Il s’agit en fait d’une biographie réalisée par le journaliste et photographe Lionel Astruc. Vandana Shiva va se battre contre les puissances de l’argent, le système politique, les mafias, le patriarcat, tous ces pouvoirs qui nous gouvernent. Pas étonnant qu’elle soit une femme d’une pugnacité incroyable !
José Bové, un ami de Vandana Shiva depuis 1998, préface le livre : « Toujours vêtue d’un simple sari de coton artisanal et de sandales, elle est probablement aujourd’hui la meilleure incarnation de l’héritage spirituel de Gandhi. » Ses armes sont la désobéissance civile, la pédagogie par l’exemple, l’action en justice. Même les meilleures propagandes du monde ne peuvent rien contre la vérité.
1/5) Son parcours familial
Vandana Shiva est née le 5 novembre 1952. Son grand-père, Mukhtiar Singh, avait fait en 1956 une grève de la faim et de la soif jusqu’à la mort pour défendre l’égalité des sexes : il avait installé une école de filles à Duhai en 1946, il voulait obtenir un agrément des autorités. Sa mère, la toute première fille dans son village d’origine à avoir suivi des études, a pourtant voulu devenir agricultrice… puis inspectrice de l’éducation… tout en tenant à produire elle-même la plus grande partie de son alimentation. Son père lui a fait aimer la nature, il était garde forestier. La famille respectait le végétarisme, l’absence d’alcool, une sobriété vestimentaire, des conditions de vie les plus simples.
Vandana Shiva s’est d’abord tourné vers les sciences physiques, vouant une sorte de vénération à Einstein. Elle obtient la bourse nationale du Talent scientifique… La doctorante travaillait sur un réacteur expérimental à la pointe de la physique nucléaire. Au début des années 1970, Vandana était la seule femme à la Commission de l’énergie atomique indienne. Mais elle recevait régulièrement lors de réunions organisées par sa mère les femmes du mouvement Chipko, luttant contre l’agriculture intensive. Sa sœur, Mira Shiva, suivait des études de médecine. Un jour elle dit à Vandana : « Je me fais du souci pour toi, sais-tu à quels risques tu cours avec ton travail ? Sais-tu par exemple à quel niveau de radiation tu t’exposes ? Connais-tu les effets de la technologie nucléaire sur la santé de la population et sur l’environnement ? » Vandana n’en savait rien… Elle alla demander à ses collègues de l’élite nucléaire : pour eux ces questions n’avaient aucun intérêt.
Vandana Shiva se tourna alors en 1973 vers la philosophie des sciences. Elle comprit à quel point la recherche scientifique pouvait être réductionniste. A peine eut-elle prononcé les derniers mots de sa soutenance à l’université d’Ontario, le 10 décembre 1978, que la jeune doctorante indienne s’envolait vers son pays pour rejoindre ses sœurs de lutte, les femmes du mouvement chipko. Cette physicienne, entourée dans son cadre professionnel d’« experts reconnus », avait réalisé que les paysannes avaient une expertise scientifique extrêmement poussée. Arpentant à leurs côtés la montagne, elle put mesurer leur connaissance approfondie des écosystèmes environnants. Ce qui était valable en forêt l’était aussi aux champs. L’action avait pris la première place dans sa vie, tout son être serait dorénavant tourné vers l’écologie de terrain.
2/5) naissance d’une scientifique militante
En 1981, le ministère indien de l’environnement lui demanda d’étudier les effets de l’industrie minière sur le milieu dans la vallée de Dun : la présence du calcaire dans la montagne offrait deux cents fois plus de bénéfices pour la population locale que son extraction industrielle. Cette étude conduisit à la première décision de la Cour suprême d’Inde en faveur de l’environnement. Le verdict stipulait que « quand le commerce détruit la vie, alors ce commerce doit cesser et la vie continuer ». Officiellement, les carrières devaient cesser leur activité, mais la lutte contre les mines était loin d’être finie. En 1982, Vandana Shiva se lança dans la création d’une Fondation de recherche pour la science, la technologie et la gestion des ressources naturelles. L’une des études, commandée par les Nations unies, aboutit à l’ouvrage « La violence dans la révolution verte ». Vandana Shiva démontrait que cette modernisation de l’agriculture détruisait la sécurité alimentaire des paysans, faisant le lit du terrorisme et de la violence dans le Panjab.
