(Calmann-lévy,244 pages, 18 euros)
Voici quelques extraits recomposés de ce livre :
Bien gérer la sortie de scène du « Père fossile » ne va pas être une mince affaire. En deux siècles, une corne d’abondance géante a déversé sur les hommes une pluie de biens et de services nouveaux que les manuels d’histoire attribuent improprement au génie technologique humain. Conservez les neurones et supprimez les combustibles fossiles : nous ne serons plus capables de proposer des machines géniales à chaque consommateur occidental pour un prix qui n’a cessé de baisser au fil des temps. Les gains de productivité ne sont pas la cause, mais la conséquence d’une augmentation de la consommation d’énergie permise par son exploitation à rendement croissant. Tout plan qui présuppose une économie bâtie sur des flux carbonés croissants fera faillite. La « lecture énergétique » du monde rend logiques la fin de l’esclavage, la désertification des campagnes, la mondialisation, l’étalement urbain et le pavillon pour tous, les mégalopoles cosmopolites, la grande distribution, les congés payés, l’informatique pour tous, les voyages des retraités à travers le monde, la baisse du temps de travail. Malgré ce paysage paradisiaque, nous descendons périodiquement dans la rue pour nous plaindre de notre sort !
Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Rappelons qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Quiconque réalise ce que signifie, pour le mode de vie occidental, de limiter la hausse de la moyenne des températures à 2°C comprend que ça ne va pas être simple d’y arriver. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. Le prix de la biosphère est infini ; sans elle, l’espèce humaine deviendrait immédiatement un vestige du passé.
1/8) L’énergie, unité de compte
Il existe une unité de compte pour la transformation du monde : c’est l’énergie. C’est en effet par définition la marque du changement d’état d’un système, et donc de transformation de l’environnement. Sans énergie, impossible de déplacer un objet (ou notre propre corps), illuminer ou chauffer une pièce, transformer un poisson dans l’océan en poisson dans notre assiette. Cette énergie fossile à profusion, c’est la véritable cause de la hausse de notre pouvoir d’achat. En clair, le pouvoir d’achat augmente quand le prix de l’énergie baisse : le pouvoir d’acheter des choses augmente puisque nous pouvons transformer et déplacer plus de matière par heure travaillée.
Une paire de jambes en plein effort peut fournir au maximum 0,3 à 0,4 kWh par jour, soit l’énergie nécessaire pour utiliser pendant 3 à 4 heures une ampoule de 100 watts. Une voiture qui consomme 8 litres au 100 km a besoin d’un kilowattheure par kilomètre parcouru. Avec un salarié payé au SMIC, le kilowattheure mécanique revient à 200 à 300 euros. La force des bras restitue 0,02 kWh et le kilowattheure mécanique reviendrait à plus de 4000 euros. Pourtant, avec un moteur utilisant de l’essence à 1 euro le litre, le kilowattheure mécanique coûte quelques dizaines de centimes. La voici donc, la vraie raison du confort matériel dont nous bénéficions tous, les esclaves énergétiques ! S’il fallait fournir avec du travail humain les 60 000 kWh qu’un français utilise directement ou indirectement chaque année pour tous ses usages, chacun d’entre nous se retrouverait à la tête de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers d’esclaves. L’accès à l’énergie extracorporelle, essentiellement les combustibles fossiles qui représentent 80 %, a donc multiplié par plusieurs centaines le potentiel d’action de l’homme sur son environnement.
Pourquoi le prix des combustibles fossiles n’est-il pas un million de fois supérieur au travail humain, mais très inférieur ? Parce que nous héritons d’un capital qui s’est transformé avec un très faible taux d’épargne naturel, soutenu par un demi-milliard d’années, mais sans avoir dû payer un centime à quiconque pour ce processus. Notre système de prix ne reflète que l’apport pour passer des ressources « cadeau de la nature » à ce que nous en faisons.
