Livre destiné au grand public, il permet un survol de toutes les thèses autour de l’idée de décroissance choisie. Il critique à juste titre les fondements de la croissance mais pose la problématique de la décroissance de façon un peu trop vague. Il se permet même un chapitre antimalthusien, comme si la croissance démographique n’était pas le complément nécessaire et sans issue de la croissance économique. Voici un résumé :
1/3) l’impasse de la croissance
Pour l’économie standard, la nature est un capital parmi d’autres et la croissance peut continuer indéfiniment car une solution technique est toujours possible. Pour l’économie écologique (ou bioéconomie), l’économie n’est qu’un sous-système des écosystèmes et le capital technique et le capital naturel ne sont pas entièrement substituables. Sil est vrai que la nature recycle la quasi-totalité de ce qu’elle consomme, il est aussi vrai que l’industrie utilise surtout des matériaux issus des mines et non des écosystèmes. Ils ne s’insèrent pas facilement dans les cycles écologiques globaux, ils tendent au contraire à les perturber et les dégrader, comme par exemple les métaux lourds contenus dans les batteries qui viennent empoisonner la chaîne alimentaire. Par quoi remplacer le lithium ? A ce jour aucun substitut renouvelable n’est connu.
Karl Polanyi expliquait en 1944 que la société de marché s’est constitué en transformant en marchandise la monnaie, la terre et le travail qui avaient été jusque là soigneusement préservés de la régulation marchande. Pour lui, l’émergence du nazisme et du fascisme fut la conséquence directe du coût social énorme que cette marchandisation a provoqué. L’Etat-providence a pu rétablir l’équilibre, mais le processus de marchandisation est toujours en cours, il est même devenu sauvage et touche le fonctionnement interne des Etats. La société peut à nouveau sombrer dans la violence. L’activité économique moderne, avec toutes ses machines thermiques, peut être décrite comme un accélérateur de la croissance de l’entropie et donc comme une entreprise de raréfaction matérielle des ressources utilisables au profit d’une croissance des zones stériles, des déchets et de la pollution. Nicholas Georgescu-Roegen écrivait en 1971 que la fin de la phase industrielle serait atteinte d’autant plus vite que la croissance économique serait élevée. Pour lui, chaque voiture produite l’est au détriment d’une autre à venir, chaque arme fabriquée est un soc de charrue en moins.
Nous n’avons plus rien à espérer d’une croissance supplémentaire (et d’un plan de relance) des économies occidentales, sinon une aggravation des inégalités sociales, en particulier sur le plan écologique. Les contenus des vastes synthèses théoriques et diplomatiques tel le « développement durable » restent encore à définir. En 2002, le sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg ne produisit aucun engagement clair de la part d’aucune des parties. Jacques Chirac y faisait un discours célèbre, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », mais il n’a pris aucune initiative à la hauteur de ses mots, alors même qu’il se trouvait au tout début de son second mandat présidentiel, c’est-à-dire dans une période politiquement idéale pour entreprendre des réformes ambitieuses.
L’ordre économique est aujourd’hui devenu miraculeusement compatible avec le « développement durable » : il suffit de trouver plus sale que soi pour pouvoir se qualifier de propre. Le nucléaire est plus propre que le pétrole parce qu’il émet peu de gaz à effet de serre, le pétrole est plus propre que le nucléaire parce qu’il n’émet pas de déchets impossibles à recycler, etc.