Vandana Shiva se lança en 1987 dans la défense des variétés locales de graines à la suite de la réunion de Bogève, en Haute-Savoie. Ce séminaire regroupait 28 intervenants ; il s’agissait du premier de tous les débats mondiaux sur les modifications génétiques et le refus des brevets sur le vivant. La « révélation » de Vandana résultat du discours même des industriels qui évoquèrent leurs plans pour développer les OGM et prendre le contrôle des semences.
Comment favoriser la circulation des savoirs écologiques en les enfermant dans des brevets ? Avant même que la conférence se termine, Vandana Shiva avait compris qu’il s’agissait d’une dictature sur la vie. Tout était lié, brevetage, génie génétique et concentration économique. Vandana Shiva comprenait que les paysans se verraient bientôt supprimer leur liberté ancestrale de conserver, échanger et vendre leurs graines. Or, les semences marquent tout simplement la première étape de la chaîne alimentaire ; l’emprise des multinationales sur ce domaine représentait pour la militante écologiste un danger majeur d’insécurité alimentaire.
3/5) Navdanya, la lutte des graines
La graine sera l’emblème de son nouveau combat et elle décida de se consacrer entièrement à la protection des semences. Equipée de dizaines de petits sacs qui recevraient chacun quelques graines d’une variété donnée, elle partit collecter les toutes premières semences de sa collection. Vandana Shiva fonda l’association Navdanya qui signifie en hindi « les neuf graines » ou « le don renouvelé ». Navdanya symbolise dorénavant la biodiversité agricole indienne, vue comme garante de la souveraineté alimentaire du pays. Ceux qui reçoivent des graines de l’association devaient en échange les reproduire puis renvoyer les nouvelles semences, ou bien les offrir à deux autres fermiers s’engageant eux aussi à les reproduire, etc.
Les lois qui favorisent le monopole de l’industrie sur les graines sont comparables au monopole sur le sel dénoncé par le Mahatma Gandhi ; celui-ci avait déclenché le Salt Satyagraha, une lutte non violente basée sur la désobéissance civile. Satyagraha, l’étreinte de la vérité. Vandana va lancer à son tour la Bija Satyagraha, une « désobéissance des graines ». Quels que soient les accords internationaux que signerait l’Inde, les paysans devraient continuer à conserver et reproduire leurs semences comme ils l’avaient toujours fait. En 1993, Vandana Shiva reçut le pris Nobel alternatif qui distingue « les personnes apportant des réponses pratiques et exemplaires aux défis les plus urgents auxquels les hommes doivent faire face ». Ce prix suédois fait référence à l’un des grands principes du bouddhisme demandant à chacun d’être responsable de ses actes et de ne prélever qu’une part équitable des ressources naturelles dont il a besoin.
En 1995, Vandana Shiva achète une sorte de « désert toxique » sur lequel devait s’implanter Navdanya. La culture des semences allait remplacer la monoculture d’eucalyptus et de canne à sucre qui avaient rendu infertile le sol. Outre les centaines de variétés de millets, de céréales, de graines oléagineuses, de légumes ou encore de plantes médicinales, l’association a réuni plus de 250 variétés de riz et 75 de blé. De 8 hectares, la surface du site était passée à 18 hectares et les effectifs avaient atteint 20 personnes. Sous l’impulsion de Satish Kumar, on ajoute en 2002 une université de la Terre, appelée Bija Vidyapeeth (« école de la graine » en hindi). La gestion de l’eau, la vie des sols, la cuisine écologique figuraient parmi les programmes proposés, tout comme la non-violence, la souveraineté alimentaire ou l’art de l’activisme.
4/5) Vandana Shiva est partout
La scientifique a saisi régulièrement la justice pour la cause des semences traditionnelles. Lorsqu’une entreprise texane, Rice Tec, décida de s’emparer du riz basmati en déposant un brevet, Vandana Shiva mena une lutte acharnée devant les tribunaux américains pendant près de 5 ans. Le 14 août 2001, le Bureau américain des brevets et des marques annulait en grande partie le brevet déposé par Rice Tec, le rendant inexploitable : les caractéristiques venaient bel et bien des variétés traditionnels de basmati développées par les paysans indiens au cours des générations. Elle obtient aussi une victoire contre le géant W.R.Grace en protégeant la liberté d’usage du margousier (ou neem). Cet arbre possède des vertus antiparasitaires et insectifuges utilisées depuis des siècles. Vandana mit plus de dix ans pour acculer l’Office européen des brevets à révoquer celui de Grace, d’abord partiellement en 2000, puis dans son intégralité en 2005, lorsque l’antériorité des savoirs traditionnels indiens fut reconnue. Nouvelle victoire contre Monsanto avec une variété de blé indien pauvre en gluten.