2/8) Energie et mobilité
En 1800, le déplacement quotidien de 99 % des Français était de 2 km environ, effectués à pied : le trajet domicile-travail de nos ancêtres consistait pour la plupart à aller de chez eux à leur champ, point. Il était hors de question de partir en congés payés ou d’aller voir la belle-mère à l’autre bout du pays. C’est seulement en 1952 que la voiture a détrôné la marche à pied comme mode de déplacement dominant. Le domicile et le lieu de travail sont désormais distants de 15 kilomètres en moyenne. L’augmentation de la quantité d’énergie disponible a permis de créer des axes « non naturels » (canaux, routes, ponts, voies de chemin de fer), de bâtir des infrastructures terminales (gares, entrepôts, ports…), d’augmenter la puissance unitaire des moyens de transport, et tout cela a favorisé la circulation de biens de moins en moins précieux sur des distances de plus en plus longues. L’histoire de la mobilité des hommes offre une grille de lecture d’une simplicité biblique : chaque démocratisation d’un nouveau mode de transport n’a été possible que parce que le prix réel de l’énergie décroissait. Dans un avion plein, un passager consomme 5 litres de carburant aux 100 km. Il n’est nullement garanti que les 30 millions de véhicules d’aujourd’hui en France, soit presque une voiture par adulte en âge de conduire, puissent se maintenir dans trente ans.
La société de l’information est aussi un enfant de l’énergie abondante. L’information n’est « dématérialisée » qu’en apparence. Il faut des supports physiques qui permettent l’acheminement et l’exploitation de l’information, ce qui demande force électricité, du cuivre, du fer, et… du pétrole ! Plus il est facile de communiquer, plus il est facile de faire des affaires, lesquelles impliquent tôt ou tard un transport de marchandises. Lorsque les bipèdes ont cédé la place à des machines dans la circulation de l’information, les émissions de CO2 ont bondi. Il faut émettre 1 tonne de CO2 pour fabriquer un ordinateur portable, et 12 euros de facture de téléphone engendrent l’utilisation d’environ 400 grammes de combustibles fossiles. La « socialisation » permise par Internet joue aussi un rôle : rencontrer « pour de vrai » des personnes avec qui les échanges commencent sur Internet a toutes les chances de nous emmener très loin, ce qui utilisera du pétrole ! Incidemment, notons que la diminution drastique de la consommation d’un ordinateur est allée de pair avec une augmentation de la quantité d’électricité consommée par tous les ordinateurs.
Sans ordinateurs et sans serveurs, l’Occident s’écroulerait du jour au lendemain. Si les opérations quotidiennes d’une banque devaient être tenues par des comptables sur de beaux registres, il se passerait l’une des deux choses suivantes : les banques devraient soit embaucher immédiatement mille à cent mille fois plus de monde, soit diviser par mille à cent mille leur nombre d’opérations. Cela ne serait pas très loin de signifier une contraction par le même facteur de la monnaie scripturale et un arrêt immédiat de la quasi-totalité des échanges mondiaux.
3/8) Energie et agriculture
Quand la consommation d’énergie par personne est faible, la quasi-totalité de la population active est agricole, et plus l’énergie extracorporelle (issue d’autre chose que nos muscles) par personne est abondante, moins il y a de paysans. Les machines cultivent les pommes de terre à notre place, plus besoin de paysans aux champs. Un tracteur de 70 kilowatts fournit la même puissance en sortie de moteur que celle de 100 chevaux de trait. Il faudrait 1000 hommes utilisant leurs jambes, ou 10 000 hommes utilisant leurs bras, pour arriver à cette puissance. La fin de l’esclavage dans les champs doit plus au pétrole qu’à la générosité naturelle des hommes !
Dans des pays déjà densément peuplés comme l’étaient les pays européens il y a quelques siècles, avec un peu d’énergie les paysans mangeaient des céréales et seuls les plus riches pouvaient s’offrir de la viande à l’occasion. Avec un peu plus d’énergie nous avons accédé au poulet. Encore plus d’énergie a permis de franchir l’étape suivante, le porc, et beaucoup d’énergie nous a amenés au bœuf. Historiquement ne pouvaient manger de gros animaux que les peuples qui disposaient de très grandes surfaces d’élevage par personne, c’est-à-dire beaucoup de photosynthèse disponible par personne. Quand les surfaces étaient limitées, on ne mangeait que les végétaux qui y poussaient, car les donner aux animaux pour manger les animaux ensuite revient à diviser la quantité de nourriture par deux (poulet) à 20 (bœuf). Puis l’agriculture intensive et énergivore a permis d’accéder à la viande dans des pays densément peuplés, en multipliant les surfaces en quelque sorte. Conserver cette abondance carnée dans un monde sobre en énergie et très peuplé sera une sacrée gageure !
