Contre les miasmes propagés par les sceptiques du climat, pas besoin d’agressivité. Stéphane Foucart nous offre dans son livre un exercice maîtrisé : les bêtises colportées par Claude Allègre ; les tribulations tout aussi fallacieuses de Vincent Courtillot ; les campagnes contre le GIEC dans les médias anglais et américains ; le scepticisme mercenaire des pétroliers ; les menaces contre la science lancées par les élus extrémistes aux Etats-Unis ; la veulerie des institutions scientifiques françaises (CNRS, Académie des Sciences) face aux dignitaires de la science devenus sceptiques du climat.
Le livre est aussi une excellente synthèse, rare en français, sur la bouffée de scepticisme climatique récente. L’irruption du Mammouth Allègre dans le paysage médiatique ne date pas d’hier. Ses arguments sont non seulement démontés dans l’essai, mais aussi montrés pour ce qu’ils sont, une copie des argumentaires rabâchés outre-Atlantique par les spécialistes de l’opposition à la science. Ce sont les même qui ont exercé leurs douteux talents sur le tabac, la couche d’ozone, les pesticides et maintenant les changements climatiques. A chaque fois, Stéphane Foucart nous donne des clés de compréhension, de quoi ne pas se faire rouler à l’avenir par les ritournelles des sceptiques.
Plus original et aussi passionnant, la suite tente de décrire pourquoi et sur quels arguments le « côté obscur de la force » a pu séduire des esprits parfois brillants, et sur quels arguments. On suit la rivalité et la jalousie - que l’on devine maladive- de certains géologues privés de l’oreille des puissants en faveur d’une discipline devenue rivale, basée sur la maîtrise des données satellitaires et des modélisations informatiques. Plus original encore, on comprend la motivation « positiviste » des sceptiques, cette confrontation très idéologique avec les vues écologiques : la terre est finie, les ressources disponibles décroissent, de même que la richesse biologique face à l’empreinte des humains. Ces faits scientifiques au cœur de notre XXIème siècle ont pour corollaire qu’une croissance illimitée n’est pas accessible à l’humanité, qui doit inventer autre chose. Et cela, ces personnages (des hommes nés au siècle dernier voire restés au positivisme du XIXème siècle), ne peuvent l’accepter, ce n’est pas « leur » science. Cette vérité les dérange…
Autre chapitre qui vise juste, celui sur la blogosphère et les conséquences de l’existence d’échanges en circuit fermé. De véritables bocaux, qui favorisent les raccourcis et les soupçons de complot. Le contraste avec l’itération lente des publications scientifiques est saisissant. Le web est un mode de communication qui favorise les sceptiques tonitruants, et « fabrique » même des publications à réputation sérieuse avec des rogatons putréfiés. Cela est très bien raconté. De même que les « soucoupistes » continuent de croire que la terre est régulièrement visitée par des extra-terrestres, les « croyants » du scepticisme climatique n’ont aucun mal à se couper de la réalité des sciences (la fameuse « nouvelle physique » développée par le site et de leurs convergences. Ils ont trouvé dans l’éther du web des planètes accueillantes qu’ils confondent avec notre terre réelle. Ils ont même retourné l’argument en décrivant les climatologues comme un culte « réchauffiste » dont l’objectif est de duper les humains.
Toutefois Stéphane Foucart manque un point important pour expliquer l’histoire des climatologues, leur choix de s’organiser face aux attaques odieuses des pétroliers et des états du Golfe. Si la mayonnaise du GIEC a pris dans la communauté scientifique, et s’est imposée aux états (qui ont plutôt suivi qu’ils n’ont impulsé) c’est bien parce qu’une discipline était - déjà- attaquée violemment et simultanément faisait l’objet de demandes pressantes des politiques. Il y avait aussi une demande explicite des leaders du GIEC -souvent bloqués par les états extrémistes de l’ONU- envers les ONG, appelées à les aider pour expliquer et diffuser le message. Longtemps, les média manquaient à l’appel. Combien avant Kyoto de séances de l’ONU ou du GIEC sans un seul journaliste français !
En tant qu’arène, le GIEC bénéficie de ce passé collectif que n’ont par exemple ni les biologistes de la diversité (qui en rêvent), les géologues adeptes du peak oil (condamnés à la polémique par l’absence de transparence des Etats pétroliers) ou encore les scientifiques étudiant les OGM déjà cités. Même avec des moyens importants - qui ont fait défaut à l’origine au GIEC en tant qu’organisation- on ne créera pas aisément un tel forum pour ces autres sujets de débat liant science et politiques publiques.
(Denoël Impacts)