La première parution de Casseurs de pub est datée de novembre 1999. Directement inspiré d’une revue canadienne, Adbusters, ce dossier se présente comme la revue de l’environnement mental : « La solution de la crise écologique ne se trouve pas dans un ordinateur, mais dans la tête de chacun de nous. Le pouvoir réel nous appartient, il est au bout de nos actes, quand nous prenons le vélo plutôt que la voiture, achetons dans une épicerie plutôt que dans une grande surface, quand nous choisissons d’être plutôt que d’avoir. » Début 2004, Casseurs de pub se transforme en « journal de la Décroissance », maintenant mensuel.
Pour fêter ses dix ans, Casseurs de pub a publié un livre dont voici quelques analyses-clés de la publicité :
Alain Accardo :
La publicité comme la presse qu’elle a phagocytée pour l’essentiel, sont nées des besoins de l’économie marchande et restent consubstantiellement liées au fonctionnement du système capitaliste et au règne de l’argent-roi. Du coït ininterrompu de la pub et du journalisme est né le produit incestueux baptisé « communication » et répandu partout par la marchandisation généralisée qui impose de vendre un livre comme un rouleau de papier hygiénique et une idée politique comme un pot de yaourt. Le système capitaliste, avec la publicité qui contribue à en faire la puissance à la fois séductrice et dévastatrice, tant sur le plan matériel que sur le plan symbolique, tire une grande partie de sa force de l’adhésion des masses, y compris les plus exploitées et déshéritées, maintenues dans un état de frustration intense et de convoitise hallucinée.
La mère de toutes les pollutions, celle qui détruit les esprits comme elle dévaste la planète, c’est l’avidité insatiable de profit de la machine capitaliste, qui broie et souille tout sur son passage, les mers et les forêts, les humains et les bêtes, les principes moraux et les valeurs spirituelles.
Paul Ariès
S’il existe incontestablement des pubs sexistes ou racistes plus ignobles que d’autres, si les nouveaux outils de l’agression publicitaire comme l’usage du neuromarketing, renforcent la dangerosité du système publicitaire, il ne peut y avoir de bonne pub ou un bon usage de la pub : la publicité est dans son essence le meilleur chien de garde du système croissanciste. La publicité peut dire de consommer autrement, mais jamais de consommer moins. Forçat du travail et forçat de la consommation sont deux faces de la même aliénation.
De la même façon qu’il n’existe pas de bonne publicité, les objets qui sont ceux de la société de consommation ne seront jamais acceptables même sans marketing. Ces objets sont ceux d’une société qui a cassé les cultures populaires et traditionnelles. On opposait autrefois le veau bourgeois, le porc ouvrier et le lapin paysan. Aujourd’hui, c’est poulet pour tout le monde, pour certains poulets fermier, pour les autres de batterie. Un BigMac restera toujours un produit infraculturel : la bouffe unique de la pensée unique. La bagnole sera toujours aussi dangereuse et polluante même sans appareil publicitaire.
François Brune :
En 1968, j’étais déjà en phase avec ceux qui refusaient la société de consommation. De 1981 à 1999, j’ai continué d’écrire des textes démythifiant le langage publicitaire, puis le discours des médias. Entre temps s’était constitué, sous la férule d’Yvan Gradis, l’association Résistance à l’agression publicitaire. Depuis dix ans, il m’est impossible de distinguer la trajectoire de Casseurs de pub, de l’évolution concomitante de ma conscience critique. La dénonciation de la pub, centrée sur l’oppression des affiches, prenait une nouvelle dimension en s’élargissant à la dénonciation de notre type d’économie. Je devenais objecteur de croissance, tandis que Casseurs de pub, élargissant son engagement militant et son audience, muta début 2004 pour se faire le « journal de la Décroissance ».
Ainsi la critique que j’avais faite du « bonheur conforme » produit par la société de consommation rejoignait directement les urgences planétaires : déplétion du pétrole et autres ressources vitales, effet de serre, menace sur la matrice Gaïa, tous effet pervers (ou centraux) de la mondialisation dans sa forme actuelle (néo-libérale).
Sophie Divry :
Le savoir-faire journalistique qui consistait à vivre de ses ventes, à dépendre de ses lecteurs, a disparu au profit de l’adage : « Un journal se vend deux fois, une fois à ses lecteurs, une fois à ses annonceurs. » De l’ordre de l’évidence, cette formule pousse les journalistes et les directeurs de journaux à considérer les lecteurs comme des pigeons à donner en pâture à des vendeurs de téléphone, de maisons préfabriquées, de voitures polluantes ou de crème à tartiner. On s’étonne que les journalistes acceptent chaque jour qu’un encart publicitaire tapageur prenne autant de place qu’un article.
La publicité n’est pas un besoin. Elle est un parasite qui a englouti l’indépendance, donc la liberté d’expression de la presse. On ne s’étonnera pas que les journaux les plus mordants et les plus critiques soient justement les journaux sans publicité : Le Canard enchaîné, Siné hebdo, la Décroissance, Fakir… Il est faux de dire que cette presse est alternative. Votre boulanger n’est pas alternatif parce qu’il ne vend que du pain. Cette presse-là est indépendante.
