en résumé :
1/4) introduction sur les technosciences
Le vocable technosciences renvoie à une mutation profonde des rapports entre science et technique, à un renforcement des liens qui se font plus étroits. Il se réfère à un monde où l’emprise de l’industrie sur la science est toujours plus pressante. Un monde où le savoir-faire prend le pas sur le savoir et où la maîtrise de la nature prime sur la connaissance. La confusion systématique entre avancées scientifiques et progrès est savamment entretenue. La colonisation des organes d’expertise nationaux et internationaux par des personnes venues du secteur industriel et y retournant, en application du principe des « portes tournantes », a des conséquences très lourdes sur les choix qui sont faits par les pouvoirs publics et favorise la manipulation des opinions. Alliés objectifs des lobbies industriels, des scientifiques confondent allègrement dans les médias « Personne n’est sûr de rien » avec « Chacun peut dire n’importe quoi » Dans les cénacles du populisme scientifique, on ne manque jamais de truffer ses diatribes du mot PROGRES pour mieux fustiger ses ennemis désignés. Ce discours pseudo-scientifique est à la science ce que l’intégrisme est à la religion. A ce genre de discours, appliquons résolument le principe de suspicion.
Nos sociétés occidentalisées sont à la fois surinformées, sous-informées et désinformées. Cet ouvrage a simplement pour objet de promouvoir la capacité de décryptage des réalités derrière les faux-semblants et les propagandes.
2/4) le discours techno-scientifique : « Sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie »
26 avril 1986 : catastrophe de Tchernobyl. Le professeur Pellerin est alors directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants. Pour lui, le nuage radioactif s’est arrêté aux frontières de la France ! Pierre Pellerin est depuis longtemps un inconditionnel de l’industrie nucléaire. En témoignent ces quelques extraits de l’une de ses conférences en 1979 : « L’humanité est confrontée à un choix inévitable : ou bien elle décide d’abandonner totalement le progrès, de revenir aux techniques ancestrales, de s’éclairer à la chandelle et de s’habiller de peaux de bêtes… Ou bien elle accepte le développement de l’énergie avec toutes les conséquences bénéfiques qu’elle est en droit d’en attendre. Seule l’énergie nucléaire peut actuellement faire face à la demande, et, dans ces conditions, l’opposition à l’énergie nucléaire ne peut être que le fait d’ignorants ou d’imposteurs. »
Trente ans plus tard, le lieu commun bouge encore. Emission A vous de juger sur France 2 le 17 septembre 2009, l’incontournable Claude Allègre est sur le plateau qui tente d’asséner les fondamentaux de l’énergétiquement correct à Cohn-Bendit : « Si tu arrêtes tout le nucléaire, tu es pour la décroissance. A ce moment-là, on revient aux cavernes. » Daniel Cohn-Bendit ne s’en laisse pas compter. Les propos d’Allègre ne sont jamais qu’un avatar du classique : « Sans le nucléaire, on s’éclairerait à la bougie. » Ce poncif fait partie du patrimoine français, ce qui ne l’empêche pas d’être contestable. Dès 1978, les Autrichiens votent une loi sur la non-utilisation du nucléaire. Sont-ils tentés par un retour aux cavernes ?
La mise en service de la première centrale nucléaire française destinée à la production d’électricité (Chinon A1) remonte à 1963. Claude Allègre débutait alors sa carrière scientifique, Pierre Pellerin avait largement entamé la sienne. Vu l’acuité des dons d’observation inhérente à leurs fonctions, ils ont probablement remarqué qu’avant l’année zéro du nucléaire civil, les Français n’habitaient pas des cavernes… A l’échelle mondiale, le nucléaire ne représente que quelque 15 % de la production d’électricité et seulement 2,5 % de la consommation totale d’énergie.
3/4) discours techno-scientifique : « Déchets nucléaires, on a les solutions »
L’industrie nucléaire est la seule industrie qui ait fait pour ses déchets un pari sur l’avenir, celui de savoir les réemployer ou de savoir les faire disparaître, pari qu’elle a pour le moment perdu. Les seules solutions proposées sont en réalité des solutions de stockage, il n’en existe à ce jour aucune autre. Et, bien évidemment, le stockage de déchets dont la durée de vie peut être de plusieurs centaines de millions d’années ne saurait constituer une solution acceptable. Comment le lobby nucléaire s’y prend-il pour faire prendre à ce point des vessies pour des lanternes ?
