Livre scientifique réalisé par un groupe d’ingénieurs de l’association des centraliens sous la direction de Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon. Les métaux, ressources minérales naturelles non renouvelables, sont à la base de notre civilisation industrielle. Moins médiatique que le changement climatique ou les enjeux énergétiques, leur raréfaction sera pourtant un des défis majeurs du 21e siècle. Car notre modèle de développement, qui repose sur la croissance économique et un accroissement continu du prélèvement des ressources, se heurte à la finitude de la planète. Voici le résumé qu’en fait Jean-Luc Porquet* :
- Nous exploitons un stock fini de métaux qui s’épuisera bientôt, croissance aidant. La pénurie nous guette, et plus vite qu’on ne croit : dans dix à treize ans, par exemple, il en restera plus d’indium.
- La croissance verte qui viendrait apporter la solution à tous nos maux est un mythe : la course technologique et l’innovation créent un emballement de besoins en métaux, en particulier les plus rares, qui rend cette croissance non durable.
- L’extraction des minerais requiert de plus en plus d’énergie, car ils sont de moins en moins concentrés. Or l’énergie, toujours moins accessible, exige de plus en plus de minerais : nous venons tout juste d’entrer dans ce cercle vicieux.
- Croire que le recyclage va tout régler est une erreur : « Il n’y a pas de circuit sans perte. » S’il peut freiner le gaspillage, le recyclage ne pourra pas inverser la tendance.
Le livre conclut ainsi : « C’est donc sur le terrain du juste besoin et, par-delà, de la morale que devront se situer les progrès. »
* Le Canard enchaîné (15 décembre 2010)
quelques textes complémentaires pour mieux cerner la thèse de Philippe BIHOUIX :
1/3) Philippe Bjhouix contre l’utopie marchande
Bonne contre-enquête du Monde sur les terres rares*. Mais il manque l’essentiel, un point de vue durable. L’ensemble de ces deux pages veut nous faire croire que la riposte s’organise, pas besoin de s’inquiéter : « Certains imaginent même la Chine abandonner tous ses quotas d’exportation, provoquant une chute des prix. » La journaliste croit encore à l’industrie industrialisante qui va reposer sur les 17 métaux aux propriétés extraordinaires qui vont booster les technologies de pointe et la croissance propre. Patrice Christmann, responsable des ressources minérales à la direction de la stratégie du Bureau de recherches géologiques et minières est un vrai croyant : « En science, le mot jamais n’a pas de sens. Les industriels cherchent à obtenir les aimants permanents qui ont le champ magnétique le plus puisant et qui sont en même temps de petite taille… la science trouvera. » Le PDG de Rhodia, leader mondial des formulations à base de terres rares, reste optimiste : « Nous allons développer une filière de récupération de terres rares, nous allons diversifier nos approvisionnements… La crise approche de son terme. » Tout ira donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !
Voici pour l’utopie marchande, passons aux réalités. Philippe Bihouix** constate que le développement exponentiel des nouvelles technologies a fait exploser la demande en métaux high tech, les fameuses terres rares. Or les ressources métalliques constituent un stock très limité au milieu d’une quantité énorme de roches indifférenciées. Extraire des métaux toujours moins concentrés dans les roches géologiques requiert de plus en plus d’énergie. Mais inversement la production d’énergie, toujours moins accessible, requiert de plus en plus de métaux. Une éolienne d’1 MW de puissance consomme dix fois plus d’acier et de béton au kWh qu’une centrale thermique. De plus la complexité des alliages nous empêche de récupérer facilement les métaux lors du recyclage. Il y a 30 métaux différents dans un ordinateur portable. Avec 3000 sortes d’alliages au nickel, on comprend que l’organisation de filières de récupération sera douloureuse ! Enfin une partie des métaux n’est pas récupérable car nous en faisons un usage dispersif, pigments, additifs, couches minces…
Allons à l’essentiel. On constate qu’au niveau mondial, 75 % des métaux extraits le sont pour 20 % de la population. Or déjà la pénurie commence avec les terres rares. Il ne faut donc pas promouvoir plus de technologie pour réduire les gaspillages, mais réduire notre consommation de riches pour moins de technologies. C’est sur le terrain de la morale et du juste besoin que se situe le progrès véritable. LeMonde devrait cesser de se faire uniquement le porte-parole myope de notre appareil industriel.
* LeMonde du 14 janvier 2011, Les terres rares seront-elles une nouvelle source de conflit ?
** Philippe Bihouix, ingénieur, coordonne avec Benoît de Guillebon l’ouvrage Quel futur pour les matériaux, résultat du travail associatif des ingénieurs de Centrale-Paris. Résumé de son point de vue dans l’Ecologiste n° 33, hiver 2010.
2/3)notre avenir, stagflation et âge de fer
Le quotidien LE MONDE nous énerve. Son dossier* du jour ne parle que de relance de la croissance et d’impossibilité de l’inflation. Les « experts » ont déjà oublié que la période qui a suivi le premier choc pétrolier a été caractérisée par la stagflation, ce mélange de stagnation économique et d’inflation. La montée du prix de matières premières qui nous guette va aboutir inéluctablement au même phénomène. Car notre modèle de développement, qui repose sur la croissance économique et un accroissement continu du prélèvement des ressources, se heurte à la finitude de la planète. C’est ce que démontre Philippe Bihouix**, ingénieur centralien. En résumé :
« Quel avenir veut-on laisser aux générations futures, un retour à l’âge de fer ? Un monde où quelques dizaines de millions de ferrailleurs-cueilleurs, survivants de la grande panne ou de l’effondrement, exploiteront le stock de métaux dans les décharges, des bâtiments délabrés et des usines à l’arrêt est une possibilité.