En matière d’agriculture, l’avenir est à la limitation des intrants de synthèse, dépendants des combustibles fossiles, notamment des engrais azotés. Il faut promouvoir la polyculture-élevage comme modalité agricole de base, favoriser les transformations locales des produits cultivés, limiter l’étendue spatiale des systèmes de production, de distribution et de consommation.
4/8) Les conséquences sociales de l’énergie
Ce que nous appelons « création de richesses » n’est en fait qu’une transformation de ressources naturelles, et tout notre système économique ne consiste qu’à utiliser ces ressources pour en faire autre chose. C’est évident pour les activités agricoles et industrielles, mais les activités de services ne peuvent exister par elles-mêmes : il leur faut des objets et des flux de matière sur lesquelles se baser ! Lorsque l’approvisionnement énergétique commence à être fortement contraint, il est logique que l’emploi tertiaire souffre autant que l’emploi productif, puisque le premier dépend du second. Largement encouragés par la démagogie d’élus qui n’ont pas compris où seront les conséquences de la variation de l’approvisionnement énergétique, les étudiants ont cru avoir « le droit » à un emploi de bureau. Etudiants, enseignants, comptables, informaticiens, chercheurs, banquiers, employés de la Sécu, retraités, vacanciers et guides de musée sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe. Permettant à la fois l’augmentation des flux physiques à gérer, des distances parcourues et des logements individuels, tous les pays qui ont disposé d’énergie à profusion ont créé la même structure de métiers, située dans le même tissu urbain. Plus les pays ont disposé tôt de grandes quantités d’énergie, plus ils ont développé tôt leur urbanisation. La civilisation industrielle a créé une population d’employés du tertiaire qui habite en banlieue proche ou éloignée d’une grande ville. En Occident, alors que certains pays ont été soi-disant à gauche et d’autres soi-disant à droite, les modes de consommation à l’arrivée sont furieusement identiques ! Dans le monde fini qui est le nôtre, le mode de vie futur va dépendre bien davantage de la disponibilité de l’énergie par personne que de la nature des régimes politiques.
La croissance de la quantité d’énergie consommée par personne, qui permet en termes purement physiques d’augmenter la productivité des gens qui travaillent, a pour conséquence d’assurer la nourriture, le logement, l’habillement, les loisirs, etc. des gens qui ne travaillent pas, dont les retraités et les étudiants. Retraites et études longues sont donc « assises » sur des consommations d’énergie importantes, et c’est bien ainsi que se lit la géographie actuellement : il n’y a beaucoup de retraités et d’étudiants que dans les pays qui consomment beaucoup d’énergie. Evidemment, ce lien de cause à effet est porteur d’une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui ont cru que le problème des retraites était en bonne voie d’être réglée après la réforme initiée en 2010. En effet, la contrainte sur l’approvisionnement énergétique futur, qui va venir contrarier la productivité physique de manière forte, aura pour conséquence que le niveau relatif des retraites baissera, et que l’on va probablement pour partie revenir à un système de gestion des personnes âgées économe en énergie, c’est-à-dire… les garder chez leurs enfants. La question n’est pas de savoir si cette organisation est désirable ou non. Les bons sentiments sans kilowattheures risquent d’être difficiles à mettre en œuvre !
Une journée d’hospitalisation en service de réanimation, accessible à tout citoyen occidental, coûte de 500 à 5000 kWh d’énergie, l’essentiel étant contenu dans les biens et services utilisés par l’hôpital. Elle n’est en outre possible que grâce à l’utilisation en France de métaux et produits chimiques extraits dans de lointaines contrées, de gaz russe ou de pétrole norvégien pour chauffer les bâtiments, laver les draps ou faire le plastique des cathéters, etc. Même si cela peut paraître sordide, dès lors que la quantité d’euros (d’énergie) est limitée, il devient légitime de se demander si la collectivité doit plutôt les dépenser pour sauver mille conducteurs imprudents ou vingt malades de Parkinson. Il faudra soigner avec moins de flux matériels à disposition. Cela soulèvera des débats difficiles sur notre rapport à la mort, et sur le fait qu’aujourd’hui nous jugeons que toute consommation de ressources non renouvelables est justifiée pour maintenir en vie des personnes en bout de course avec des dispositifs lourds.