Tout d’abord en jouant, tout au moins en France, sur la définition du mot « déchets ». Le lobby nucléaire a obtenu que, dans la loi sur les déchets radioactifs, ne rentrent dans la catégorie « déchets » que les produits pour lesquels aucun utilisation future n’est prévue ou envisagée. Autrement dit, il n’existe pas juridiquement de déchets radioactifs. Cette définition, qui ne s’applique à aucune autre filière industrielle, permet d’éviter un classement en catégorie « déchets », dès lors que dans les vingt, trente ou cent années qui viennent, une réutilisation pourrait être envisagée. C’est cette définition absolument inacceptable qui permet à AREVA de contourner la convention de Bâle interdisant l’exportation de déchets industriels toxiques et d’envoyer en Sibérie des déchets provenant du retraitement de combustibles nucléaires usés.
Le lobby nucléaire préconise le stockage en couches profondes des déchets ultimes. Comme ce stockage est considéré comme permanent, il ne donne plus lieu à aucune provision pour le futur. C’est un avantage à la fois en termes d’image et en termes de coût : plus rien n’est à provisionner financièrement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle ces enfouissements pourraient être permanents et sans aucune incidence sur l’environnement apparaît beaucoup trop péremptoire. Il suffit pour s’en convaincre de suivre les déboires gravissimes des Allemands, lesquels ont enfoui dans des mines de sel, censées constituer de véritables coffres-forts étanches, des déchets radioactifs, pour finalement constater une pollution des nappes phréatiques, situation pourtant considérée comme impossible.
En réalité, nous léguons aux générations futures un problème irrésolu en leur interdisant de trouver une autre solution puisque l’irréversibilité sera acquise de fait. L’industrie nucléaire poursuit ses activités alors qu’elle devrait les interrompre tant qu’une solution aux problèmes des déchets n’est pas trouvée. De plus, en permettant de ne pas intégrer dans le coût du nucléaire cette incertitude sur l’avenir, elle crée une distorsion insupportable avec le coût des énergies renouvelables, lesquelles coûtent cher à l’investissement mais quasiment rien en fin de vie.
4/4) discours techno-scientifique : « Le principe de précaution entrave le progrès »
Pour les géants industriels, si les connaissances ne permettent pas de connaître les risques de leurs produits mis sur le marché, il va de soi qu’ils ne sauraient en supporter les conséquences. A tous les coups, ils gagnent.
Les opposants au principe de précaution seraient plus crédibles dans leur démonstration s’ils acceptaient d’assumer la responsabilité liée au risque inhérent à la mise sur le marché de tel ou tel produit. Mais il n’en est rien, la société contemporaine repose sur le principe du cobaye/payeur.
Le principe de précaution ne s’applique évidemment pas à la recherche fondamentale, ni même à la recherche appliquée. Il ne joue que pour la mise en place de nouveaux produits ou de nouvelles technologies susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement et/ ou sur la santé humaine. Par voie de conséquence seul le domaine marchand, celui de l’application des technologies, est en cause.
Loin d’entraver la recherche, le principe de précaution apparaît comme un principe d’incitation à obtenir le plus rapidement possible les réponses aux questions qui restent posée du fait de l’incertitude scientifique. C’est donc un accélérateur de recherche.
Comment comprendre la guerre déclarée par l’Académie des sciences au principe de précaution qui exige la recherche scientifique de réponses aux questions posées par les avancées technologiques ? Les rapports sont préparés par un petit nombre de membres dont certains entretiennent des rapports étroits avec l’industrie. Prenons l’exemple du rapport très controversé de l’Académie de médecine sur les ondes. Cette Académie juge dangereuse une baisse des normes d’exposition aux ondes, baisse ne pouvant, en toute hypothèse, qu’être favorable à la santé humaine. Parmi les rapporteurs, on comptait un ancien membre du conseil scientifique de la fondation Santé et Radiofréquences – organisme financé à 50 % par le secteur privé et comptant dans son conseil d’administration les représentants de tous les opérateurs -, un ancien membre du conseil scientifique de Bouygues Telecom et ancien administrateur d’EDF, un membre du conseil scientifique de Bouygues Telecom, un conseiller à la direction de la recherche technologique du CEA, ainsi que deux personnes extérieures au sujet. Ce type de comité est-il de nature à délivrer l’avis des sommités médicales sur un sujet de santé publique ?
On pourrait dire qu’entre le chlordécone, l’amiante, les PCB et le bisphénol A, la France est l’un des pays qui applique le moins le principe de précaution. Il est vrai que le philosophe et ancien ministre de l’éducation Luc Ferry pouvait écrire dans une tribune d’octobre 2009 : « Il faudra doubler dans les années qui viennent la production agricole mondiale si l’on veut nourrir les habitants de la planète. Croit-on sérieusement que c’est grâce au principe de précaution qu’on y parviendra ? L’anathème qui pèse en France sur les OGM depuis le Grenelle de l’environnement est un symbole calamiteux. »
(Seuil, 2010)