En un siècle, nous avons multiplié par 7 la consommation d’énergie par personne, sachant que la population a été multipliée par 4. La limite physique s’appelle EROEI, pour energy return on energy invested : pour produire 100 barils de pétrole, il faut en investir 2 en Arabie Saoudite, mais 10 à 15 en offshore profond, et entre 25 à 35 pour l’extraire des sables asphaltiques de l’Alberta. Il est aisé de comprendre que les pétroles non conventionnels ne peuvent pas compenser la déplétion du pétrole bon marché. Passons aux métaux : on a d’abord exploité les minerais les plus concentrés, la tendance est donc à une baisse de la concentration moyenne. On commence à exploiter du nickel à 1 % là où 3 % ou plus était la norme il y a quelques décennies. Les mines d’or produisent à peine 5 grammes par tonne contre 20 il y a un siècle. Les métaux, toujours moins concentrés, requièrent plus d’énergie, tandis que la production d’énergie, toujours moins accessible, requiert plus de pétrole. Le peak oil sera donc vraisemblablement accompagné d’un peak everything (pic de tout). Qu’on se le dise, il n’y a pas assez de lithium ou de cobalt sur terre pour équiper plusieurs centaines de millions de véhicules électriques, ni de platine pour des moteurs à hydrogène.
Le recyclage a ses limites et l’économie parfaitement circulaire est impossible : c’est le second principe de la thermodynamique, on en dissipe toujours un peu. A chaque recyclage, on perd une partie des ressources et on génère des déchets. Mais surtout la complexité des produits nous empêche de séparer et de récupérer facilement les matières premières. Bref les technologies vertes ne feront qu’accélérer jusqu’à l’absurde le système, car elles sont généralement basées sur des métaux peu répandus. Que diront nos descendants d’une société qui extrait de l’argent des mines (nano-argent) pour l’utiliser comme technologie anti-odeurs ?
Conclusion. Pour lutter contre le changement climatique et gagner un peu de poids et quelques grammes de CO2 par kilomètre, on utilise des alliages dans des voitures bourrées d’électronique. Il suffirait de brider les moteurs et de réduire la vitesse à 90 km/heure pour en gagner 30 ou 40 % ! Aujourd’hui le responsable marketing est socialement plus reconnu que le cordonnier ou l’éboueur. Pourtant, d’un point de vue utilitariste, seuls ces derniers produisent réellement une valeur pour la société. Une consommation plus locale, fondée sur des objets réparables, basée sur des circuits économiques courts, relancerait l’artisanat, le commerce de proximité… à condition de revaloriser les métiers manuels. »
* LE MONDE du 17 août 2011, Comment sortir de la crise ? Débat d’experts
** mensuel La décroissance (juillet-août 2011)
3/3) La difficulté de démanteler la mégamachine !
« Nous exploitons un stock géologique de ressources minérales limité qu’il ne sera possible d’augmenter à l’avenir qu’au prix d’une dépense énergétique exponentielle. Pour sortir de l’anthropocène, démanteler les centrales nucléaires ne suffira pas.
En effet, quelle différence, en termes de contenu technologique et de complexité technique, entre une centrale nucléaire et une éolienne industrielle de 5 ou 7 MW ? Ou plutôt un macrosystème de milliers d’éoliennes et de fermes photovoltaïques, reliées par des smart grids permettant à tout instant d’équilibrer offre intermittente et demande variable. Aucune ! On y trouve également des métaux farfelus, une production mondialisée exigeant des moyens industriels à la seule portée d’une poignée d’entreprises transnationales, une installation et une maintenance requérant des moyens exceptionnels (barges, grues, remorques spéciales…), ne pouvant s’appuyer que sur une expertise fortement centralisée, de l’électronique à tous les étages, etc. A mille lieues d’une production autonomie, résiliente, ancrée dans les territoires et maîtrisable par des populations locales.
Peut-on imaginer de maintenir un tel système de production pendant des siècles ? Naturellement non, pour la même raison que les centrales nucléaires : il faudra bien changer ces grandes éoliennes tous les trente ou quarante ans, avec le manque à venir de ressources spécifiques, avec l’impossibilité de recycler correctement (c’est-à-dire sans dégradation de l’usage ) tous les matériaux, avec la dépendance cachée aux énergies fossiles et à l’ensemble de la mégamachine technique.
Organiser la transition écologique tout de suite, c’est admettre que les formes d’énergie vraiment durables sont basées sur des système très locaux, adaptés à leur environnement et de « basse technologie ». Tout doit être réalisable, réparable et remplaçable localement, quitte à obtenir moins de performance : micro-hydraulique, solaire thermique, biomasse… Las, la quantité d’énergie récupérable par de telles technologies sera bien faible pour satisfaire nos standards occidentaux. Inutile d’espérer faire fonctionner escalators, TGV ou gros sites industriels. Il sera nécessaire de nous désurbaniser pour retrouver l’échelle du village. Car si une petite éolienne peut faire fonctionner une machine à laver, elle ne pourra pas fournir le courant à tout un immeuble. Il faudra aussi faire autre chose par jours de calme plat ! »
Philippe Bihouix, quelques extraits de son article Comment démanteler la mégamachine ?
in Entropia n° 12, printemps 2012, Fukushima, fin de l’Anthropocène