sous-titre: L’Etat de la planète par le Worldwatch Institute
(éditions de la Martinière, collection goodplanet de Yann Arthus-Bertrand)
Yann Arthus-Bertrand : « Je dois ma prise de conscience écologique à la lecture de l’Etat de la planète, qui fut régulièrement traduit en français dès la fin des années 1980. Chaque année, ce livre rédigé par les chercheurs du Worldwatch Institute faisait le point, avec de chiffres et des analyses, sur l’impact de l’humanité sur une planète aux ressources limitées. Mais, depuis 2005, ce livre n’a plus été traduit. J’ai donc souhaité que cet ouvrage – et les suivants – soit de nouveau accessible aux lecteurs francophones. »
Voici quelques morceaux choisis :
1/5) Expliquer que moins peut signifier plus (Cecile Andrews et Wanda Urbanska)
La simplicité volontaire est une philosophie vieille comme le monde selon laquelle il faut se détourner de la quête d’argent et de biens matériels pour vivre plus profondément, renoncer aux richesses extérieures pour atteindre une plus grande richesse intérieure. Moins signifie plus de sérénité, plus de bonheur. La simplicité volontaire prône la bienveillance et les valeurs communautaires. Ce qui rend les gens heureux est d’entretenir de solides relations avec les autres. C’est pourquoi la simplicité volontaire n’a rien d’un sacrifice.
Le meilleur indicateur de la santé d’un pays en ce qui concerne la longévité est l’écart existant entre les riches et les pauvres. Car non seulement les problèmes de santé des populations pauvres font chuter la moyenne, mais leurs répercussions touchent tout le monde étant donné que l’inégalité ébranle la cohésion sociale. Il est extrêmement stressant d’être confronté à un manque de respect dans une société où le statut social compte beaucoup, et le stress déclenche des maladies. L’individualisme forcené empoisonne aussi littéralement, cela porte atteinte à la société et à nos vies personnelles.
L’ultime espoir réside dans la résurgence d’une politique qui nous demande de travailler tous ensembles. La place centrale réservée à la communauté se retrouve dans les écovillages, la relocalisation ou le mouvement des villes en transition. Ces démarches ne se réclament pas toutes du mouvement pour la simplicité, mais la plupart des personnes qui y participent s’efforcent de vivre plus simplement. En août 2009, 200 communautés dans plusieurs pays étaient officiellement reconnues comme des villes en transition.
Il est très important de créer des communautés pour donner aux individus l’envie de vivre plus simplement. Et il est également important de comprendre que cette approche joue en faveur de la démocratie pour ravir le pouvoir aux entreprises. L’objectif n’est pas uniquement d’obtenir que les individus consomment moins, il est aussi motiver les citoyens pour qu’ils participent au changement social en mettant en avant des valeurs comme l’empathie, la bienveillance ou le sentiment d’appartenance.
2/5) Relocaliser l’économie (Michael H.Shuman)
Bellingham, dans l’Etat de Washington, expérimente depuis une dizaine d’années une stratégie totalement éloignée des préoccupations classiques qui visent à attirer les entreprises d’envergure internationale. Guidée en cela par Sustainable Connections, une association à but non lucratif, Bellingham s’attache à retenir ses entreprises locales et à les organiser en un puissant réseau collaboratif. On incite par des publicités au « Local First » ; des carnets de coupons permettent l’achat local. Désormais 69 % des consommateurs de Bellingham font attention au caractère local des entreprises et 58 % ont entrepris de relocaliser leurs habitudes de consommation. En cinq ans, le nombre de ventes directes des agriculteurs du Comté a grimpé de 125 %. Si l’économie du Maryland s’appuyait sur des entreprises locales, les autorités pourraient fixer des normes environnementales avec la certitude que les entreprises choisiraient de s’y plier plutôt que de partir.
A chaque fois que les coûts de distribution dépassent les coûts de production, il devient beaucoup plus rentable de relocaliser la production. Et, dans le cas des produits alimentaires, cela réduit la réfrigération, l’emballage, la publicité et les tierces parties, et donc les coûts. La hausse du pétrole et de l’énergie dans les années à venir va s’accompagner d’une inefficience grandissante de la distribution, ce qui va donner plus de poids à la relocalisation de l’économie. La sécurité intérieure pousse d’ailleurs les autorités à encourager l’autonomie en matière de nourriture et d’énergie. De nombreux instruments permettent d’inciter les consommateurs à l’achat local : bons d’achat avec réduction, cartes de crédit et de fidélité locales, systèmes de troc et systèmes monétaires locaux… L’argent public ne devrait être attribué qu’aux entreprises locales. Chaque dollar et chaque heure utilisée pour attirer et retenir une entreprise extérieure sont perdus pour la cause locale et les avantages qu’elle présente en matière de prospérité.