Entretenir une population en prison, c’est utiliser de la nourriture, des ressources et de l’énergie pour le bénéfice d’improductifs mis au ban de la société. Jusqu’à une époque somme toutes assez récente, on ne s’encombrait pas de ces bouches à nourrir : le sort commun du délinquant était la mort dans des délais assez rapides. Il est évident que, en univers énergétiquement contraint, ces mauvais souvenirs risquent de redevenir d’actualité.
Les pays où le divorce est le plus répandu sont aussi les pays où l’abondance énergétique est la plus marquée. Si nous regardons ce que le divorce implique en termes physiques, la dépendance à l’énergie apparaît clairement : se séparer demande deux fois plus de logements, deux fois plus d’objets de la vie courante à fabriquer, et un surplus de déplacements pour la visite des enfants. Le divorce n’est en fait que la partie émergée d’un iceberg qui a pour nom « conséquences sociales de l’augmentation de la productivité du travail grâce aux machines alimentées en énergie toujours plus abondante ».
5/8) Fin programmées de l’énergie fossile et crise économique
Dès 1972 et le document The Limits to Growth, la conclusion est simple : si nous cherchons à avoir une croissance économique tant que nous pouvons, ce qui nous attend au bout du chemin est l’effondrement du système, c’est-à-dire la décroissance forcée sur une période longue. Et plus vite nous voulons croître à bref délai, plus vite et plus fort nous décroîtrons ! L’affaire se termine avec une dégradation forte de l’espérance de vie, des conditions de vie et de la taille de la population mondiale.
Nous avons abandonné les pierres pour le bronze sans manquer de bronze, le bois pour le charbon alors qu’il restait des forêts, etc. La transition énergétique que nous nous apprêtons à vivre n’a plus cette caractéristique. Nous allons devoir gérer le passage d’une énergie facile d’emploi à des substituts malcommodes. Le pétrole est le premier contributeur à l’approvisionnement énergétique dans le monde (33 % aujourd’hui). La quantité de pétrole disponible par Terrien est en diminution depuis 1979 : c’est une pénurie relative. Ce plafonnement marque le début d’une nouvelle période de l’histoire économique mondiale. Alors que, de 1850 à 1970, il y avait une crise économique majeure tous les cinquante ans ou à peu près, depuis 1974 il y a une crise régionale majeure, avec implications mondiales, tous les cinq ans. Ce que nous avons vécu entre 2008 et 2010 est très exactement le scénario décrit dans Le Plein s’il vous plaît, publié en 2006 : une tension sur l’offre de pétrole engendre une crise énergétique, puis une crise économique et une crise bancaire. Sans grand risque de se tromper, une nouvelle récession durable est très probable entre 2012 et 2014.
Il est tentant de penser que, dans un contexte de récessions à répétition, les unités de production devraient globalement devenir plus petites et s’approvisionner sur des zones géographiques plus restreintes. Elles devraient prendre en charge un nombre plus important d’étapes de transformation, pour limiter les échanges physiques, et pour desservir des populations locales en produits finis. On peut aussi penser que les produits vont perdre en sophistication et en fonctionnalités techniques, pour devenir plus facilement réparables, moins rapidement obsolètes (l’obsolescence étant d’autant plus rapide que les produits sont plus techniques).
6/8) Qui décide du changement de société ?
Une démocratie, c’est le pouvoir confié aux électeurs. Or ces derniers sont parfois employés par une société commerciale qui a ses propres intérêts, préfèrent généralement recevoir sans payer que payer sans recevoir, et décident sur la base d’une information qui est toujours partielle. Dès lors, il n’est pas étonnant que les mandataires de ces mêmes électeurs, c’est-à-dire les élus, au surplus pas toujours mieux informés que leurs électeurs, aient des critères de choix qui ne sont pas l’expression de la rationalité la plus pure.
