En conclusion, Christine Bergé s’interroge non seulement sur le coût prohibitif de la déconstruction d’un réacteur, mais aussi sur l’avenir des déchets nucléaires : « Quelles archives laisserons-nous pour avertir du danger sur le site d’enfouissement de Bure, pendant les siècles qui suivront ? » Pourtant ce livre se veut neutre par rapport aux surgénérateurs ; n’importe qui ne peut pas étudier un réacteur en déconstruction…
Voici un résumé du livre de Christine Bergé :
1/3) la construction de Superphénix
En 1971, la toute jeune section des Amis de la Terre demande un moratoire sur la construction de centrales nucléaires. En décembre 1976, le conseil de surveillance de la société NERSA (société anonyme dédiée à la construction de centrales nucléaires à neutrons rapides) prit la décision de construire une centrale de Creys-Malville. Le décret d’autorisation fut accordé en mai 1977. Conçu pour une puissance électrique de 1200 MW, Superphénix appartient à la famille des surgénérateurs, réacteurs à neutrons rapides dont le fluide caloporteur est le sodium. L’aînée, Rapsodie, d’une puissance de 20 MW, connut sa première divergence en 1967 à Cadarache ; Phénix, 130 MW, en 1973 à Marcoule. La première divergence de Superphénix eut lieu en septembre 1985. Sa construction a nécessité 200 000 mètres cubes de béton (pour un bâtiment haut de 80 mètres et 60 m de diamètre), 20 250 tonnes d’acier, 5500 tonnes de sodium et 4,8 tonnes de plutonium.
L’intérêt du surgénérateur est sa fécondité ; à partir de l’uranium dit fertile (isotopie 238) se forme une quantité de nouveau plutonium qui dépasse celle du plutonium consommé par la fission nucléaire dans le même temps. La chaleur qui provient du cœur pendant la réaction en chaîne est absorbée par le sodium liquide qui circule entre les assemblages. Le sodium primaire est irradié par le flux de neutrons. Un second circuit de sodium, dit sodium secondaire, est non irradié. Il capte la chaleur du sodium primaire Le sodium liquide s’enflamme au contact de l’air et explose au contact de l’eau. En cas de fuite, le sodium peut provoquer un emballement du cœur du réacteur, jusqu’au scénario catastrophe de la fusion. Il est donc primordial de supprimer toute possibilité de contact entre le sodium et le circuit eau-vapeur qui produit de l’électricité.
Superphénix a connu une exploitation normale pendant 53 mois, a dû être réparé pendant 25 mois et a été paralysé par les « tracas administratifs » pendant 54 mois. En définitive, Superphénix a consommé plus d’électricité qu’il n’en a produit. Déconstruction comprise, le coût de Superphénix demeure prohibitif.
2/3) La déconstruction
La politique a interrompu le cours technique de la centrale. En mai 1997, les écologistes participaient au nouveau gouvernement. Alors que les acteurs du site avaient mis en place un comité de soutien au maintien de la centrale, Lionel Jospin Premier ministre de Jacques Chirac, prononça cette phrase le 19 juin : « Le surgénérateur qu’on appelle Superphénix sera abandonné. » L’autorisation de mise à l’arrêt définitif du réacteur a été prononcée par décret du 30 décembre 1998. Mais déconstruire, çà ne s’improvise pas : on a dû apprendre ce qu’on ne savait pas faire. L’année 1999 fut consacrée aux discussions concernant le démontage du cœur. Le déchargement des éléments combustibles du cœur a duré trois ans. Le cœur de Superphénix (13 tonnes de plutonium et 163 tonnes d’uranium) est maintenant coulé par seize mètres de fond dans une piscine appropriée. La destination finale des assemblages enlevés du cœur n’est pas encore arrêtée ! EDF ne considère pas ces éléments comme des déchets, mais comme des réserves de combustibles susceptibles d’être valorisées. Mais l’épargne constituée par les lingots d’uranium n’a de sens que par rapport aux projets de construction de nouveaux réacteurs à neutrons rapides. C’est bien ce qui est prévu. Christophe Béhar, directeur de l’énergie nucléaire au CEA, a annoncé en avril 2010 la construction du réacteur nucléaire de quatrième génération ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) à Marcoule à partir de 2017.
Deux gros chantiers polarisent actuellement l’attention des acteurs de la centrale Superphénix : la découpe des gros composants dont une partie trempait dans la cuve du réacteur ; et la transformation du sodium, dont la majeure partie était irradiée. Les ateliers nécessaires n’ont pas été prévus à la construction de la centrale. Le démantèlement du bloc réacteur doit s’achever en 2024. La démolition du bâtiment réacteur (80 m de haut, 60 m de diamètre) est prévue entre 2024 et 2026. Resteront quelques locaux de surveillance pour la piscine et les blocs de béton.