La Business Alliance for local Living Economics compte plus de 70 villes en Amérique du Nord. Au niveau international, c’est plus d’un millier de villes qui adoptent une démarche similaire à travers des mouvements comme Transition Towns ou Post-Carbon Futures. Comme les entreprises locales ont tendance à donner la priorité à la main-d’œuvre, au foncier et aux capitaux locaux ainsi qu’à fournir biens et services pour les marchés eux aussi locaux, c’est décisif dans le développement durable. Un entrepreneur local y réfléchira à deux fois avant de continuer à polluer s’il rencontre à l’église ou à l’école les personnes victimes de sa pollution. De plus, du fait que les entreprises locales sont plus enclines à utiliser des matériaux locaux et à vendre sur des marchés locaux, leur activité nécessite moins de transport, consomme moins d’énergie et rejette moins de gaz à effet de serre. Enfin une entreprise locale induit un facteur multiplicateur plus élevé sur le plan économique qu’une entreprise similaire mais délocalisée : les revenus d’une entreprise locale sont distribué sur place, puis une grande partie de cet argent est redistribuée à nouveau au niveau local, etc.
De cette économie locale naissent des associations entre entreprises vertes et entreprises anti-écologie, entre partisans du libéralisme et adversaires de la mondialisation. Là réside la caractéristique la plus séduisante de l’économie locale et sa contribution la plus pérenne : ancrer la culture du développement durable dans un fonctionnement profondément démocratique.
3/5) Les écovillages et la transformation des valeurs (Jonathan Dawson)
La définition communément admise d’un écovillage, fournie en 1991 par Robert Gilman, est la suivante : « Une communauté à l’échelle humaine dotée de tous les équipements nécessaires au sein de laquelle les activités humaines s’intègrent au monde naturel sans lui porter atteinte de façon à assurer un développement sain des individus pour une durée illimitée. » Sur cette ligne de pensée, le Global Ecovillage Network forme un réseau au sein duquel sont menées des expériences novatrices en matière de mode de vie post-consommation et communautaire. Ce réseau a permis d’établir une alliance inédite entre des communautés intentionnelles des pays industrialisés et des communautés traditionnelles menacées par les pressions exercées par la mondialisation de l’économie. Les écovillage modifient les valeurs de quatre façons qui pourraient rendre la transition vers la durabilité plus facile et plus douce :
- en dissociant croissance et bien-être ;
- en réinsérant les résidents dans le lieu où ils vivent ;
- en soutenant les valeurs et les pratiques indigènes ;
- en proposant une éthique holistique et empirique.
1. Les tentatives pour dissocier le bien-être de la croissance et de l’accumulation de biens matériels sont une des raisons d’être des écovillages. Leur faible niveau de consommation provient en partie de leur volonté de réduire l’intensité énergétique et matérielle, mais aussi du choix de sortir de l’économie mondiale et de renoncer aux possibilités de maximiser les revenus. La qualité de vie dans les communautés intentionnelles est d’ailleurs supérieure malgré un niveau de revenus inférieur, ce qui est dû en grande partie au capital social, à la richesse des relations entre les gens. Ainsi le fait que les écovillages produisent eux-mêmes leurs propres aliments implique que les membres de la communauté travaillent en coopératives, ce qui renforce les liens qu’ils établissent entre eux et avec la terre. Préparation et prise de repas en commun, covoiturage, installation de production d’énergie renouvelable appartenant à la communauté, monnaie et investissements communautaires, etc. – alimentent un esprit coopératif qui soude la communauté et contribue au bien-être
2. Notre économie mondialisée a pour effet pernicieux de déconnecter les individus du lieu où ils vivent. Nos régimes alimentaires, par exemple, reflètent de moins en moins les changements de saison. Cette déconnexion fait le lit de la consommation à outrance. En effet, lorsque les produits viennent de toutes les régions du monde, on perd la notion de ce que notre biorégion peut produire, si bien qu’on ne se sent plus contraint de vivre en respectant les limites des écosystèmes. La volonté des écovillages est au contraire d’augmenter son degré d’autosuffisance : cultiver et transformer des aliments biologiques, produire de l’énergie à partir des ressources renouvelables locales, etc. Ils cherchent à renforcer les liens avec leur biorégion, à réduire la dépendance à l’égard de l’argent et de l’économie mondiale. La démarche d’enracinement est également culturelle, rituels pour marquer les changements de saison….
