Revue écologiste fondée en 1999, EcoRev réactualise la pensée anti-productiviste face aux défis d’un capitalisme globalisé. Quelques extraits :
1/3) Pour une santé démédicalisée (André Gorz)
1. Les destructions par le système capitaliste sont de plus en plus importantes et les réparations de moins en moins efficaces. Cela vaut aussi en matière de santé.
2. Il y a de plus en plus de médecins et de plus en plus de malades.
3. Les maladies épidémiques les plus répandues sont toutes des maladies dégénératives de civilisation que la médecine ne sait ni prévenir, ni guérir : cancer, maladies cardio-vasculaires…
4. La médecine contribue à la multiplication des maladies de deux manières. En incitant les gens à porter leur maladie chez le médecin, la société les détourne de s’en prendre aux raisons fondamentales de leur mal-être. En encourageant la dépendance médicale, le médecin ajoute ses propres poisons à ceux du mode de vie industrialisé.
5. Etre en bonne santé, c’est être capable d’assumer la maladie, comme d’ailleurs la puberté, le vieillissement, l’angoisse de la mort… Or la surmédicalisation dispense et empêche l’individu d’assumer tout cela. Elle multiplie les malades. C’est ce que Illich appelle la iatrogénie structurelle, c’est-à-dire l’engendrement permanent de la maladie par l’institution médicale.
6. Le travail parcellaire salarié et les rapports marchands détruisent chez l’individu l’autonomie et les motivations qui les rendaient capable d’assumer sa vie, sa santé, ses maux et sa mort.
7. Les fondements de la santé sont extramédicaux, à savoir : la réconciliation des individus avec leur travail, leur environnement, leur communauté.
8. Le but de cet exposé est d’inciter les gens non pas à refuser tous les médicaments et soins médicaux, mais à reprendre le pouvoir sur leur maladie, sur leur corps et leur esprit. Qu’ils mettent en cause tout ce qui les rend malades dans leur vie quotidienne : l’école, l’usine, le pavillon à crédit, etc.
source : résumé de l’introduction du livre Ecologie et politique d’André Gorz (Galilée, 1975)
2/3) La crise sanitaire, quatrième crise écologique
Avec le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources naturelles et la chute de la biodiversité, la crise sanitaire est la quatrième conséquence de l’activité humaine : maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète et obésité, maladies respiratoires… L’obésité touche aujourd’hui une personne sur 10 dans le monde, et ce nombre a doublé en trente ans. L’obésité se traduit par une baisse d’espérance de vie de 5 à 15 ans selon les estimations, or, celle-ci étant croissante, mécaniquement l’espérance de vie ne peut que régresser.
La diminution de l’espérance de vie en bonne santé constatée dans plusieurs pays européens est un autre signal. Selon l’Insee, elle était en France de 63,1 ans en 2007 pour les hommes et de 64,2 ans pour les femmes. Soit un différentiel de l’ordre de 20 ans avec l’espérance de vie. Entre 2003 et 2007, on a observé une décroissance de cet indicateur pour les hommes en Italie (de 70,9 ans à 62,8), en Espagne (de 66,8 à 63,2), en Allemagne (de 65 à 59,8) ; il en est de même pour les femmes.
La transition épidémiologique s’est faite en France au milieu des années 1920, quand les maladies infectieuses sont passées derrière les maladies cardiovasculaires. Depuis 2004, celles-ci ont été à leur tour dépassées par le cancer qui représente aujourd’hui 30 % des causes de mortalité contre 3 % en 1906. Malgré des moyens considérables mis en œuvre, il n’y a pas eu de progrès majeur en matière de traitement du cancer depuis trente ans. L’OMS ne peut plus continuer à limiter les causes des maladies chroniques à quatre facteurs (tabac, alcool, alimentation et sédentarité) en passant sous silence la responsabilité de la pollution physico-chimique.
En 1948, l’OMS définissait la santé comme un état de bien-être et pas seulement comme l’absence de maladie. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de compléter à partir d’une définition écosystèmique : « La santé est la traduction de la qualité de la relation de la personne humaine à son écosystème. » Par exemple, une ville conçue pour la voiture engendre une pollution urbaine, mais aussi une baisse d’activité physique, et donc un risque d’obésité. La conception écosystèmique vaut aussi pour les pays du Sud, qui peuvent vaincre les maladies infectieuses encore importantes chez beaucoup d’entre eux par une action sur l’environnement, comme l’Europe l’a fait au XIXe siècle (accès à l’eau potable…).
3/3) Les pesticides au service de l’agriculture industrielle
Les pesticides sont utilisés car les systèmes de cultures qui dominent depuis les années 60 sont excessivement sensibles aux maladies et aux ravageurs, d’une part du fait des critères de sélection retenus pour obtenir les variétés, d’autre part à cause des techniques mises en œuvre (excès d’engrais, semis trop denses, rotation trop courtes, absence de haies qui hébergent des insectes « auxiliaires » susceptibles de limiter les « nuisibles »…). Et la nature finit par résister aux substances actives ! Les pesticides sont aussi fortement suspectés de nuisances sur un certain nombre d’espèces animales, comme les abeilles et plus généralement les pollinisateurs, et les lombrics qui font vivre les sols.
L’UIPP, Union des industries de la « protection » de la plante, est le lobby des fabricants de pesticides. Si les agriculteurs tombent malades à cause des pesticides, c’est certainement de leur faute car ils n’ont pas respecté les bonnes pratiques ! Pourtant le système d’homologation comporte de nombreuses lacunes :
- Les effets synergiques ne sont pas évalués,
- les effets sur les êtres les plus sensibles (fœtus…) ne sont pas pris en compte,
- les tests sur la perturbation du système hormonal ne sont pas systématiquement requis,
- on tolère sur le marché des substances dont on a pourtant montré des effets cancérigènes, au moins sur l’animal.
L’UIPP est passée maître dans l’art de la langue de bois ; on constate l’évolution de la sémantique, de pesticides à « produits phytosanitaires » et dernièrement « produits de santé des plantes ». Ils veulent nous persuader que les pesticides sont totalement indispensables pour produire la moindre nourriture.