1/7) préambule
Le diagnostic est simple, TV lobotomie. La vie est dangereuse pour les hommes. L’alcoolisme, le bavardage et l’automobile en font déjà des abrutis. Pourtant on a rajouté la télé. Il ne s’agit pas de mettre Arte sur toutes les chaînes et d’imposer des préférences culturelles. Il n’y a pas une bonne ou une mauvaise télévision. Il est préférable qu’il n’y ait pas de télévision du tout. Les influences médiatiques sont subtiles, cumulatives, et interviennent sur une longue période de temps ; parents, pédiatres et éducateurs peuvent ne pas être conscient de leur impact. Il n’empêche que la possibilité de penser par soi-même s’effondre. De nos jours, le complexe médiatico-publicitaire dépense des sommes pharamineuses pour manipuler les ressorts d’une dépendance cathodique. Psychologie, neuro-imagerie, éthologie, sociologie, aucune branche des sciences humaines n’est dispensée d’apporter son obole à la Cause mercantile. Pouvons-nous accepter qu’un « troisième parent cathodique » pénètre subrepticement l’intimité psychique de nos enfants afin de susciter chez eux des comportements de dépendance ou d’achat aux effets sanitaires dévastateurs ?
Des voix commencent à s’élever pour réclamer l’extension, aux grands groupes audiovisuels, des poursuites pénales comme celles diligentées contre les industriels du tabac. L’analogie est loin d’être incongrue. En effet, l’industrie du tabac fut condamnée pour avoir indûment stimulé le caractère addictif de produits dont elle connaissait le danger. Alors, jetez votre télé par la fenêtre après avoir lu TV lobotomie.
2/7) Commençons par la conclusion
Les gens ont vraiment beaucoup de mal à concevoir que l’on puisse choisir de vivre sans télé. Prenez Léa, une petite fille de 9 ans, pendant les vacances d’été. Elle se révéla profondément interloquée en comprenant que sa copine Charlotte (notre fille) n’avait pas de télé : « Tu sais, tu peux venir chez moi quand tu veux mon papa il est gentil lui (sic !) et il te laissera la regarder. » Mais le matin Léa ne pouvait pas venir jouer avec Charlotte parce qu’il y a Foudre de 10 à 11 heures, puis juste après Plus belle la vie… Au bas mot 5 heures d’exposition quotidienne. Au final, les heures dilapidées par Léa face à Foudre, Plus belle la vie, Les Experts, Desperate Housewives ou Secret Story ont été utilisées par Charlotte pour dormir, nager, rêver, faire du vélo, chasser les papillons, préparer les gâteaux, nourrir les ânes de la voisine ou simplement lire un bouquin. Chacune de ces activités contribua directement à renforcer les compétences sociales, culturelles, artistiques, cognitives et physiques de ma gamine.
Charlotte est en bonne santé, bien dans sa tête, patiente avec sa sœur, solide à l’école et à l’aise en collectivité. Léa a redoublé son CM1, elle lit avec difficulté, affiche un notable surpoids, semble incapable de parler à son petit frère sans le vilipender et paraît fière d’avoir déjà essayé de fumer « comme les grandes ». Dire que la télévision explique à elle seule toutes ces difficultés serait stupide. Toutefois, affirmer qu’elle ne joue aucun rôle ou opère de façon marginale le serait encore plus ! En effet, les centaines d’études présentées tout au long de cet ouvrage ne laissent aucun doute sur le fait que la télé affecte négativement la santé, l’attention, l’intelligence, la réussite scolaire, le goût de l’effort, l’agressivité et la capacité d’empathie.
3/7) Quelques recommandations
- La télé exerce une action fortement nocive sur le développent et le vieillissement cognitif, le sommeil, la réussite scolaire, la santé, l’agressivité, la sociabilité intra et extra-familiale. Bien qu’il existe de (rares) bons programmes, il n’y a pas de « bon usage » du petit écran. La meilleure solution me semble donc être, sans aucun doute possible, le zéro télé.
- Si une télé doit être présente dans la maison, elle ne devrait jamais se trouver dans la chambre à coucher, surtout chez un enfant ou un adolescent.
- Pendant les cinq ou six premières années de vie, toute exposition audiovisuelle doit être strictement proscrite par les parents tant la télévision trouble le sommeil, promeut l’obésité à long terme et interfère avec le développement intellectuel, affectif physique et social de l’enfant. Les déficits acquis dans ces derniers domaines aux premiers âges de l’existence se révèlent bien souvent irréversibles.
- Chez les écoliers du primaire et les collégiens, le temps de télévision devrait, dans tous les cas, être maintenu en dessous de 3-4 heures par semaine (ce chiffre inclut bien sûr l’usage de vidéos).
