De tous les livres sur l’éthique que nous avons lus, celui-ci est le plus faiblard. Nous attendions mieux de la part d’un Anglais, docteur en philosophie de surcroît ! Il n’empêche que ce livre participe en 2010 d’un effort éditorial de remise en question de nos valeurs anthropocentrées :
- Crise écologique, crise des valeurs sous la direction de Dominique Bourg
- Philosophie et écologie d’Anne Dalsuet
- Philosophie de la biodiversité de Virginie Maris
- L’éthique de la terre de John Baird Callicott (recueil de divers textes)
Voici quelques extraits recomposés du livre de Garvey :
1/4) Morale et sens des valeurs
Les climatologues peuvent nous dire ce qui se passe sur Terre et pourquoi cela arrive, ils peuvent même établir de façon assez fiable ce qui se produira dans les années à venir. Mais ce que nous faisons de tout cela dépend de ce que nous pensons juste, de ce qui nous paraît important, de ce à quoi nous attribuons une valeur. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle conception des valeurs, quelque chose qui s’éloigne de l’ancienne conception, celle qui était centrée sur l’homme. La sphère morale a commencé à s’élargir : les esclaves, les femmes, les étrangers, etc., se trouvaient hors du cercle moral. Mais au fur et à mesure que nous comprenons mieux la nature du bien et du mal, nous élargissons le cercle en y incluant plus de monde. Certains parlent maintenant de biocentrisme : chaque être vivant porte du bon en soi et l’épanouissement de cette qualité revêt une valeur intrinsèque. L’individualisme de cette forme de pensée constitue un autre vestige d’une éthique humaniste. Au lieu de cela, c’est l’ensemble des espèces, et peut-être la biosphère qui devraient être considérées comme porteuses de valeur (écocentrisme).
La philosophie morale est fondée sur des causes rationnelles déterminées, nous permettant de justifier certaines convictions par le raisonnement. (N.d.T. : Hume réfute l’idée que nous sommes capables de distinguer le bien et le mal à l’aide de la raison. Pour lui, la morale repose sur le sentiment qui constitue le moteur essentiel de nos actions). Chacun peut comprendre que voler est mal ; toutefois cette pense ne saurait se réclamer de la philosophie morale que si elle est dictée par des motifs qui s’articulent d’une manière spécifique, venant démontrer cette affirmation. Kant affirmait que la cruauté envers les animaux est injuste parce que maltraiter son cheval risque de rendre insensible et pourrait conduire à faire de même avec un être humain.
Kant estime que la valeur morale d’une action peut être testée par l’applicabilité universelle des maximes. Supposons une maxime adoptée par tout le monde : est-ce qu’un monde conforme à cette loi serait cohérent ? Si le monde est cohérent, vous ne risquez pas de mal faire. Mais dans le cas contraire, vous êtes en violation de la loi morale. Prenons des maximes infondées : « Consomme autant que tu peux », ou « utilise la quantité que tu veux d’un bien limité ». On se rend compte tout de suite que ces maximes ne peuvent être universalisées. On constate que les choix individuels s’additionnent. La vie de chacun porte sa part de responsabilité dans le désastre grandissant. Il devient impossible de prendre son petit-déjeuner sans que cela ait un impact. A partir d’un certain seuil, la consommation doit être limitée. Elargissez votre vision de vous-mêmes et des conséquences de vos actes. Pensons à la somme totale des conséquences que nos choix apparemment insignifiants peuvent avoir. Voyez les conséquences globales d’une vie hautement consommatrice comparées à celles d’une vie plus proche de la nature.
2/4) L’égalité comme fondement de la morale
La justice consiste à assurer un partage équitable. On peut penser réciproquement d’une répartition inégale qu’elle est injuste, particulièrement si aucune justification de l’inégalité ne peut être avancée. De nombreux philosophes pensent aujourd’hui que les puits de carbone, ainsi que les potentialités d’absorption de la planète, constituent une ressource commune limitée. Epuiser la part du puits de carbone qui ne nous revient pas, est aussi injuste et préjudiciable que de prélever l’eau ou les ressources dont quelqu’un d’autre a besoin pour produire sa nourriture. Les pays riches ont largement abusé de la propriété d’absorption du carbone par la planète. Il y a une différence de taille entre les émissions de CO2 causées par la nécessité de survivre et celles motivées par une aspiration au luxe, même si cerner cette différence est loin d’être commode. En outre la question des droits, en particulier ceux des générations futures est complexe.