Du coup, quand la puissance publique prend une mesure, elle est plutôt en accord avec le système de valeurs des électeurs. Comme nous n’aimons pas être contraints, la puissance publique préférera dire qu’elle va accroître l’offre d’énergie, plutôt qu’elle va maîtriser la demande, c’est-à-dire la faire baisser. Et quand c’est la réduction de la demande qui est visée, c’est souvent à coups de chèques pour les solutions « propres » et non de taxes sur les activités « sales ». Nous allons préférer les subventions (aux fenêtres et aux chaudières) à la taxe carbone, alors que l’expérience montre que les premières sont de nul effet ou presque à cause d’effets rebonds. Autrement dit, toute personne convaincue que le changement climatique est une priorité devrait décider d’arrêter demain matin les subventions à l’installation de panneaux photovoltaïques.
Les choix, arbitrages et ordres de priorité sont le lot du gestionnaire, triste personnage au costume gris, qui ne peut être au service de nos héritiers et encore moins des baleines ! Choisir, c’est renoncer, et gérer, c’est se compromettre. Parler argent, ce n’est rien d’autre que gérer des ressources finies. En ce qui concerne notre sujet, à savoir la contrainte carbone, une mesure doit être évaluée en euros à la tonne de CO2 évitée. Obtenir la baisse de notre dépendance aux combustibles fossiles demande de la méthode, et non une croyance aveugle dans des objets techniques particuliers. Comptable du carbone, voilà à peu de choses près ce que je suis ; le carbone nous offre pour la première fois la possibilité de traduire les limites de la planète à l’échelle de tout acteur, quel qu’il soit. Tout comme l’invention de la monnaie a conduit les agents économiques à tenir des comptes, l’invention de la tonne de carbone (et le caractère fondamentalement transversal des processus mesurés) permet de mettre en place une comptabilité carbone au sein de toute organisation. Au nombre des échecs du Grenelle de l’environnement, il faut bien sûr compter l’abandon par Sarkozy de la taxe carbone.
Nous continuons d’émettre bien trop de carbone pour préserver nos enfants de la guerre et du chaos. Avec la crise arrive le chômage, et, derrière le chômage, la tentation totalitaire. La dépendance de l’Europe aux énergies fossiles est à terme une dépendance mortelle pour la démocratie. Chez nous, les chocs pétroliers amèneront peut-être Marine le Pen au deuxième tour… En termes géopolitiques, l’évolution a toutes les chances de se traduire par le retour à un monde fragmenté et conflictuel, où une multitude de totalitarismes locaux se disputent des ressources en diminution globale. A défaut de vouloir une décarbonisation massive, ce qui nous attend est une réédition de craquements comme nous en avons connu avec une intensité croissante depuis 1974, chaque choc étant plus terrible que le précédent, jusqu’au moment où la pénurie de ressources fera voler en éclats la civilisation actuelle.
7/8) Une solution politique, Nicolas Hulot
En 1990, Nicolas HULOT crée une fondation « pour la nature et l’homme », afin de favoriser l’éducation à l’environnement. Son but était de s’adresser au grand public pour lui faire découvrir et comprendre la nature, et amener par là même à son respect et à sa protection. Début 2000, Nicolas souhaite devenir un acteur du débat public. A la différence de nombre de personnalités publiques qui s’autorisent une opinion tranchée sur ce qu’il convient de faire alors qu’au fond elles ne connaissent rien au sujet, il décide qu’il veut comprendre de quoi il retourne avant de commencer à utiliser son porte-voix. Il crée au sein de sa fondation un organe qui reste à ce jour unique au sein du monde associatif environnemental : le Comité de veille écologique. Ses membres sont tous des experts d’un sujet donné, et souvent chercheurs dans les domaines biodiversité, climat, énergie…
En pratique, tous les deux mois environ, nous nous retrouvions à dix ou quinze avec Nicolas Hulot, sans ordre du jour très précis, chacun étant tout à tour orateur passionné et auditeur attentif. Au bout de quelque temps, l’envie de passer des explications à l’action est née. Divers ouvrages ont donc été rédigés, dont le plus visible en 2002 a été Combien de catastrophes avant d’agir. En 2005 nous est venu l’envie de rééditer ce genre d’exercice, mais avec cette fois une visée opérationnelle : se faire récupérer dans tous les programmes de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2007, rien de moins. Cet œcuménisme était une conséquence logique de l’apolitisme – au sens de l’absence de prosélytisme pour un parti particulier – qui a toujours été en vigueur au sein de la Fondation, à tel point que je n’ai aucune idée des préférences partisanes de la plupart de mes collègues (Hulot compris, qui n’a jamais exprimé la moindre préférence lors des réunions où j’étais présent).
