1/3) du spécisme au biocentrisme
Le spécisme vient de l’anglais speciesism introduit en 1970 par Ryder par analogie avec racisme et sexisme : le spécisme est une discrimination selon l’espèce. Il consiste à assigner différents droits à des êtres sur la seule base de leur appartenance à une espèce. Ryder justifier l’analogie avec racisme en montrant que la rhétorique des professionnels de l’exploitation animale est tout à fait similaire à celle des esclavagistes d’hier : « L’esclave n’étant pas comme nous, on ne peut postuler qu’il ressent de la même manière que nous ; de toute façon l’esclavage est une nécessité économique ». On peut toutefois être sceptique sur la force d’une telle analogie car si les animaux d’aujourd’hui sont traités comme les esclaves hier, c’est précisément parce que ces derniers étaient considérés comme des animaux. A strictement parler, celui qui dit « les humains d’abord ! » n’est pas tant spéciste qu’anthropocentriste. Ensuite le spécisme consiste également à discriminer les animaux entre eux : vous protestez contre la chasse aux bébés phoques, mais vous acceptez le fait de tuer et de consommer des vaches et des cochons. Le spécisme commence dès l’enfance. D’un côté nous mangeons de la chair animale par habitude renforcée par les pressions qui poussent au conformisme social, de l’autre on développe l’attachement envers certaines espèces avec des peluches et des animaux de compagnie. Certains se caressent , d’autres se mangent.
Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix en 1954, a contribué à l’éthique animale. Il possède de l’éthique une vision large, englobante et cosmique qui ne se limite pas à la relation que les hommes ont entre eux, mais intègre l’univers tout entier. Schweitzer identifie l’éthique au respect de la vie. Toute vie est sacrée, même celle des êtres que l’homme considère comme inférieurs. Le seul cas où l’on peut être amené à sacrifier une vie est de le faire pour en sauver une autre que l’on considère plus importante. Il donne l’exemple suivant : Je viens de tuer un moustique qui voletait autour de moi à la lumière de la lampe. En Europe, je ne le tuerais pas, même s’il me dérangeait. Mais ici, où il propage la forme la plus dangereuse du paludisme, je m’arroge le droit de le tuer, même si je n’aime pas le faire (…) Un grand pas sera franchi quand les hommes commenceront à réfléchir et parviendront à la conclusion qu’ils ont le droit de tuer seulement quand la nécessité l’exige. » Notons que le critère de considération morale de l’éthique n’est pas pour Schweitzer la sensibilité, ou capacité de souffrir, comme c’est généralement le cas en éthique animale, mais le fait d’être vivant. A ce titre il préfigure le biocentrisme qui ne fait pas de rupture entre l’animal et le végétal.
2/3) l’éthique animale contre l’anthropocentrisme
La France a une tradition profondément humaniste, qui a ses avantages, mais qui signifie aussi anthropocentrisme et se montre très soucieuse de maintenir l’homme sur son piédestal et de lui subordonner son environnement. On place volontiers l’homme et l’animal dans des vases communicants et l’on se persuade qu’augmenter la considération de l’un ferait immanquablement chuter l’autre. Entre les deux, il faudrait choisir son camp ! Comme s’ils étaient contradictoires, comme si les droits de l’homme étaient en fait des droits contre les animaux et vice versa. Comme si, en somme, l’homme devait perpétuellement écraser l’animal pour ne pas douter de son ascendant.
Ainsi Luc Ferry se fait connaître du débat en éthique animale par Le Nouvel Ordre écologique (1992), dans lequel l’auteur a deux cibles : l’écologie et la libération animale. Et une méthode : l’amalgame et le réductionnisme. Le principal défaut de raisonnement réside dans cette ligne infranchissable entre l’Humanité et la Nature. Comme si l’homme avait été parachuté un beau jour dans une nature vierge de lui. Comme s’il n’en était pas l’un des fruits. D’ailleurs cette division entre êtres d’antinature (l’homme) et être de nature (tous les autres), qui sert à arracher l’humanité de l’animalité, c’est-à-dire à justifier le spécisme, est précisément celle qui a longtemps servi de base au sexisme et au racisme. Les dominés étaient réputés « êtres de nature », soumis à leurs instincts, quand les dominants, les hommes blancs et mâles, se voyaient, eux, libres, maîtrisant leur corps, leur nature, leur animalité. Le critère de Ferry est la liberté. De toute façon la question essentielles demeure : en quoi le fait d’être ou de ne pas être libre a-t-il un lien logique avec la manière dont l’on doit être traité ?
Gandhi pensait à juste titre que la façon dont les nations s’occupent des animaux reflète avec exactitude leur grandeur et leur hauteur morale.
3/3) perspectives de l’éthique (animale)
Le paysage contemporain de l’éthique animale a considérablement évolué depuis une trentaine d’années. Premièrement, il y a une inflation spectaculaire du nombre d’organisations et d’association de défense animale, rassemblant des millions de militants qui semblent avoir un objectif commun : améliorer le sort des animaux. Cela permet de nombreuses victoires qui s’incarnent dans l’évolution de la protection législative de l’animal. Les obligations à l’égard des autres formes de vie et de la nature sont intégrées aux constitutions autrichiennes, suisse, allemande, polonaise… La Commission européenne a décidé d’abolir l’élevage des veaux en batterie en 2007. Troisièmement, l’essor modeste mais persistant du végétarisme est également un signe positif. Enfin quatrièmement les cours d’éthique animale se multiplient, que ce soit en philosophie, en médecine vétérinaire ou en droit.
Toutefois la situation reste préoccupante. Ce qui est commun à tous les problèmes est la recherche du profit, à n’importe quel prix. Le prix étant en l’occurrence la souffrance et il est avant tout payé par l’animal, mais pas seulement par lui. L’homme est en train de prendre la mesure des risques pour l’environnement et la santé humaine qui découlent d’un tel comportement. Il ne faut jamais perdre de vue qu’une certaine partie des problèmes d’éthique animale est liée à la pauvreté des hommes : c’est la souffrance humaine qui bien souvent en est l’origine. La libération animale a pour condition de possiblité celle de leurs geôliers humains. Pour ne prendre qu’un exemple, abolir l’élevage industriel aiderait à restaurer le dignité et la fierté des petits fermiers qui on été contraints de mettre la clé sous la porte à cause de l’élevage industriel.
(Puf)