Le sodium liquide remplit encore aujourd’hui la cuve dans laquelle trempait le cœur énergétique. Ce sodium primaire est maintenu à la température de 180 °C pour rester à l’état liquide. On réalise actuellement les derniers essais pour traiter le sodium, dans l’atelier flambant neuf TNA. Les premières gouttes de sodium n’ont été traitées (transformées en soude) qu’en juillet 2009. Le début de vidange du sodium primaire contenu dans la cuve est prévu pour novembre 2010. Le sodium secondaire est entreposé à l’état solide. Rappelons que le sodium présente l’inconvénient d’exploser au contact de l’eau et de brûler au contact de l’air.
(éditeur : les empêcheurs de penser en rond, la découverte)
3/3) le mythe renaît de ses cendres (ajout hors livre de C.Bergé) : ASTRID
AFP | 09.11.10 | Accord Areva-CEA sur le réacteur de 4e génération Astrid
Le groupe nucléaire Areva et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ont signé un accord de collaboration portant sur les premières études de conception du prototype de réacteur de 4ème génération Astrid, ont-ils annoncé mardi dans un communiqué.
Cet accord "permettra au gouvernement français de prendre, dès 2017, les décisions concernant la construction de ce démonstrateur", est-il précisé. Areva aura la charge "de la conception de la chaudière, des auxiliaires nucléaires et du contrôle-commande", tandis que le CEA assurera "le pilotage d’ensemble des études" et "réalisera la conception du cœur du réacteur et de son combustible", selon le communiqué.Astrid devrait être un réacteur prototype de 600 mégawatts (MW) environ, fonctionnant avec un cœur à neutrons rapides et refroidi au sodium.
"Un tel démonstrateur est nécessaire pour tester, avant l’étape dune tête de série commerciale, les innovations par rapport aux réacteurs à neutrons rapides antérieurs", selon le communiqué. Les réacteurs à neutrons rapides permettent "d’améliorer très fortement la valorisation énergétique de l’uranium naturel, appauvri ou de retraitement", ajoutent Areva et le CEA. De tels réacteurs sont en cours de construction ou en projet en Inde, Russie, Chine et au Japon. Ils pourraient être mis en service de façon commerciale vers la moitié du siècle, selon le communiqué.
La Tribune.fr, 10 novembre 2010
Astrid fonctionnera avec un cœur à neutrons rapides refroidi au sodium, une technologie dont on attend notamment qu'elle permette un recyclage approfondi des matières nucléaires. Aujourd'hui, les réacteurs à eau sous pression produisent un plutonium qui peut être réutilisé une fois en combustible mixte (Mox). Mais une fois brûlé, le plutonium encore contenu dans le Mox n'est plus techniquement réutilisable car sa composition chimique a changé.
En revanche, les réacteurs à neutrons rapides peuvent utiliser toutes sortes de plutonium, et donc théoriquement recycler cet élément sans limites. Areva et le CEA précisent que de tels réacteurs pourraient être mis en service de façon commerciale vers 2050, venant compléter les parcs de réacteurs à eau légère comme l'EPR d’Areva.
Conclusion : une belle saloperie
Astrid, un joli nom pour une belle saloperie ! ASTRID, c’est l’Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration. Le groupe nucléaire Areva et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ont signé un accord (dépêche AFP du 9 novembre 2010, voir ci-dessus) de collaboration portant sur les premières études de conception du prototype de ce réacteur de 4ème génération. Pour connaître un emballement du cœur d’un tel réacteur, il suffit d’une fuite de sodium et c’est la catastrophe. L'explosion atomique dont un surgénérateur peut être le siège porte le nom rassurant d '« excursion nucléaire ». Nous préférerions les excursions amoureuses.
Astrid possédera un cœur à neutrons rapides refroidi au sodium. Pas de quoi tomber amoureux. Il ressemblera tellement à son grand frère de Creys-Malville, Superphénix ! La mise à l’arrêt définitif de Superphénix a été prononcée par décret du 30 décembre 1998. Aujourd’hui, en 2010, les 5500 tonnes de sodium, dont la majorité est irradiée, ne sont pas encore traitées.
Le début de vidange du sodium primaire contenu dans la cuve était prévu pour novembre 2010. Mais nos technocrates nucléaires préfèrent la fuite en avant technologique en annonçant la venue d’Astrid ! L'expulsion même partielle des 5 tonnes de plutonium de Super-Phénix dispersés ou volatilisés par l'excursion nucléaire constituerait une catastrophe sans précédent. Car 1/1 000 000ème de gramme de plutonium inhalé suffit à provoquer un cancer et 8 kilos sont suffisant pour faire une bombe atomique de type Nagasaki.
Il était autrefois envisagé qu'en l'an 2000 les Réacteurs à Neutrons Rapides (surgénérateurs) représenteraient 30 % du parc !!! Ils restent toujours des instruments de laboratoire…