Claude Got :
La séduction est un processus fondamental dans la relation entre les humains, mais sa valeur repose sur la sincérité et l’intéressement affectif d’êtres qui ont comme motivation l’amour, l’intérêt mutuel ou le plaisir. Quand elle est mise en oeuvre pour gagner de l’argent, il s’agit d’une prostitution de l’esprit. Le publicitaire est payé pour réduire l’autonomie de pensée et produire les actes d’achat de personnes qu’il ne connaît pas. C’est un mercenaire qui tire au hasard dans la foule des consommateurs potentiels.
Nous sommes de plus en plus nombreux à demander l’interdiction complète de toute publicité pour les aliments et les chaînes de restauration. Nous avons échoué. Ecrire en petits caractères sous une image attirante qu’il ne faut pas grignoter entre les repas alors que le produit que l’on vous montre est fait pour développer ce comportement fait partie des hypocrisies de nos responsables.
Serge Latouche
Ce n’est que vers 1950 avec l’invention du marketing et la naissance subséquente de la société de consommation, que l’occident a pu libérer tout son potentiel créateur et destructeur. Trois ingrédients sont nécessaires pour que la société de consommation puisse poursuivre sa ronde diabolique : la publicité, qui crée le désir de consommer, le crédit, qui en donne les moyens, et l’obsolescence programmée des produits, qui en renouvelle la nécessité. Ces trois ressorts de la société de croissance sont de véritables pousse-au-crime.
D’après un sondage réalisé auprès des présidents des plus grandes firmes américaines, 90 % d’entre eux reconnaissent qu’il serait impossible de vendre un nouveau produit sans campagne publicitaire. De plus en plus, la demande ne porte plus sur des biens de grande utilité, mais sur des biens de haute futilité. En 2004, les entreprises ont investi en France pour leur communication 2 % du PIB et 3 fois le déficit de la Sécurité sociale. Au total, le budget publicitaire pour l’ensemble du globe représente annuellement plus de 500 milliards. Montant colossal de pollution matérielle, visuelle, auditive, mentale et spirituelle ! Au final les consommateurs paient l’addition, soit 500 euros par an et par personne.
Michael Löwy
Je suis convaincu que la logique du système publicitaire et celle du système capitaliste sont intimement liées et qu’elles sont, toutes les deux, intrinsèquement perverses. La logique de réification du système capitaliste et son fonctionnement selon les principes de la société du spectacle expliquent les liens profonds et structurels entre capitalisme et publicité. Si le capitalisme – notamment sous sa forme actuelle, néo-libérale et globalisée – tend à la marchandisation du monde (la terre, l’eau, l’air, les espèces vivantes, le corps humains, les rapports sociaux, l’amour, la religion), c’est-à-dire la transformation de tout ce qui existe en marchandises, la publicité vise de façon complémentaire à vendre ses camelotes, en soumettant les besoins des individus aux nécessités mercantiles du capital. Les deux systèmes participent du fétichisme de la marchandise. Rappelons que ce sont des entreprises capitalistes qui sollicitent, financent et sponsorisent la presse, la télévision, les compétitions sportives ou les événements culturels. La publicité jour le rôle de rabatteur, de serviteur zélé des intérêts du capital.
Sans le capitalisme, la publicité n’aurait aucune raison d’être ; elle ne pourrait subsister un seul instant dans une société post-capitaliste. Et inversement, un capitalisme sans publicité serait comme une machine sans huile dans ses engrenages. Il n’est pas interdit de rêver d’un monde sans publicité et sans exploitation capitaliste.
Jean-Luc Porquet :
Qui a réussi à convaincre le populo qu’en s’offrant une bagnole toute neuve il protège la planète car elle rejette un peu moins de CO2 que son précédent modèle ? C’est la pub. Qui est en train de réussir à faire entrer dans nos crânes qu’on va pouvoir continuer à remplie nos caddies de trucs pas chers ? A aller se dorer le bide en Tunisie ou à Saint-Domingue ? C’est la pub. C’est la pub. C’est la pub.
Nathalie Sapena :
Les multinationales de l’agroalimentaire dépensent chaque année près de 2 milliards d’euros pour promouvoir leurs produits, une manne dont les trois-quarts irriguent la télévision. Ces sommes pharamineuses prennent toute leur mesure quand on les compare aux 3 millions d’euros que l’Etat consacre, via l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), pour tenter d’informer les Français sur les bonnes pratiques alimentaires. Les enfants constituent une cible de choix pour ces industriels : 87 % des spots qui les visent vantent les mérites de produits trop gras et trop sucrés. Le magazine Marianne s’est amusé à compter les calories promues en une heure de programme pour enfant. Une accumulation de fast-food, bonbons, céréales bourrées de sucre, chips, qui dépassent les 2000 calories. Sans évidemment aucune promotion de fruits, de légumes ou de poisson Une étude américaine (Quand les enfants mangent ce qu’ils voient) a calculé que chaque heure supplémentaire passée devant la télévision aboutissait à ingurgiter en plus 167 calories de barres chocolatée ou de soda. Les enfants préfèrent, comme c’est curieux, les marques, celles qui font de la pub à la télé : huit sur dix exigent des céréales siglées, neuf sur dix des sodas siglés. Tant pis pour les futurs citoyens, formatés aux idéaux marchands.
Après le Québec et la Suède, qui interdisent la publicité lors des programmes jeunesse depuis plus de quinze ans, le Royaume-Uni, submergé par une vague d’obésité infantile, vient de s’y mettre.
(Parangon)