Vandana Shiva fut aussi à l’origine du tout premier rassemblement antiglobalisation le 2 octobre 1996, à Bangalore. Ce mouvement se propagea ensuite à Seattle, Cancun, Gênes, etc. Vandana Shiva ainsi que Teddy Goldsmith, Maud Barlow et Jerry Mander furent à l’origine de Seattle : ils jetèrent leur dévolu sur la troisième conférence ministérielle de l’OMC prévue en novembre 1999. En 2004, Vandana Shiva manifeste avec José Bové et Maud Barlow devant l’usine Coca-Cola de Plachimada et obtient la fermeture de cette usine qui polluait les eaux.
Vandana Shiva lit beaucoup mais elle n’apprécie guère la fiction : « Je trouve que la réalité est devenue tellement dramatique qu’elle dépasse de loin la fiction ». Vandana Shiva écrit, The Violence of the Green Revolution en 1984. Dans son livre Ecoféminisme, elle observe avec une certaine amertume la déliquescence du lien social dont souffre un monde obnubilé par l’individualisme : « Le développement a entraîné la transformation des communautés organiques en groupes d’individus déracinés et aliénés, à la recherche d’identités abstraites ». Vandana Shiva organise avec Arundhati Roy un tribunal citoyen indépendant qui condamne l’opération Chasse verte, collusion entre gouvernement et industrie minière. Un jour Vandana Shiva part voir Evo Morales en Bolivie pour mettre ne place une Déclaration universelle des droits de la Terre. Un autre jour elle honore une invitation du prince Charles pour lancer une opération agriculture biologique. Elle est partout !
Ses addictions favorites se nomment travail et luttes : « Je ne pense pas arrêter totalement ce que je fais. Du reste, je ne considère pas cela comme un travail ».
5/5) Conclusion de Vandana Shiva : la guerre sur Terre
« La guerre contre la Terre prend naissance dans les esprits. Des pensées violentes découlent des actions violentes. Des modèles violents construisent des outils violents. Les usines qui produisaient les poisons et explosifs pour tuer pendant les guerres ont été transformées en usines fabriquant des produits agrochimique après les guerres.
Aujourd’hui, le mot guerre est associé à l’Irak ou à l’Afghanistan. Pourtant, la plus grande guerre qui sévit actuellement est celle menée contre notre planète. Cette guerre prend ses racines dans une économie qui ne respecte par des limites éthiques et écologiques – des limites à l’inégalité, l’injustice, l’avidité et la concentration économique. Une poignée d’entreprises et de pays puissants cherche à contrôler les ressources de la Terre et à transformer la planète en supermarché dans lequel tout est à vendre. Ils veulent vendre notre eau, nos gènes, nos cellules, nos organes, nos connaissances, notre culture et notre avenir. Quand chaque aspect de la vie est commercialisé, tout devient cher et les gens sont pauvres, même s’ils gagnent plus d’un dollar par jour.
Je crois que la démocratie de la Terre nous permet d’envisager des démocraties vivantes basées sur la valeur intrinsèque de toute espèce, tout peuple, toute culture. L’argent ne rend pas forcément riche, car si la population a accès à la terre, si les sols sont fertiles, les rivières propres, si les cultures perpétuent une tradition en produisant maison, vêtements et nourriture, s’il y a cohésion sociale, solidarité et esprit communautaire, avons-nous besoin d’argent ?
Faire la paix avec la Terre a toujours été un impératif éthique et écologique. C’est maintenant devenu un impératif de survie de notre espèce. Défendre les droits de cette Terre-mère est par conséquent la lutte la plus importante pour les droits de l’homme et la justice sociale. Il s’agit du plus grand mouvement pour la paix de notre époque. »
(Editions Terre vivante)