le refus du gigantisme et de la dépendance vis-à-vis des techniques, la mise en avant des valeurs d’entraide et de partage. Mais dans le cas des Amish, ces arguments sont justifiés par la volonté de ne pas valoriser l’individu, alors que les mouvements écologistes refusent l’uniformisation des individus par le système productiviste. De plus la dimension de respect de l’environnement est complètement absente de l’approche Amish. Certes les deux approches sont anti-progressistes. Mais celle des Amish est pré-moderne. L’approche de la décroissance est au contraire postmoderne. Elle considère comme essentielle la question de la finitude de la planète. Elle cherche un épanouissement de l’individu sans revenir au repli des communautés archaïques anti-individualistes. Sans parler du statut de la femme qui chez les Amish n’a pas les mêmes droits que l’homme.
(Parangon)