1/5) Gérard Charollois par lui-même
J’ai été vice-président du Rassemblement des opposants à la chasse avec Théodore Monod de 1981 à 1995, puis président de l’association pour la protection des animaux sauvages. J’ai contribué à fonder la convention Vie et nature pour une écologie radicale afin de développer les thèses de l’écologie dite « profonde ». L’écologie, c’est du moins ainsi que j’entends ce terme, tend à la réconciliation de l’espèce humaine avec le reste du vivant ; il n’y a guère de rupture dans la biosphère. En 1998, j’ai plaidé devant la cour européenne des droits de l’homme la thèse de l’incompatibilité de la loi Verdeille. Cette action aboutit à la condamnation de la France en 1999. J’ai eu l’honneur d’être pendu en effigie par les chasseurs lors de diverses manifestations et d’être attaqué en ma qualité de professionnel du droit par des lettres de délation. Qu’il est triste de voir les hommes confondre le combat des convictions et les attaques ad hominem.
Je me suis parfois demandé pourquoi un tel amour de la nature ? Après ma cécité dès l’âge de 8 ans, le premier livre que je découvris en braille était Le Merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède. Dans ce conte poétique, une oie sauvage, dans sa sagesse, demandait aux humains de laisser à la faune un peu de place et de respect sur la planète commune. J’ai reçu le message, et j’ai résolu de me battre pour que les hommes comprennent cette éthique nouvelle. Si mes yeux sont fermés à la beauté du monde, mes oreilles sont grandes ouvertes à son chant.
2/5) Pour une nouvelle éthique
Partout la nature se meurt, une immense plainte s’élève de la terre, mais les hommes ne l’entendent pas. Chacun court à ses intérêts égoïstes immédiats et feint de croire encore que son espèce est le centre du monde. Pour l’heure, l’homme est la cellule cancéreuse de la Terre. Il prolifère de façon anarchique au détriment de tous les autres tissus, c’est-à-dire des autres formes de vie. Avec son expansion démographique, il sécrète des toxines qui empoisonnent la biosphère. La logique qui menace ce monde est une impasse éthique, écologique et politique. Il est urgent de changer de cap et de placer le vivant avant les affaires : un fleuve ne se réduit pas à une voie navigable, un étang à une base nautique, une vallée à un couloir à camions, une forêt à une usine à bois, une montagne à un domaine skiable, les animaux à du gibier et les hommes à des variables d’ajustement.
Il est grand temps de proposer une éthique, c’est-à-dire la quête du bon, et non une morale qui décrète le bien révélé. Rétablir l’unité du vivant en étendant l’orbe de l’empathie à tous les êtres sensibles, c’est y intégrer l’homme et même tous les humains sans distinction. La pensée écologiste se nourrit, comme un arbre, du terreau des acquis des droits de l’homme, de la quête de la liberté individuelle, d’une disposition à se libérer des dogmes. La pensée écologiste intègre et transcende les acquis politiques des siècles passés en ajoutant la reconnaissance de la valeur absolue de la nature et du processus évolutif de la vie.
La nature n’est pas un décor pour l’homme. Elle vaut par elle-même, indépendamment de son utilité pour notre espèce.
3/5) Pour le respect du vivant
Comment un million de chasseurs français pourrait-il évoluer à son aise dans des paysages urbanisés, fragmentés et « désanimalisés » ? Si le nombre des chasseurs se réduit constamment, l’omnipotence du lobby-chasse perdure, transformant le Parlement de ce pays en comice agricole du XIXe siècle et paralysant le ministère de l’environnement. Le chasseur constitue, pour le législateur, la seule espèce protégée et jusqu’à l’an 2000 le non-chasseur n’avait même pas d’existence juridique.