- Les adultes font ce qu’ils veulent. Que ces adultes n’oublient pas cependant que la télé est un facteur d’isolement social et qu’elle expose le spectateur à des risques morbides majeurs par sa propension à favoriser la sédentarité, le déclin cognitif inhérent au processus de vieillissement, l’apparition de pathologies cérébrales dégénératives et les conduites à risques.
4/7) une démission condamnable des parents
Lorsque la télévision est apparue, les parents ne manquèrent pas de reconnaître l’incroyable opportunité que celle-ci leur offrait : une pression sur l’interrupteur pouvait changer leur enfant, d’une créature énergique, bruyante, importune, avide d’activité et d’expérience et demandant une supervision et une attention constante en une présence docile, silencieuse et peu exigeante. C’est exactement similaire à ce qui se passe quand on drogue avec du laudanum ou du gin un enfant pour le rendre inactif. Pourtant, ces choses que les enfants font et qui causent tant de difficultés aux parents, ces explorations, manipulations, et incessantes expériences de causes et d’effets, sont nécessaires pour les enfants. L’un des effets premiers de la télévision est de réduire drastiquement le volume et la qualité des interactions parents-enfants. Or ces interactions sont essentielles pour le développement du langage et de la connaissance. Dès que l’enfant agit, maman réagit. La télévision n’opine pas de la tête pour accompagner positivement une action de l’enfant. Elle ne corrige pas les énoncés qu’il formule. Une simple observation du réel sur un écran ne peut être un facteur de développement.
Pourtant, aux Etats-Unis par exemple, plus de 70 % des enfants de 8 ans et plus ont une télévision dans leur chambre à coucher. On en est à 43 % pour les 4-6 ans et même à 19 % pour les 0-1 an ! Un ado qui regarde la télé 2 heures par jour se retrouvera à 3h30 dès lors qu’un récepteur sera placé dans sa chambre Cela entraîne une diminution de l’activité physique, une dégradation des habitudes alimentaires, une réduction du temps passé à lire, une altération du sommeil, un affaissement des performances scolaires et un assèchement des relations intra-familiales. Durant les temps-sans-parent, le zapping devient la règle de sélection des programmes, sans supervision ni souci d’adéquation. Le syndrome du zapping, c’est vouloir tout, tout de suite et sans effort. On en reste à la jouissance immédiate, le plaisir différé n’intéresse plus. Ainsi habituée à ne plus perdre de temps avec une information qui ne soit pas frappante ou très excitante, une partie de notre jeunesse se rend de moins en moins disponible pour l’acquisition lente et méthodique de connaissances. Les élèves les plus téléphages sont invariablement identifiés comme les plus impulsifs et inattentifs par le corps enseignant. Seule l’éducation peut faire entendre qu’une certaine dose de déplaisir peut conduire à un plaisir plus grand que ceux immédiatement accessibles.
Au sens étymologique, nombre de nos enfants sont devenus des barbares. Ils ne parlent plus la langue de la Cité et ne partagent plus la culture de leurs Pères. Ils lisent avec difficulté, écrivent laborieusement et savent à peine compter. Ils ne savent plus penser. Lorsque les mots se seront vidés de leur substance, la plupart des hommes et des femmes en arriveront à aimer leur servitude sans jamais songer à la révolution.
5/7) une incitation à la violence
L’exposition à la violence médiatisée contribue de manière significative à la violence du monde réel. Il serait dommage de ne pas agir sur ce levier causal, relativement accessible en comparaison d’autres déterminants sociaux plus profonds (pauvreté, éducation…). Les études scientifiques montrent que l’impact substantiel des images violentes existe indépendamment de l’intelligence, du sexe, de la catégorie socioprofessionnelle, du niveau d’éducation des parents… La relation entre violence des médias et violence de la vie réelle est à peu près aussi forte que la relation entre tabagisme et cancer du poumon. Il est clairement établi qu’une influence localement minime peut avoir des conséquences majeures si elle s’applique à une large population et de manière récurrente. Si la technologie télévisuelle n’avait jamais été développée, il y aurait aux Etats-Unis chaque année 10 000 homicides de moins, 70 000 viols de moins et 700 000 agressions avec blessures de moins. Mais si la fréquence des crimes violents était la même dans la réalité physique que dans le monde audiovisuel, alors en tout juste 50 ans tout le monde serait tué aux Etats-Unis et l’ultime survivant pourrait éteindre la télé.