En abusant des capacités de l’atmosphère, nous n’avons pas seulement consommé un peu plus que les pauvres : nous avons subtilisé une part de leur avenir potentiel. En outre, les pays pauvres doivent supporter les conséquences du changement climatique. Etant donné la disparité actuelle entre les émissions des pays développés et celles des pays en développement, la réduction devra certainement être drastique. Le monde développé porte la responsabilité morale des mesures qui doivent être prises pour lutter contre le changement climatique. La question peut être envisagée comme un problème de justice et de répartition. Mais un souci d’ordre pratique apparaît : si nous acceptons le fait que les allocations d’émissions soient proportionnées au nombre d’habitants, nous favorisons en fait quelque chose qui aggrave nos problèmes, à savoir la croissance démographique.
Les considérations historiques débouchent sur l’idée que le monde développé a déjà utilisé plus que sa part du puits de carbone. Il ne serait donc plus admissible qu’il émette quoi que ce soit.
3/4) L’irresponsabilité de certains
L’irresponsabilité apparaît dans l’idée illusoire que la technologie résoudra tout. Beaucoup ne jurent que par l’innovation technologique, même si elle est encore balbutiante. Cette aspiration, que vous pouvez considérer comme un désir irréaliste relevant de la science-fiction, remporte pourtant une large adhésion. Le GIEC reste circonspect : « Les alternatives que présente la géo-ingénierie… restent largement spéculatives et aléatoires et comportent le risque d’effets collatéraux insoupçonnés. » Lorsque l’utopie empêche la reconnaissance de responsabilités morales, il s’agit d’une faute morale. Celui qui a pris ses désirs pour des réalités devient alors responsable d’un mal qui aurait pu être évité. Quelque part, l’argument sur l’incertitude exprime l’idée trompeuse que nous pouvons en toute quiétude continuer nos petites vies hautement énergivores.
Plusieurs courants de pensée prétendent même que nous ferions mieux de nous abstenir d’agir contre le changement climatique, car le coût en est prohibitif. Mais c’est nuire à autrui pour de l’argent, et c’est là où le bât blesse. Pour Nicholas Stern, rester inactif face à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre coûterait globalement chaque année au moins 5 % du PIB. Les choses seront, selon toute vraisemblance, encore pires que pendant la dépression économique de la première moitié du 20e siècle.
On entend aussi dire que la lutte contre le changement climatique ne pourra commencer que si les autres agissent. Une des raisons avancée par G.W.Bush pour ne pas ratifier le protocole de Kyoto est que le traité écarte toute exigence à l’égard de la Chine et de l’Inde. Mais les fondements d’une action moralement motivée ne dépendent pas de l’action des autres. Si quelque chose doit être fait, il reste à le faire, que les autres le fassent ou non. Les raisons de refuser la lutte contre le changement climatique ont toutes quelque chose en commun : aucun de ces arguments ne se base sur un principe moral. Il n’est question ni de justice, ni d’équité, ni d’impartialité ni de valeur morale.
4/4) Citations
- Platon : « Tout l’or qui est sur terre ou sous terre ne vaut pas la vertu. »
- Sénèque : « Nous passons notre vie soit à ne rien faire du tout, soit à mal faire, soit à faire tout autre chose que ce que nous devrions. »
- Voltaire : « Aucun flocon de neige dans une avalanche ne se sent jamais responsable. »
- Molière : « Nous ne sommes pas seulement responsables de ce que nous faisons, mais aussi de ce que nous ne faisons pas. »
- James Garvey : « S’il y a conflit entre la durabilité et les autres critères, j’ai le sentiment que c’est la durabilité qui doit l’emporter.
- Hobbes avait raison : un engagement non coercitif se résume à des mots. Ce qu’il faut, c’est une contrainte.
(éditions yago)