Mais je ne suis pas contre la chasse, mais plutôt pour le respect de tout être sensible, pour la fin de la souffrance gratuite. Ce livre n’a pas été écrit contre qui que ce soit, mais d’abord pour le vivant, pour la nature, en vue d’un acte de paix, et non de guerre. Ce livre traitera de la chasse-loisir. Personne en France ne chasse plus se nourrir. Les peuples de chasseurs-cueilleurs contraints de tuer des animaux pour survivre manifestent toujours le plus grand respect pour leurs proies. Les hommes de la nature ont une haute conscience de la chaîne du vivant, au point que les rapports entre hommes et bêtes constituent l’essentiel de leur système religieux. Jamais la prédation exercée par un peuple chasseur avec des armes traditionnelles n’a été cause de déséquilibre.
En France, la culture des hommes ne repose plus sur le rapport avec les animaux, mais sur le rapport avec la propriété. Il existe des chasseurs conscients des excès et qui seraient prêts à les réformer, mais le problème français est que ce sont les plus radicaux qui sont parvenus à la tête des fédérations.
4/5) Quelques caractéristiques de la chasse
Ce qui persiste d’animaux libres dans nos forêts ne ressemble plus qu’à du cheptel d’élevage agrainé et réintroduit pour alimenter le stand de tir des « gestionnaires ». On peut estimer à 15 millions chaque année les animaux relâchés à des fins cynégétiques. Les opérations de « repeuplement » absorbent près des trois-quarts du budget des fédérations, alors que le taux de mortalité des animaux relâchés peut atteindre 80 % et que le taux de reproduction est proche de la nullité. On a vu des chasseurs suivis par des faisans affamés qui attendaient d’être nourris par des humains, et dont les chasseurs se débarrassent finalement d’un coup de fusil.
La loi du 3 mai 1844 édictait : « Nul n’a le droit de chasser sur le terrain d’autrui sans son consentement préalable ». La loi Verdeille du 10 juillet 1964 promulguait : « Les associations communales de chasse préemptent d’office les terrains privés dont les propriétaires sont faits membres de droit de l’association. » Seules les grands possesseurs, jouissant de plus de 20 hectares d’un seul tenant, pouvaient faire opposition à leur intégration de leurs fonds dans le territoire chassable. Le petit propriétaire devait subir ce loisir, ce qui constituait une grave atteinte à plusieurs droits fondamentaux : droit de propriété et d’usage de chacun sur ses biens, liberté d’association qui est celle de ne pas être fait membre d’un groupement contre son gré, condamnation des discriminations fondées sur des différences de fortune.
5/5) Quelques pistes de réflexion
Interdire les lâchers et protéger les prédateurs permettait un meilleur équilibre écologique du milieu. Dans un écosystème dynamique et changeant, les espèces végétales et animales se concurrencent et se complètent. Aucune espèce n’est « nuisible », excepté celle qui compromettrait la pérennité de la biodiversité. Pour le chasseur, est nuisible ce qui le concurrence dans la prédation. L’homme moderne a d’abord anéanti les grands carnivores sauvages, puis prétend devoir gérer les grands herbivores qui n’ont plus de prédateurs naturels.
Par arrêté ministériel du 4 avril 2002 pris par Yves Cochet, les belettes, martres et putois furent retirés de la liste des « nuisibles », mais il était déjà bien tard pour le putois, quasiment disparu. Le 6 novembre 2002, madame Bachelot les replaça sur la liste des espèces susceptibles d’être classées « nuisibles ». Y a-t-il une espèce nuisible ? Oui, sans le moindre doute : celle qui menace la pérennité de la vie sur Terre. Aussi longtemps que l’homme traitera les animaux et la nature comme des choses, il traitera à l’occasion ses semblables comme des bêtes.
Pour résumer, les raisons d’abolir la chasse sont d’ordre écologique, éthique, sécuritaire et politique. La chasse est abolie à Ceylan et dans la majeure partie du sous-continent indien. Au Rwanda, pas davantage de chasse, ainsi que dans d’autres pays d’Afrique. Le canton de Genève a aboli la chasse par voie référendaire en 1974.
(éditeur, Radicaux libres)