L’écosocialisme de Michael Löwy veut se différencier de l’écologie politique : « Les écologistes politiques ne semblent pas prendre en considération la contradiction intrinsèque qui existe entre la dynamique capitaliste, fondée sur l’expansion illimitée du capital et l’accumulation des profits, et la préservation de l’environnement. La convergence n’est possible que si les écologistes rompent avec l’illusion d’une économie de marché propre. »
L’écosocialisme se caractériserait par une éthique sociale, non par une éthique des comportements individuels. Elle ne viserait pas à culpabiliser les personnes ni à promouvoir l’ascétisme ou l’autolimitation. Son projet aurait les couleurs de l’arc-en-ciel : le rouge du mouvement ouvrier anticapitaliste et égalitaire, le violet des luttes pour la libération de la femme, le blanc des mouvements non violents pour la paix, le noir de l’anti-autoritarisme des anarchistes, le vert de la lutte pour une humanité juste et libre sur une planète habitable.
Personnellement nous trouvons qu’écosocialisme ne se différencie pas suffisamment du préfixe « éco »-nomie, que social-écologisme serait plus parlant, et qu’écologie politique souligne la prépondérance de l’écologie, et fait référence à la fois à l’écologie scientifique et au fait qu’il va falloir en débattre politiquement. Par contre nous sommes en parfait accord avec la condamnation par Michael Löwy de la voiture individuelle et de la publicité. Enfin, nous sommes surpris de voir que l’écologie profonde n’est pas trop maltraitée, bien que non traitée ! Son livre est paru aux éditions 1001 nuits à 5 euros. Voici quelques extraits recomposés par nos soins :
1/3) contre la voiture individuelle
Force est de constater que la voiture satisfait des besoins réels dans les conditions actuelles du capitalisme. Mais, dans un projet écosocialiste fondé sur l’abondance des transports publics gratuits, celle-ci aura un rôle bien plus réduit que dans la société bourgeoise, où elle est devenue un fétiche marchand, un signe de prestige et le centre de la vie sociale, sportive et érotique des individus.
La voiture individuelle soulève des problèmes complexes. Les véhicules individuels sont une nuisance publique. A l’échelle planétaire, ils tuent ou mutilent des centaines de milliers de personnes chaque année. Ils polluent l’air des grandes villes – avec des conséquences néfastes sur la santé – et contribuent considérablement au changement climatique. Plutôt que les intérêts à long terme de l’humanité ont primé ceux, à courte vue, des multinationales du pétrole et du complexe industriel de l’automobile. Nous avons désespérément besoin de lutter pour des limitations sévères des émissions de gaz à effet de serre, pour privilégier les transports publics à la voiture individuelle polluante et antisociale. Les expériences au niveau local telles que les zones sans voitures dans plusieurs villes européennes sont des exemples limités, mais pas inintéressants du changement social et écologique. Il faut mener bataille. Chaque kilomètre d’autoroute bloqué, chaque mesure en faveur des transports collectifs est important.
La réduction progressive de la place de l’automobile dans les villes – démocratiquement décidée parle public lui-même – ne peut réussir que si, parallèlement à l’abolition de l’insistante et mensongère publicité automobile, on favorise, dans la distribution de l’espace urbain, les moyens de transports alternatifs : transports publics, bicyclettes, piétons.
L’objet principal de la planification écosocialiste, sa raison d’être : la réorganisation du système de transport, dont l’objectif est de réduire radicalement la place de la voiture personnelle. La planification démocratique concerne les principes qui vaudront dans les choix économiques. Par exemple, alors que la décision de transformer une usine de voitures en unités de production de bus ou de tramway reviendrait à l’ensemble de la société, l’organisation et le fonctionnement internes de l’usine seraient gérés démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes.
2/3) contre la publicité
Comment distinguer les besoins authentiques de ceux artificiels et factices ? Ces derniers sont induits par le système de manipulation mentale qui s’appelle « publicité ». Le critère pour distinguer un besoin authentique, c’est sa persistance après la suppression de la publicité. Pièce indispensable au fonctionnement du marché capitalise, la publicité est vouée à disparaître dans une société de transition vers le socialisme, pour être remplacée par de l’information, fournie par les associations de consommateurs.
La publicité a envahi nos rues, nos boîtes aux lettres, nos écrans de télévision, nos journaux et nos paysages d’une manière insidieuse, permanente, agressive. La publicité a mis sous sa coupe la presse, le cinéma, la télévision, la radio. Il a pollué le sport, la chanson, la politique, les arts. Il nous persécute, nous agresse, nous harcèle, du matin au soir, du berceau à la tombe, sans pause, sans relâche, sans arrêt, sans trêve. Dans quel but ? Tout simplement nous convaincre de la supériorité intrinsèque de la lessive A sur la lessive B.
L’industrie publicitaire contribue directement aux habitudes de consommation ostensible et compulsive. Elle est la cause d’un gaspillage phénoménal de pétrole, d’électricité, de temps de travail, de papier … le tout payé par les consommateurs. Le total des investissements publicitaires est estimé à un montant voisin de 30 milliards d’euros, soit 10 milliards pour les médias et 20 pour le marketing direct.
Si l’on doit nommer une branche de la production qui est inutile, que l’on pourrait aisément supprimer sans porter préjudice à la population, et qui nous ferait économiser beaucoup d’énergie et de matières premières, quel meilleur exemple que l’industrie publicitaire ?
3/3) L’écologie profonde
Il est principalement question dans le présent ouvrage du courant éco-marxiste. Toutefois, on trouve dans l’écologie sociale d’inspiration anarchiste de l’Américain Murray Bookchin, dans l’écologie profonde du Norvégien Arne Naess et dans les écrits de plusieurs objecteurs de croissance des analyses radicalement anticapitalistes et des propositions alternatives qui sont proches de l’écosocialisme. L’écologie profonde a le mérite de proposer une sorte de révolution copernicienne qui détrône l’Homme de sa place de maître et possesseur de la nature.
Note de la rédaction : après ces quelques mots encourageants, Michael Löwy s’égare en voulant préciser : « Dans les courants de deep ecology, on voit s’esquisser, au prétexte de combattre l’hubris humaine dévastatrice et l’anthropocentrisme, un refus de l’humanisme qui conduit à des positions relativistes. Celles-ci tendent à mettre toutes les espèces au même niveau. Faut-il vraiment considérer que le bacille de Koch ou l’anophèle ont le même droit à la vie qu’un enfant malade de tuberculose ou de malaria ? Valoriser le SIDA serait une vengeance de Gaïa ? Sauf exceptions (Arne Naess), la deep ecology refuse toute perspective socialiste. »
Nous remarquons que Michael Löwy amalgame l’écologie profonde d’Arne Naess et une deep ecology improbable dont il ne nous donne pas les sources. Nous aurions préféré que Michael Löwy fasse preuve d’une meilleure connaissance d’Arne Naess ! Mais il a la même attitude par rapport à Serge Latouche dont les préconisations nous ramèneraient à « l’âge de pierre ». Le problème de la branche marxiste de l’écologie, c’est qu’elle a une tendance viscérale à excommunier sans réfléchir davantage.