La violence des images affecte de trois manières le comportement de nos enfants : stimulation de comportements agressifs ; abaissement du seuil de tolérance à la violence ; exacerbation du sentiment d’insécurité. Or, selon une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel en France, les spectateurs ingurgitent en moyenne 2 crimes et une dizaine d’actes violents par heure. Plus de la moitié des fictions comprennent au moins une séquence criminelle Ces chiffres se révèlent assez proches de ceux publiés quelques années plus tard aux Etats-Unis. Dans plus de 7 cas sur 10, la violence n’occasionnait ni remords, ni critique, ni sanction. Et les spectateurs prennent de plus en plus de plaisir à voir les images présentées. Plus un sujet voit d’images violentes, moins il s’avère enclin à porter secours à une personne victime de violence et moins il se montre empathique vis-à-vis des victimes d’agressions brutales. Tout se passe comme si la répétition des images violentes entraînait une insensibilité.
De plus il subit le « syndrome du grand méchant monde » : l’individu perçoit l’environnement comme un lieu hostile, plein de violences et de dangers. Ce sentiment d’insécurité entraîne le développement de positions politiques largement conservatrices. Nombre de politiques ont parfaitement compris la règle du jeu. La campagne électorale qui assura la réélection de George Bush en 2004 le démontre amplement. Durant les mois qui précédèrent le vote, chaque baisse de popularité fut contrée par une opportune alerte terroriste. John Kerry sembla remonter dans les sondages après avoir annoncé le nom de son colistier, l’administration évoqua sous deux jours une attaque imminente d’Al-Qaida. Le même type de phénomène frappa la France juste avant l’élection présidentielle de 2002 lorsque Jacques Chirac parvint à imposer le thème de l’insécurité comme un enjeu central de campagne. Durant les six semaines qui précédèrent le scrutin, pas moins de 52 reportages par semaine liés à l’insécurité furent présentés sur les journaux de TF1 et France 2. Durant la première semaine de l’entre-deux tours (Jacques Chirac contre le candidat du Front national), cette prévalence tomba soudainement à 3 unités.
La faute à qui ? Plusieurs recherches ont montré que les contenus agressifs et brutaux étaient, à travers le stress qu’ils imposent au cerveau, une véritable bénédiction pour les annonceurs : un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et s’avère plus aisément conditionnable. Et les télévisons s’emparent, pour booster l’audimat, de la thèse de l’insécurité quand elle est au centre du débat politique. Pourtant, en diminuant notre exposition aux contenus violents, nous contribuerions à créer un monde significativement moins violent.
6/7) un problème mondial
L’écran est devenu un médium universel à travers le monde. En 2009, la consommation mondiale était de 3h12 par jour et par personne. Près de 90 % des gamins de la planète reconnaissent Terminator et Rambo alors qu’un quart des adolescents américains ne savent même pas qui est Hitler. Le pattern global des implications de la violence médiatique est similaire à travers l’ensemble du monde.
Sans pauvreté langagière, sans conformisme narratif, sans stéréotypie des personnages, il serait totalement impossible d’agréger chaque soir des millions de personnes profondément dissemblables face à un programme unique. On ne montre pas aux gens ce qu’ils veulent voir, mais une sorte de plus petit dénominateur commun qu’ils peuvent partager. En se focalisant sur nos seules similitudes, le petit écran assèche irrémédiablement la plus grande part de notre identité. Essayer de comprendre la nature en regardant La Vie sauvage est aussi difficile que d’essayer de comprendre la vie en regardant Dynastie.
Tout ce qui est lent et compliqué n’a pas sa place sur le petit écran. Cette accélération du mouvement qui ne permet de rien enchaîner, de rien méditer suffirait seule pour affaiblir et à la longue détruire entièrement la raison humaine. Peut-être ne sommes-nous, désormais, plus très loin de ce point de rupture
7/7) quelques citations
- La Star Academy devient l’horizon des enfants de la bourgeoisie autant que des enfants du peuple. Les filles de ministre défilent comme mannequins. La fracture sociale se résout dans le rêve commun de danser sur un plateau de télévision. Ce soir, il y a bal sur le pont du Titanic. (Natacha Polony)
- Pour écouter TF1 il n’y a pas besoin de cerveau, un tube digestif suffit. (Didier Daeninckx)
- Espérer qu’un programme de télé exceptionnel fera une différence c’est comme espérer que vous pouvez manger des frites et des plats en sauce toute la semaine et ensuite diminuer votre taux de cholestérol avec une simple fleur de brocolis le dimanche soir.
- La télévision capture l’imagination mais ne l’affranchit pas. Un bon livre stimule et libère immédiatement l’esprit. (Bruno Bettelheim)
- Pour décider de vivre sans télé, j’avais tout de même un motif sérieux qui relève du ressenti. Les choses peuvent se résumer ainsi : la vie ma paraît plus belle sans télé. (Alexandre Lacroix)
- S’opposer à tous les asservissements que peut produire la modernité deviendra l’apanage de quelques esprits miraculeusement maintenus en veille. (Natacha Polony)
sous-titre du livre : la vérité scientifique sur les effets de la télévision (édition Max Milo)