Ce qui allait s’appeler le « Pacte écologique » a abouti aux sujets structurants suivants : le climat (taxe carbone), l’agriculture (réorientation de la PAC), la hiérarchie des priorités de l’action gouvernementale (le vice-premier ministre en charge du développement durable) et l’avenir (la recherche et l’enseignement). Mais la suite devait nous réserver une belle leçon de réalisme. Car ce qui a lancé le pacte, et ce qui a motivé les candidats à les reprendre à leur compte, ce n’est pas la patiente construction de l’argumentaire, ou la pertinence soigneusement étudiée des propositions. Non, ce qui a produit cet effet, c’est la valse-hésitation de Nicolas Hulot concernant une éventuelle candidature à la présidentielle. Dès qu’il a expliqué que peut-être il irait, sauf que peut-être il n’irait pas, il n’était plus question pour un candidat de ne pas signer le Pacte écologique : c’était prendre le risque de ne pas pouvoir rallier sur son nom au second tour tous ceux qui auraient voté pour Hulot au premier. Dès lors tous les candidats sont allés signer le Pacte, et le coup est parti pour de bon.
Avant de reprendre le cours de l’histoire, il faut saluer le courage de Nicolas Hulot qui, dans le débat qui a pris place durant les deux premières années de mandat de Nicolas Sarkozy, a accepté de défendre un nouvel impôt, la taxe carbone. Ils ne sont pas si nombreux, les personnages médiatiques qui expliquent que la planète c’est important, et qui poussent ensuite la cohérence jusqu’à accepter de défendre LA mesure indispensable pour éviter les ennuis. Sans contrainte annoncée sur le prix de l’énergie, l’économie n’entreprend pas les efforts massifs nécessaires pour changer ce que nous appelons nos modes de production et nos modes de consommation.
8/8) Quelques précisions sur la deep ecology
- Jean-Marc Jancovici dans son livre : « Reflet probable d’une misanthropie sous-jacente, et parfaitement explicite dans la deep ecology des militants historiques de l’environnement, pour qui l’homme est plus un gêneur à évacuer par la force qu’une espèce en danger (alors que c’est bien le cas !), une bonne partie des discours sur la défense de la planète n’ont eu de cesse d’opposer homme et nature, comme si défendre l’environnement sur une planète sans hommes avait un sens. »
- Courriel de Michel Sourrouille à Jean-Marc Jancovici :
En page 197, vous accusez la « deep ecology » de pensées qui ne sont pas les siennes. L’écologie profonde a été initiée par un philosophe norvégien, Arne Naess. Il ne s’agit nullement de misanthropie comme vous l’affirmez, encore moins d’« opposer homme et nature » et de penser que « l’homme est un gêneur à évacuer par la force ».
Dans son livre écrit dans les années 1970, l’adepte de la non-violence Arne Naess expose les fondements d’une nouvelle ontologie (étude de l’être en soi) qui rend l’humanité inséparable de la nature. Si nous saisissons cette ontologie, alors nous ne pourrons plus endommager gravement la nature, sans nuire en même temps à une partie de nous-mêmes. Ce point de départ doit permettre de mettre en place une éthique et d’agir en pratique.
- Réponse de Jean-Marc Jancovici :
« Merci pour cette précision, et désolé pour la confusion. Par ce propos je visais les militants radicaux (et donc j'ai utilisé "deep" au sens de ""extrêmes" - qui ne se revendiquent peut-être pas de la philosophie de Arne Naess) et que je vois un peu trop souvent considérer que bien préserver la nature, c'est avant tout souhaiter des misères pour les gens ! »