Le livre d’Aurélien Bernier et Michel Marchand, Ne soyons pas des écologistes benêts (pour un protectionnisme écologique et social) est un peu léger comme contenu, mais pour 3,50 euros, on en a encore pour son argent. Ce petit livre est déjà critiquable par son titre : traiter certains écologistes de benêts, c’est disqualifier le mouvement global : dommage ! Ensuite la prise du pouvoir d’Etat par un mouvement anticapitaliste est une analyse superficielle : on a déjà vu historiquement ce qu’un tel objectif pouvait entraîner. Enfin, démolir l’écologie profonde en deux lignes (p.116) sans aucun argument valable** nous paraît digne de Claude Allègre, certainement pas de personnes qui se revendiquent de l’écologie radicale.
Par contre, penser que le protectionnisme est une partie de la solution à nos problèmes est salutaire. Voici quelques extraits significatifs :
1/2) Contre le capitalisme néo-libéral
Pour le courant de pensée des physiocrates, au XVIIIe siècle, la sphère économique était incluse dans celle de la société des hommes, elle-même incluse dans celle de la nature. Aujourd’hui cette hiérarchie est inversée, la sphère économique est devenue la plus importante, englobant l’espace sociétal, la nature étant ravalée au rang de réservoir. C’est la dynamique du capitalisme qui a placé sa conception de l’économie au sommet de la hiérarchie des normes sociales. En conséquence, le capitalisme néolibéral ravage la planète. Nul ne conteste le fait que l’humanité consomme plus de ressources et rejette plus de polluants que la biosphère n’est capable d’en fournir et d’en absorber. Nous devons consacrer toute notre énergie à tenter d’y mettre fin. Là est l’essentiel.
L’échec de Copenhague (décembre 12009) était connu d’avance. Pour les tenants du capitalisme néolibéral, la pérennité de l’ordre économique mondial est la priorité, et elle le restera quoi qu’il advienne. Pour les gouvernements des principaux pays de la planète, sa consolidation passe avant toute considération écologique. A coups de milliards, on sauve les banques de la crise économique qu’elles ont déclenchée en septembre 2008, mais le 1 % du PIB mondial que nécessiterait une mutation écologique des modes de production est pour eux inacceptable.
Le système capitaliste peut se définir par la logique d’accumulation des richesses grâce à l’exploitation de la nature et du travail humain d’une part, par la propriété privée des grands moyens de production, d’échange et de communication d’autre part. Il résulte de ces deux caractéristiques une troisième : le productivisme, qui consiste à faire de l’augmentation de la fabrication de biens matériels un objectif en soi, puisque seule la vente des marchandises produites permet le profit. La logique du productivisme ignore les limites de la planète. Devenu néolibéral à partir des années 1970 et 1980, le capitalisme a mis les économies nationales dans une concurrence effrénée les unes avec les autres, favorisant le moins-disant social et environnemental, provoquant ainsi les différentes crises. Le capitalisme peut faire « de l’écologie » si la préservation de la planète est plus rentable que sa destruction. Le capitalisme vert n’attend finalement que l’aggravation des risques pour prospérer.
2/2) Pour une écologie radicale
L’urgence environnemental peut conduire à deux types de dérive idéologique. Le premier danger est de considérer l’environnement comme une opportunité de relance du capitalisme. Les droits à polluer circulent par exemple à la Bourse du carbone pour maintenir le train de vie des pays pollueurs. Tout au contraire, le droit pour chaque habitant de la planète d’émettre une même quantité de gaz à effet de serre pourrait être consacré, étant donné que le total ne devrait pas dépasser les capacités d’absorption du système Terre. Le second danger serait de considérer l’homme et la nature comme antagonistes. Au-delà, des objecteurs de croissance comme Paul Ariès, des partis politiques comme le Parti de Gauche et des mouvements comme le M’PEP* partagent une analyse qu’on peut nommer « écologie radicale ». Au sens premier du terme « radical », cette écologie va à la racine des choses. Elle est anti-productiviste parce que le pétrole socialiste n’est pas plus écolo que le pétrole capitaliste. Il faut affirmer que le socialisme du 21ème siècle doit opérer une rupture nette avec le productivisme. Il faut définir par le débat public quels types de production doivent augmenter et lesquelles baisser, en sachant que la tendance globale sera inévitablement une réduction sévère. Il faut réhabiliter l’Etat et prendre le pouvoir à l’actuelle oligarchie. Il faut nécessairement briser la spirale de la mondialisation qui a servi à donner tous les pouvoirs aux grandes entreprises. Comment vaincre des puissances financières colossales comme les groupes pétroliers sans prise de pouvoir au niveau d’un Etat ?
Un moyen efficace pour dé-mondialiser l’économie est de réglementer et de taxer les importations en fonction de critères sociaux et environnementaux. Logiquement, ce protectionnisme devrait être mis en place par un maximum d’Etats puisqu’il servirait l’intérêt de leurs populations. Mais comment imaginer que les 27 Etats membres de l’Union européenne tombent d’accord sur ce point, étant entendu que toute mesure européenne en matière de fiscalité nécessite l’unanimité ? Mais, avec les crises à répétition que nous traversons, le soutien des populations à un projet de refonte de l’ordre économique mondial ne ferait aucun doute. La sortie de l’OMC est incontournable et n’aurait rien de dramatique. Il est indispensable de lier la reconversion écologique de la production à la relocalisation des activités productives. Et pourquoi ne pas interdire la commercialisation des modèles d’automobiles les plus polluants ? Pourquoi ne pas réduire drastiquement la production d’armes ?
* M’PEP : Mouvement politique d’éducation populaire créé en mai 2008 par des groupes ayant mené la bataille victorieuse contre le traité constitutionnel européen.
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** « Le danger est de sacrifier la défense des droits et du progrès humain à un nouveau modèle où l’homme et la nature seraient considérés comme antagonistes. C’est l’attitude d’une certaine forme d’écologie dite profonde, que l’on devrait plutôt qualifier d’intégriste. »
Cette phrase montre que ses auteurs n’ont jamais lu Arne Naess, philosophe de l’écologie profonde
(éditions mille et une nuits)