2/3) Ce que nous dit la décroissance
La décroissance peut être comprise comme une décroissance des prétentions de l’Occident à détenir à lui seul l’universalité, d’où une ouverture accrue à autrui. La décroissance dénonce le bonheur conforme : nous sommes dépossédés de nos désirs, de nos besoins, ainsi que de la manière de les satisfaire. La décroissance inclut la revendication d’autonomie. Il s’agit de proposer de nouveaux ingrédients : espace public débarrassé de la pub, agriculture biologique, énergies renouvelables, villes sans voitures… Une « économie écologique » ferait davantage appel au travail humain, elle impliquerait de relocaliser de nombreuses activités. Une société de décroissance s’interdirait le recours à certaines techniques de production particulièrement nuisibles. Que les syndicalistes qui redoutent les pertes d’emploi se rassurent : une décroissance économique impliquerait très vraisemblablement un recours massif au travail dans les domaines du transport collectif, de l’énergie renouvelable, de l’isolation de l’habitat… Le succès des luttes égalitaires entraînerait ipso facto une réduction considérable de la part des marchandises à très haute technicité, au profit de techniques conviviales (au sens d’Illich). Il signifierait donc la fin, ou tout au moins la réduction considérable, de l’usage de l’Internet, du téléphone mobile, du GPS individuel, de la mobilité automobile permanente… En mourrait-on ?
Le sujet écologique se perçoit comme membre d’une communauté biotique et le sujet démocratique comme membre d’une communauté symbolique. Une telle perspective suppose que les sociétés humaines se trouvent en mesure de régler leurs échanges autrement que par un système de marchés ou une étatisation généralisée, tous deux ayant fait la preuve de leur échec. La mouvance décroissance se présente comme une critique globale de l’économie marchande et de l’industrialisation à marche forcée qui concerne tout aussi bien les populations du Nord que celles du Sud. Tout peuple entré dans l’imaginaire de la croissance a intérêt à en sortir. Au Sud, il s’agit donc de rompre avec la dépendance économique et culturelle vis-à-vis du Nord : retrouver et se réapproprier une identité culturelle propre : liberté permise par les savoirs vernaculaires (I.Illich, M.Rahnema), auto-organisation (S.Latouche), harmonie de la société avec la nature (V.Shiva), etc.
3/3) Les politiques face à la décroissance
L’usage de l’alarmisme fait débat. Mais il faut se rappeler que les écologistes ne sont pas les seuls à recourir à l’argument de l’urgence : de nombreux partis le brandissent lorsqu’il s’agit de favoriser le sauvetage des banques et du système financier. On ne le les soupçonne pas pour autant de céder aux sirènes de l’autoritarisme.
Au sein du parti Les Verts, la motion ponctuelle proposée à l’automne 2004 « pour une décroissance sélective et équitable (concept à apprivoiser d’urgence) » fut adoptée à une large majorité, contre l’avis des ténors qui l’ont remise à sa « juste place ». Dominique Voynet suggère par la suite de parler de « décroissance de l’empreinte écologique », ce qui réduit très fortement la portée de l’expression décroissance. En août 2008, Yves Cochet, Noël Mamère, Mireille Ferri, Alain Lipietz et Denis Baupin signaient dans les Echos une tribune en faveur de la « décroissance solidaire », six ans après que le terme eut été lancé dans l’espace public.
La conférence de Barcelone organisée en 2010 sur le thème « Aujourd’hui la décroissance » a soumis au débat participatif une série de dix propositions : 1) Promotion des monnaies locales et sans taux d’intérêt ; 2) mise en œuvre de la semaine de trois jours ; 3) moratoire sur les méga-infrastructures ; 4) Réduction de la publicité ; 5) Limiter le recours aux ressources naturelles stockées dans le sous-sol ; 6) Réutiliser des maisons vides et cohabitat ; 7) Revenu inconditionnel ; 8) Revenu maximum ; 9) fabriquer l’innovation frugale ;10) de nouveaux statuts pour l’action collective à but non lucratif. On peut aussi citer les propositions de V.Cheynet lors de sa candidature aux législatives en 2007, les 8R (réévaluer, reconceptualiser, etc.) de S.Latouche, la perspective antiautoritaire d’A.Gorz…
Les idées de décroissance balayent un large spectre, d’une position délégitimant les médiations politiques à des politiques publiques de rupture (écotaxe élevée, protectionnisme, etc.). Cette hétérogénéité interdit une attaque univoque de la décroissance, tant les auteurs et les militants qui s’y réfèrent présentent des profils variés.
(éditions La découverte)