3. Le marketing et la publicité ont joué un rôle déterminant dans l’instauration des valeurs qui sous-tendent la société de consommation et dans la dévalorisation des cultures particulières. Une des dimensions de la transition est la reconnaissance de la diversité des cultures. On compte plusieurs initiatives, semaines sans télévision pour résister aux messages pro-consommation ; festivals en l’honneur des savoirs et savoir-faire locaux ; tissage, préparation de plats typiques…
4. L’éducation dans les écovillages s’appuie sur un mode de pensée systémique. Les programmes sont holistiques, c’est-à-dire qu’ils explorent les interdépendances et les relations entre des problèmes et des sujets qui sont généralement examinés séparément dans les programmes classiques. L’apprentissage se déroule sur fond de traduction des valeurs post-consommation pour édifier une communauté durable.
4/5) La jurisprudence de la Terre : de la colonisation à l’intégration (Cormac Cullinan)
Au lieu d’empêcher une destruction, les lois actuelles sur l’environnement régulent la vitesse à laquelle une communauté naturelle peut être détruite. Une approche complètement nouvelle s’avère alors nécessaire. En 2002 a été publié par la Fondation Gaia de Londres Wild Law : A Manifesto for Earth Justice. Selon ce livre, la mission première des systèmes judiciaires et politiques est de veiller à ce que les êtres humains agissent en bons citoyens de la communauté terrienne plutôt que de définir ce qu’est une attitude antisociale par rapport aux autres êtres humains. Cela implique que les autres membres de la communauté terrienne aient aussi des droits à mettre en balance avec les droits des hommes. En Ethiopie, lorsque ce livre a été présenté, les étudiants ont retenu que le droit coutumier africain, longtemps considéré comme « primitif », pouvait être une source d’inspiration pour les systèmes de gouvernance actuels. Ainsi, dans les zones où la déférence envers les cours d’eau veut que l’on observe le silence quand on les traverse, les rivières se portent beaucoup mieux qu’ailleurs. L’idée selon laquelle la viabilité à long terme des sociétés humaines ne peut se faire aux dépens de la communauté terrienne est relayée par de nombreuses traditions ancestrales.
Les sociétés humaines ne pourront être viables que si elles s’autorégulent en tant que membres de la communauté terrienne en respectant les lois qui régissent le fonctionnement de l’univers. La gouvernance humaine doit à chaque instant prendre en compte les intérêts de l’ensemble de la communauté terrienne. Elle doit maintenir un équilibre dynamique entre les droits des êtres humains et ceux des autres membres de la communauté terrienne en fonction de ce qui est le plus souhaitable pour la Terre dans son ensemble. Le CELDF (Community Environmental Legal Defense Fund) de Thomas Linzey définit ces principes :
- reconnaître les droits des communautés naturelles ;
- permettre aux autorités locales et aux individus de réclamer devant la justice des dommages-intérêts lorsqu’il est porté atteinte au bien-être des communautés écologiques ;
- priver de leur personnalité morale les sociétés qui contreviennent à ces principes.
Le CEJ (Center for Earth Jurisprudence) tente de former des avocats qui soient aptes à traiter le problème de la régulation de l’attitude humaine au sein d’une communauté terrienne hautement interdépendante. Faire accepter cette idée de l’interdépendance dans un monde où la consommation est omniprésente constitue un véritable défi, surtout vis-à-vis des entreprises et des personnes qui ont intérêt à entretenir l’exploitation actuelle. Mais à l’occasion d’un discours devant l’Assemblée générale de l’ONU en avril 2009, le président bolivien Evo Morales a appelé de ses vœux une Déclaration universelle des droits de la nature. L’ampleur de l’adoption de ce genre d’approche sera déterminante dans la place que prendra une gouvernance écocentrée.
5/5) Présentation du WWI
Fondé en 1974 avec l’aide financière de fondations, le Worldwatch Institute, situé à Washington (D.C.), œuvre à la construction d’un avenir meilleur. Les travaux qu’il publie contribuent à changer la lecture du monde : les priorités se déplacent et de nouvelles problématiques apparaissent, nécessitant un renouveau de la pensée. Face aux défis mis en lumière, nos sociétés se doivent d’innover, les instances internationales d’être renforcées.
En créant l’Institut Worldwatch, Lester R. Brown a donné à une équipe de chercheurs les moyens de diffuser dans le monde une analyse pluridisciplinaire de la crise écologique planétaire. La mieux connue de ses publications, traduite en plus de trente langues à ce jour, le rapport annuel State of the World, est en quelque sorte le bilan de santé de la Terre. Tous les travaux de l’Institut Worldwatch reflètent son credo : constat, analyse, proposition de solutions et présentation des meilleures pratiques. C’est sans doute cette attitude pragmatique, mais également ses critiques du productivisme sauvage, qui lui valent son incontestable renom.